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Identités trans et IVG dans l’Argentine d’aujourd’hui

Nous reproduisons ci-dessous la communication que Tom Máscolo, militant trans du Parti des Travailleurs Socialistes, a présentée lors d’un débat organisé par la Campagne Nationale pour le Droit à l’Avortement à Paraná, Argentine. Les activistes pour les droits des femmes et des LGBTI présents au débat sont revenus sur les stratégies à mettre en place dans la lutte pour le droit à l’avortement légal et gratuit. Tomás Máscolo

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Les identités trans, comme n’importe quelle identité auto-perçue, se construisent dans les possibilités et les limites du modèle socio-économique qui l’entoure. Sous le capitalisme, les différentes périodes ont façonné différentes subjectivités. Particulièrement dans le cas des personnes LGBTI, la combativité de milliers d’individus qui ont mis leurs idées et leurs corps en avant a été l’étincelle pour lutter contre la pathologisation et la discrimination, depuis Stonewall jusqu’à nos jours.

En Argentine, activistes et militants de la diversité sexuelle ont conquis des lois très avancées : les lois d’éducation sexuelle intégrale et le mariage pour tou-te-s, entre autres, ont bénéficié du soutien de larges couches de la société. En même temps, la Loi d’Identité de Genre, votée en 2012, reconnaît l’autonomie des personnes par rapport à leur corps. Elle a signifié une très grande avancée en termes de droits.

Mais, en tant qu’homme trans, j’ai eu la (malheureuse) expérience de faire une IVG dans un pays où celui-ci est encore pénalisé. Comme pour d’autres hommes trans, j’ai eu beaucoup de doutes à ce moment-là. De combien est-ce qu’ils allaient me faire payer, ou comment obtenir cet argent, jusqu’à où est-ce que j’allais le faire et comment ils allaient me traiter. J’ai finalement obtenu l’argent et trouvé un hôpital clandestin (qui était en fait le garage de la maison d’une infirmière, où il y avait juste un brancard et une barre en bois où m’attacher). Heureusement l’anesthésie m’a fait dormir pendant tout le processus et je n’ai pas eu de complications.

Une enquête réalisée lors de la marche des fiertés de 2014 par le Centre d’Opinion Publique et des Études Sociales de l’Université de Sciences Sociales de Buenos Aires a montré que les avortements des personnes LGBTI se font en majorité dans le cas de viols. Pour les 500 enquêté-e-s, le viol se fait dans l’entourage proche : camarades de classe (41,6%), voisins (33,8%) et même la famille (30,2%). Mais on trouve également des situations où sont impliquées les forces de l’ordre (14,8%)…

Santé : survivre à la transphobie

Loin de toute victimisation, vous aurez peut-être à l’esprit le film Boys don’t cry. Il faut comprendre que l’avortement est le dernier élément d’une longue chaîne de violences à laquelle la société nous soumet. Chaîne qui commence avec une Loi sur l’éducation sexuelle, certes efficace, mais qui ne parle que de relations hétérosexuelles, sans contempler considérer que les corps des hommes trans sont aussi fertiles, jusqu’au mépris de beaucoup de médecins qui, se réfugiant dans une prétendue « liberté de conscience », choisissent la maltraitance et la discrimination envers des corps « anormaux ». Sans aller plus loin, la deuxième fois que je me suis injecté de la testostérone le mépris d’une infirmière a conduit à ce que je développe une infection qu’on n’a pas voulu traiter dans trois hôpitaux publics avec l’excuse de « ne pas savoir comment traiter un corps trans ». J’ai eu la chance d’avoir le soutien d’un camarade médecin qui a su faire en sorte qu’une simple infection ne devienne pas un vrai problème.

Actuellement, la variété de systèmes génitaux humains « distribue » les individus entre deux groupes excluants : hommes et femmes. Mais la réalité est qu’il y a autant de systèmes génitaux que de personnes. Pourtant, les médecins considèrent que quand il y a un clitoris « trop grand » ou un pénis « trop petit », cela justifie des interventions chirurgicales, non pas pour une question de santé, mais pour faire que le corps entre dans des paramètres culturels binaires.

