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« Kazakhgate »

Kazakhstan. Népotisme, corruption et affaires avec le grand patronat français

Dimitrii Grankov Le Kazakhstan, ancienne république soviétique, s’est parfaitement adapté au système capitaliste, du moins sa classe dirigeante. Pays plein de promesses pour tous les capitalistes : du pétrole, du gaz, de l’uranium, un mouvement ouvrier muselé, aucune opposition politique… Tout ce qui intéresse l’impérialisme est réuni pour l’emmener en lune de miel. Rien d’étonnant à ce que le grand patronat français et son personnel politique s’intéressent activement et de longue date à ce pays, à coups d’affaires et de corruption qui confinent aujourd’hui à une véritable affaire d’Etat.

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Des steppes de marché

Le Kazakhstan est un pays stratégique de par sa position géographique et par son sous-sol.? On y trouve en effet de l’uranium, du cuivre, du zinc, du plomb, de l’or, du charbon dans le bassin de Karaganda. Il y a aussi beaucoup de pétrole et de gaz autour de la mer Caspienne, avec les gisements récemment découverts de Tenguiz et de Kashagan. Ce pays suscite donc d’énormes convoitises, à l’intérieur même du pays, où s’édifient des fortunes considérables, mais aussi à l’extérieur où les multinationales et les grandes puissances lorgnent sur ce trésor qui semble inépuisable.

Le pays a des accords économiques prioritaires avec la Chine et la Russie. C’est surtout le pétrole kazakh qui intéresse Pékin. La compagnie pétrolière chinoise, CNPC a racheté à l’automne 2005 la compagnie PetroKazakh, qui possède la plus grande raffinerie du pays à Chymkent et qui détient plusieurs gisements dans le sud-ouest du pays. Un oléoduc entre le centre du Kazakhstan et la Chine a été achevé fin 2006. Pour assurer la jonction entre la Chine et la Caspienne, la section Kenkyak-Kumkol a été achevée en 2009.

Les USA avec ? l’oléoduc BTC (qui est construit par un consortium états-unien entre l’Azerbaïdjan et la Turquie) offrent au Kazakhstan une alternative pour évacuer son pétrole par bateau via Bakou, contournant ainsi la Russie et l’Iran. Ils tentent ainsi de contester l’influence historique de la Russie.

La Russie tsariste a conquis le pays au XVIIIe siècle. Ce n’est qu’avec la révolution bolchévique que le Kazakhstan est devenu autonome, et c’est sous Staline que le pays est devenu partie intégrante de l’URSS. A la chute de cette dernière, le pays est redevenu indépendant. Vladimir Poutine voudrait faire du Kazakhstan l’un des piliers de son grand rêve : l’édification d’une union eurasienne, aussi importante que l’Union européenne, soit un rassemblement des peuples slaves et turcophones qui équivaudrait à une sorte de « reconstruction » de l’empire tsariste.

Russie et Kazakhstan entretiennent d’excellents rapports, même s’il y existe des accords commerciaux bilatéraux avec l’occident. Astana (capitale kazakhe) prend en effet soin de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Le gouvernement refuse par exemple l’implantation d’une base militaire américaine sur son sol, mais participe à l’intervention actuelle de la coalition de l’OTAN en Irak.

Présidence dictatoriale et Népotisme

Le président quasi inamovible du Kazakhstan est Noursoultan Nazarbaev, ancien Premier secrétaire du parti communiste. Il règne sans partage sur cet immense pays d’Asie centrale depuis un quart de siècle, et il a placé tous ses proches à des postes importants.

