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Homonationalisme

L’homonationalisme : une instrumentalisation raciste de la lutte pour les droits LGBT

Des secteurs de l'extrême droite commencent à soutenir un discours d'inclusion envers les personnes LGBTIQ+ tout en plaçant l'Islam comme ennemi, comme c'est le cas de l'État d'Israël, qui a cherché à se positionner comme un joyau gay-friendly au Moyen-Orient. Qu'est-ce qui pousse les secteurs réactionnaires à instrumentaliser l'agenda LGBTIQ+ ?

Pablo Herón

26 avril 2021

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« Il devrait être possible d’être un Suédois gay aux cheveux blonds et aux yeux bleus en Suède », avait déclaré Jan Sjunnesson lors d’un rassemblement de quelques dizaines de personnes pendant la semaine des fiertés en 2016. Ce dernier est journaliste et adhère aux Démocrates suédois, un parti d’extrême droite. Un an plus tôt, il avait appelé à une marche des fiertés visant à faire le tour des quartiers à majorité musulmane de Stockholm.

Jana Schneider, leader des jeunes de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), assure que « les homosexuels de toute l’Europe doivent réaliser que l’islam politique est un danger pour eux et leurs droits », avait affirmé Pablo Stefanoni dans son livre La rébellion s’est-elle tournée vers la droite ?. La principale représentante de l’AfD est Alice Weidel, qui est publiquement lesbienne et vit avec sa compagne ainsi que leurs deux enfants.

Ce sont des forces politiques qui ont gagné en notoriété. Lors des dernières élections générales, les Démocrates de Suède sont arrivés en troisième position avec 17% des voix, idem pour l’AfD avec près de 13%. Sur le mariage pour tous, l’AfD tient un discours similaire à celui du Pape François, ils s’y opposent car un « mariage » est entre un homme et une femme, cependant ils soutiennent les unions civiles. En même temps, ils ont une politique de fermeture des frontières pour les migrants, le renvoi des réfugiés et un discours de haine contre l’Islam : « c’est une menace pour la paix nationale » dit son leader Alexander Gauland.

Tout ce qui se trouve à l’extrême-droite n’a pas forcément un discours de haine envers les personnes LGBTIQ+. En Europe et aux États-Unis, un phénomène récent mérite d’être analysé : des secteurs de l’extrême droite rompent avec leur association historique avec les valeurs familiales hétéronormatives, en intégrant à leurs agendas des politiques d’inclusion des LGBTI avec leurs propres objectifs. On peut légitimement se demander lesquels.

Marine Le Pen, du Rassemblement National, fait partie de ce secteur. Son objectif particulier était de dédiaboliser la droite, dans le cadre de la tendance croissante à l’« inclusion » et à la « tolérance » des personnes LGBTIQ+, qui a émergé pendant le néolibéralisme comme une contrepartie aux reculs des conquêtes sociales de la majorité de la population. Pour Marine Lepen, cela implique une rupture avec la tradition laissée par son père au sein du parti, Jean-Marie Le Pen, qui estime que l’homosexualité est une « anomalie biologique et sociale » qui peut conduire « à la disparition du monde ».
De cette façon, la nouvelle droite imite ce que Nancy Fraser (féministe américaine, ndt) a appelé le « néolibéralisme progressiste » pour décrire des gouvernements comme ceux de Bill Clinton ou de Barack Obama : l’alliance de secteurs de la classe capitaliste (et de leurs partis) avec certains secteurs « corporatistes » des mouvements (LGBTIQ+, des femmes, etc.) pour se donner une apparence progressiste, alors qu’ils mettent en œuvre des politiques qui vont à l’encontre de la majorité des travailleurs et des plus précaires.

