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Un rapport publié dans l'indifférence générale

L’éducation sexuelle en question

Savvy Catachrone Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), instance consultative placée auprès du premier ministre, a publié la semaine dernière un « Rapport relatif à l'éducation à la sexualité », téléchargeable ici, qui met en avant les graves lacunes de la France en la matière. Ce rapport, qui fait usage d'une écriture inclusive et se présente comme un document clair, pratique et hiérarchisé, entend mettre en garde contre ce qu'est aujourd'hui l'« éducation sexuelle » dans les établissements scolaires et proposer des perspectives et des solutions. Hélas, ce texte fait face à l'indifférence générale.

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Depuis 2001 et la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, les établissements scolaires sont obligés de fournir une « information et une éducation à la sexualité […] à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène  », dans le but de faire « l’apprentissage du respect dû au corps humain » (art. L312-16 du code de l’éducation). Cependant, d’une part, le rapport fait état du fait qu’un quart des établissements sondés par le HCE déclarent ne pas se conformer à cette demande, en dépit d’une obligation légale ; en outre, ceux d’entre nous qui ont fait l’expérience, au collège ou au lycée, de « cours d’éducation sexuelle », en ont sans doute gardé le souvenir de séances rébarbatives, moralisatrices voire sordides, souvent dispensées par des professeurs de sciences naturelles. Bien loin d’offrir la possibilité aux jeunes de s’interroger sur le sexe à l’intérieur des relations sociales, la prétendue « éducation à la sexualité » se centre sur l’aspect très spécifique de la reproduction. Or, il est bien loin le temps où les adolescents ne savaient rien de la relation sexuelle sur le plan physiologique ; désormais, tout le monde sait « comment on fait des bébés », et un rappel « scientifisant » des faits ne sert qu’à enfoncer le clou de l’hétéronormativité dans les têtes des jeunes. Alors que des pays comme le Canada, les Pays-Bas ou la Suède montrent les bienfaits d’une éducation « positive » à la sexualité – qui l’aborde en-dehors de perspectives moralisatrices et culpabilisantes –, pourquoi la France s’accroche-t-elle à une pudibonderie qui, en laissant les jeunes démunis face à leur propre expérience et découverte de la sexualité, favorise des comportements à risque, une information tirée de sources douteuses – internet, les médias, la pornographie – et jette un voile sur les problèmes véritables posés par une éducation à la sexualité qui se passe des questions d’égalité et de respect mutuel ?

En effet, malgré un discours officiel – de la part des pouvoirs publics, mais aussi des médias et des individus – qui prétend s’être emparé des questions des violences sexistes et sexuelles, les progrès en la matière se font attendre. L’opinion s’échine toujours à occulter les faits de violence, en mettant en doute la parole des victimes ou en feignant l’ignorance comme dans l’affaire Baupin ; un coupable-alibi – technologie, alcool, tenue vestimentaire… – est trop systématiquement mis en avant par l’opinion publique, laissant l’agresseur-se s’en tirer impunément. Le délire médiatique suite au suicide d’une jeune femme dans l’Essonne, qui a filmé et retranscrit son acte en direct grâce à l’application Périscope, est édifiant : l’accent est mis sur l’outil de diffusion, sans que les motifs de son suicide, le viol et les violences infligées par son ancien compagnon, ne semblent alerter les médias. Comme le résume l’article paru sur ce fait-divers sur Révolution Permanente, «  les médias et les experts en réseaux sociaux préfèrent donc lutter contre les « dérives » Périscope dans les collèges et lycées avant d’apprendre aux jeunes à respecter le consentement de son partenaire.  ».