Sa fille aînée, ancienne chanteuse d’opéra, dirige la télévision du pays tout en étant députée au parlement. Son gendre Timour Koulibaev (dont certains disent qu’il serait son dauphin), est quant à lui un parrain du pétrole kazakh, membre de la direction de Gazprom et spécialiste des pots-de-vin d’après les révélations de wikileaks (il aurait touché plusieurs centaines de millions de dollars de dessous de table). Une autre de ses filles est à la tête de la principale entreprise de BTP du pays, et chargée de travaux de la nouvelle capitale Astana. Son petit-fils, influent dans la finance, contrôle les télécoms. Son neveu dirige le comité de sécurité, et enfin, sa deuxième épouse, ancienne hôtesse de l’air, contrôle la compagnie aérienne nationale. La fortune de ce véritable clan familial, dont l’envergure peut sans difficulté être comparée à celle du clan Ben Ali en Tunisie, avoisinerait les 30 milliards de dollars.

Brutale répression contre toute opposition

La dernière réélection de Nazarbaev date de 2011, année lors de laquelle il a remporté le scrutin avec 95% des voix. Pourtant quelques mois après, en décembre, bien que ce score montre sa main mise sur le pays, 15 000 ouvriers du pétrole se mettent néanmoins en grève, dénonçant leur faible salaire et la corruption généralisée. La police réprime durement les manifestants, il y aura 15 morts et 86 blessés. Le gouvernement dénoncera une manipulation islamiste, prétexte bien facile et employé à tout va pour annihiler tout mouvement de protestation sociale. Plus de 2000 ouvriers sont licenciés dans ce contexte.

L’argent, il y en a au Kazakhstan. Mais il se trouve dans les poches des oligarques, et non pas dans celles des travailleurs. Un ouvrier du pétrole kazakh gagne environ 550 euros par mois. Tony Blair, ancien premier ministre britannique, engagé par Nazarbaev pour le conseiller, gagne plus de 9 millions d’euros par an.

Même l’opposition bourgeoise peine à exister. En 2005, Nourkadilov ancien ministre des affaires urgentes et qui était passé dans l’opposition et qui comparait Nazarbaev à ?Ceau ?escu, a été retrouvé mort chez lui avec trois balles dans la tête. En 2012, l’ancien ministre de l’information ?Sarsenbaev, qui lui aussi était passé du côté de l’opposition, a été retrouvé, avec son garde du corps et son chauffeur, dans les neiges au dessus d’Astana, mains liées et deux balles dans la nuque. Quant aux opposants qui ne sont pas abattus, ils sont entassés dans des cellules de 4m². La plupart ont choisi l’exil. Mais cela n’empêche pas « nos » dirigeants de faire des affaires avec le gouvernement kazakh, bien au contraire.

Une prolifique amitié franco-kazakhe

En 2008, Nazarbaev avait fait le déplacement à Paris pour signer un traité de partenariat stratégique. C’est de longue date que les politiques français apprécient grandement le Kazakhstan. Mariani, député UMP, président du groupe d’amitié franco-kazakh a déjà fait de nombreux déplacement, dont plusieurs avec des représentant d’Astrium, filiale d’EADS. L’aérospatial est un secteur très important pour Astana car la fameuse base de lancement russe Baïkonour est sur le territoire kazakh et les contrats s’élèvent à plusieurs millions.

 ?Aymeric de Montesquiou, de l’UDI, y serait allé une centaine de fois et clame partout que Nazarbaev est un grand dirigeant. Le bureau du Sénat vient de lui lever son immunité parlementaire, il est ?soupçonné d’avoir perçu des commissions en marge de contrat conclus avec le Kazakhstan.

Emboîtant le pas à Sarkozy, Hollande a fait lui-même le déplacement en décembre 2014 pour développer les relations entre les deux pays : aujourd’hui le Kazakhstan est le 2ème fournisseur de pétrole de la France, son 1er fournisseur d’uranium, et leur coopération dans le domaine nucléaire est devenue plus étroite. Après l’abandon du projet, avec la Russie, de construction d’une usine de séparation isotopique, c’est ainsi Paris qui a pris le relais. En 2010, Areva avait déjà été chargée de construire une usine de production de combustible nucléaire dans l’est du pays via la création d’une filiale commune. En résumé, les opportunités qu’offrent le marché kazakh font saliver les capitalistes, et ils sont prêts, et les français en l’occurrence, comme à chaque fois qu’il y a du profit potentiel, à faire les pires magouilles possibles.