Une lutte historique contre l’ingérence de l’Église catholique

Quand on se penche sur la binarité de genre dans notre société, on voit comment apparaît la « famille » la « famille » apparaître comme une institution par excellence du patriarcat, défendue par l’Église catholique. Lors du développement du capitalisme, il a été nécessaire de contrôler les corps et confisquer la sexualité, la canaliser dans le mariage hétérosexuel, monogame et patriarcal, dans le but de l’ordonner le classer selon sa fonction reproductive. Dans les mots de Wilhem Reich : « La famille coercitive des sociétés autoritaires a son origine dans la propriété privée des moyens de production et se maintien grâce à l’autorité de l’État ».

Pour le dire simplement : la famille se charge de naturaliser la soumission des femmes, donne du pouvoir aux « hommes », établissant une hiérarchie où le père a le dernier mot sur tout, et impose une sexualité destinée à la reproduction.

C’est ce que défend le Pape François, et c’est ce qui constituait le cœur de sa tournée récente à Cuba et aux EEUU, lorsqu’il affirmait que ce qui est acceptable c’est le sexe entre hommes et femmes « cisgenres », d’après les valeurs de la morale et des bonnes traditions, et lorsqu’il s’oppose fermement à l’avortement, sans se soucier du nombre de mort-e-s dans la clandestinité.

L’égalité devant la loi n’est pas l’égalité devant la vie

Aujourd’hui en Argentine les personnes trans visibles sont en leur majorité des femmes jeunes en situation de prostitution. 85% des femmes trans sont ou ont été en situation de prostitution, tandis que 65% des hommes trans l’ont été. Leur espérance de vie se situe seulement entre 35 et 40 ans. Selon une recherche, la première cause de décès des personnes trans est le VIH. Une autre des causes est l’abus par les forces de l’ordre, ou les assassinats pour transphobie, puisque beaucoup de femmes trans ont été assassinées par leurs partenaires, par des proxénètes ou par d’éventuels clients.

Quant à l’avortement chez les hommes trans, c’est une problématique qui est abordée de manière encore très marginale par la santé publique. Les statistiques sont presque inexistantes, mais les obstacles auxquels on fait face sont les mêmes lorsqu’il s’agit d’avorter, avec les spécificités dont j’ai déjà parlé.

La séparation de l’Église et de l’État

Dans le scénario politique qui se dessine pour les élections présidentielles on voit Scioli — le continuateur du gouvernement actuel —, Macri et Massa, candidats patronaux . Ils sont tous des amis fidèles du Pape argentin et de fiers opposants à une loi de dépénalisation de l’avortement, se protégeant derrière un faux slogan de « défense de la vie ».

Cette année, 42 millions d’IVG auront lieu dans le monde, selon l’OMS. La moitié d’entre eux aura lieu dans des conditions précaires, ce qui aura comme avec pour conséquence la mort de 70 000 femmes pour infections généralisées, blessures et hémorragies, perforations ou déchirures de l’utérus.

En Argentine, après 12 ans de kirchnérisme, il n’y a pas seulement une discrimination envers les personnes trans dans la santé publique, mais il y a aussi derrière l’avortement un commerce clandestin, puisque la mort de personnes qui ne peuvent pas accéder à de bonnes conditions sanitaires bénéficie à certains qui se remplissent les poches. L’illégalité de l’avortement est un véritable business, alors que cette clandestinité tue plus d’une personne par jour et est la principale cause de décès de femmes enceintes, dont la majorité sont des travailleuses, des jeunes et des pauvres, qui n’ont pas les moyens de payer une clinique privée. Ceci a aussi entraîné le développement d’avortements à la maison avec Oxaprost ou du Misoprostol.

De la même manière, les différents gouvernements font le choix de dépenser le budget de l’État dans la « sécurité », et non pas dans la santé publique. Pourquoi cet argent n’est-il pas destiné à la formation du personnel et aux moyens matériels de la santé publique ? La problématique de l’avortement ne peut pas être pensée de manière isolée d’autres problèmes. La moitié des salarié-e-s a un salaire inférieur au panier de la ménagère. Pour la jeunesse, il est monnaie courante d’avoir soit un travail au black, soit de ne pas en avoir un du tout. Sans mentionner le fait que l’État a augmenté les impôts sur le salaire pour les fonctionnaires de l’État.

Traduction : Claude Scorza


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