Le HCE exhorte les pouvoirs publics, mais aussi la société française dans son ensemble, à prendre la mesure des progrès urgents à effectuer pour faire de l’éducation à la sexualité un moyen d’éduquer les jeunes à des rapports sains, sur le plan physique comme sur le plan psychologique. Leur programme tient en quatre points :
« Priorité 1Mieux connaître et reconnaître la sexualité des jeunes  ;
Priorité 2Renforcer de manière ambitieuse la politique interministérielle d’éducation à la sexualité ;
Priorité 3 Organiser, financer, évaluer et renforcer la visibilité de l’action de l’Éducation nationale en matière d’éducation à la sexualité  ;
Priorité 4 Responsabiliser les espaces-clés de socialisation des jeunes hors-école pour prendre en compte leurs parcours de vie.  » (Source : HCE, Rapport relatif à l’éducation à la sexualité)

Ce programme adressé aux pouvoirs publics vise ainsi, d’abord, à réformer la vision que nous avons de la sexualité des jeunes en s’appuyant sur les témoignages de ceux-ci, leurs représentations, leurs comportements et les sources d’information dont ils font usage. En effet, impossible d’imaginer une éducation à la sexualité qui ne mette pas les jeunes en position d’acteurs, tant dans la conception des « cours » que dans leur réalisation. Le HCE appelle ainsi à rendre la parole aux jeunes, sur des expériences qui sont les leurs, et concernant une éducation dont ils doivent bénéficier. L’accent est également mis sur la diffusion d’informations, insuffisante : en s’appuyant sur les médias par lesquels les jeunes s’informent, les pouvoirs publics doivent impérativement fournir des sources d’informations accessibles et complètes concernant la sexualité, les ressources disponibles, les associations spécialisées, la législation… En outre, l’absence de moyens financiers, humains et légaux est mise en cause, ainsi que le manque de formation des enseignants et encadrants à qui l’on demande, sans qu’ils aient eux-mêmes reçu d’éducation spécifique à l’accompagnement de la sexualité des jeunes, de fournir un effort supplémentaire pour délivrer tout de même un tel enseignement. On voit bien ici l’hypocrisie gouvernementale qui, en prétendant lutter contre les violences sexistes et sexuelles et prôner l’égalité entre les sexes, ne lève pas plus que le petit doigt pour saisir les problèmes à la racine…

Le rapport, extrêmement complet, aborde de nombreuses questions dans l’optique toujours revendiquée de «  doter [les jeunes] des connaissances, compétences et savoirs-être dont ils et elles ont besoin pour une vie sexuelle et affective épanouie  ». Les stéréotypes encore fortement enracinés dans les mœurs sont longuement questionnés : le rapport démontre, entre autres, l’influence de ceux-ci dans les comportements sexistes et homophobes qui engendrent au quotidien des violences physiques et psychologiques omniprésentes, ainsi que la profonde disparité qui existe entre les genres, tant en matière de représentations contrastées que de comportements prescrits et proscrits et de connaissances. Ainsi, le plaisir féminin reste largement ignoré ou méconnu, le désir féminin minimisé et fétichisé – la figure dominante de l’homme en matière de sexualité demeurant particulièrement écrasante. Le rôle de la société dans ces représentations, et celui qu’elle doit jouer pour les faire évoluer, est bien sûr majeur ; l’HCE propose ainsi un ensemble de mesures éducatives globales dont le but est de favoriser réellement et activement l’égalité entre les sexes et de faire reculer le paradigme hétérosexiste, qui situe homme et femme, hétérosexualité et homosexualité dans une hiérarchie pesante. En outre, une forte binarité des représentations de genre est présente ; le rapport lui-même n’en est pas exempt, puisqu’il n’aborde que peu la question des identités de genre autres, trans, bi, fluides… Par ailleurs, le rapport EGALiTER réalisé par l’HCE en juin 2014 et qui abordait la question de l’égalité homme-femme en milieu rural révèle également que les rapports sociaux de genre constituent une « valeur refuge » pour les milieux sociaux les plus marginalisés ou défavorisés.

Ainsi, le rapport du HCE est une aubaine pour amener l’opinion et le gouvernement à prendre conscience des représentations pathologiques véhiculées dans la société française ; reste à prendre en compte les propositions et les remarques afin d’élaborer une autre manière de concevoir la sexualité et de communiquer avec la jeunesse à ce sujet. Toutefois, nous doutons que les pouvoirs publics, nécrosés par les mêmes représentations négatives et dangereuses qui alimentent les violences sexuelles, sexistes, homophobes et transphobes dans notre société, fassent le nécessaire dans cette direction...


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