Des petits arrangements entre amis au « Kazakhgate »

En juillet 2009, Sarkozy est au Kazakhstan et conclue la vente de 45 hélicoptères et de deux satellites d’observation construits par Astrium, filiale d’EADS. La signature des contrats a donné lieu à une somptueuse réception en présence de Nazarbaev et des plus grands patrons français. Le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant (un habitué aussi de la justice), en profite pour rendre hommage au président kazakh et à son pays « îlot de stabilité et de tolérance ». Rien que ça !

En Septembre 2009, dans un grand restaurant parisien, on prépare un voyage à Astana. Des dirigeants d’EADS sont présents pour préparer une vente d’hélicoptères. Lors du dîner Damien Loras, encore un conseiller de Sarkozy, se voit remettre une montre d’une valeur de plus de 40000 euros par la délégation kazakhe. Le couple Balkani, habitué aux démêlés avec la justice, est présent. Patrick Balkani, qui a déjà été vu à bord de l’avion de Chodiev, a vu son immunité levée ?dans le cadre d’une enquête pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale, qui concerne aussi son épouse.

2011 maintenant, l’histoire se passe en Belgique. Mais c’est la France qui occupe le premier rang. ?Patokh Chodiev, un proche de Nazarbaev, avait quelques problèmes avec la justice belge pour des histoires de corruption. Il passe alors un marché avec un proche de Sarkozy : s’ils le sortent d’affaire, il promet de leur décrocher de gros contrats. En juin 2011, il bénéficie d’une transaction pénale entraînant l’abandon des poursuites en échange d’une amende de 23 millions d’euros. Comment est-ce possible ?

Eh bien, tout simplement parce que trois mois plus tôt, le Sénat belge avait soudainement fait passer un amendement étendant les possibilité d’extinction de l’action publique moyennant une lourde amende. Or c’est Armand de Decker, ancien président du Sénat belge, poussé par l’avocate de Chodiev et par un conseiller de Sarkozy, ancien homme à tout faire de Pasqua, ?Etienne des Rosaies qui est à l’origine de cet amendement. On a remarqué le versement d’argent suspect sur le compte bancaire de tous ces gens. Des Rosaies a été mis en examen pour corruption en mars dernier.

Autant d’affaires et de complicités qui, aujourd’hui, défraient la chronique au-delà de ce que souhaiteraient le patronat et les politiques français, Le Monde du 5 juin qualifiant maintenant le « Kazakhgate » de véritable « affaire d’Etat ». Certes, c’est l’époque sarkozyste qui reste encore le plus sous les feux des projecteurs. Mais Hollande, poursuivant la même politique, ne pourra pas bien longtemps faire comme si ça ne le concernait pas.

L’îlot de stabilité c’est celui de l’investissement, et la tolérance c’est celle à l’égard de l’exploitation de la classe ouvrière du Kazakhstan ! La levée de l’immunité parlementaire et la mise en examen de deux hommes politiques dans cette affaire en est une preuve de la complicité des dirigeants impérialistes, mais il ne faut pas se faire d’illusion : cela n’ira guère plus loin. La bourgeoisie française s’enrichit sur le dos des ouvriers kazakhstanais ; Areva, Vinci, EADS, les politiques jusqu’au plus haut sommet ont bénéficié de la « générosité » des dirigeants kazakhs et ceux-là dans leurs tours d’ivoire ne seront jamais inquiétés par cette Justice de classe. On ne pourra parler d’îlot de stabilité et de tolérance que lorsqu’on arrêtera de cautionner l’exploitation impérialiste orchestrée par la France, qu’on la combattra chez nous, et quand le peuple khazakstanais aura pris conscience de sa force et se sera organisé pour faire tomber les têtes corrompues et depuis bien trop longtemps au pouvoir.

05/06/2015


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