Jan Sjunnesson à un rassemblement appelé par l’extrême droite à Stockholm en 2016

Les États ont commencé à soutenir la politique d’« inclusion » précisément pour se donner une nouvelle image et ainsi, coopter le mouvement qui a émergé à Stonewall dans les années 1970. Le mouvement, qui au début soulevait une perspective de libération sexuelle et anticapitaliste, a commencé à limiter son horizon à la conquête de droits élémentaires au sein des démocraties capitalistes sans remettre profondément en question les cadres d’une politique centrée sur les problématiques d’identités gays lesbiennes, bis, trans et intersexes.

Le cas des Démocrates suédois ou de l’Alternative pour l’Allemagne va bien au-delà de la simple « inclusion » et cherche à instrumentaliser les préjugés les plus réactionnaires qui traversent la société. À partir de ce discours, ils désignent comme ennemis les immigrés musulmans, la religion qu’ils professent ainsi que les États du Moyen-Orient où la persécution des personnes LGBTIQ+ est pratiquée. Pour réfléchir à ce phénomène, il est utile d’utiliser le terme « homonationalisme » inventé par la théoricienne queer Jasbir K. Puar dans son livre « Homonationalisme. Politiques queers après le 11 septembre ».

Puar cherche à montrer les interrelations entre les identités gay et lesbienne, la race, la classe sociale et les nations au lendemain de l’attaque des tours jumelles. Dans un article sorti en 2013, elle affirme que « l’homonationalisme est fondamentalement une critique de la façon dont les discours libéraux sur les droits des lesbiennes et des gays produisent des récits de progrès et de modernité qui continuent d’accorder à certaines populations l’accès à des formes culturelles et juridiques de citoyenneté au détriment de l’expulsion partielle et totale de ces droits d’autres populations ».

Pour illustrer ce contraste, il prend l’exemple d’Israël. Le pays gouverné par Benjamin Netanyahu, insoupçonné pour sa défense des droits de l’homme, promeut avec des fonds publics la ville de Tel Aviv comme une « Mecque » du tourisme LGBTIQ+ (pour ceux qui en ont les moyens, bien sûr). Ce à quoi s’ajoutent des mesures telles que des lois anti-discrimination qui promeuvent l’admission des gays et des lesbiennes dans l’armée.

Soldat israélien à la marche des fiertés de Jérusalem

Tout en prétendant être un paradis d’acceptation de la diversité, où des milliers de personnes profitent chaque année de la fête des fiertés et séjournent dans des hôtels luxueux, Israël exerce de l’autre côté la domination de la Palestine et de toute sa population dans le sang et le feu, qu’ils soient travailleurs ou travailleuses, religieux ou non, hétérosexuels ou LGBTIQ+. C’est ce qu’on appelle aussi le "pinkwashing", l’utilisation des droits des personnes LGBTIQ+ pour se laver du sang qu’ils ont sur les mains tout en développant une industrie très rentable.

La persécution des personnes LGBTIQ+ au Moyen-Orient est indéniable, avec y compris des cas de peines de mort. De nombreux États adoptent la charia (loi islamique) et criminalisent ainsi la sodomie, ce qui mérite une lutte sans relâche contre la discrimination et pour l’abolition de ces lois. Cependant, cette réalité n’efface pas la persécution des forces répressives que maintiennent les démocraties capitalistes en Occident même si elle ne devrait plus exister selon la loi, ni le grand poids des églises catholique et évangélique dans les politiques publiques.

Après des décennies de néolibéralisme, l’extrême droite est devenue capable de prendre part à l’agenda LGBTIQ+ pour renforcer sa lutte de fond : de plus grands avantages pour une minorité capitaliste riche. A la lumière de ces faits, il est important de revoir ce compromis du capitalisme néolibéral où seul un petit secteur de gays et de lesbiennes ayant la capacité de consommer peut jouir pleinement des droits qu’ils ont conquis, tandis que la grande majorité des personnes LGBTIQ+ subit les conséquences de la crise économique et sanitaire et la précarisation constante de la vie.

C’est pourquoi il est nécessaire de s’inspirer de la tradition du mouvement qui a émergé sur les barricades de Stonewall, qui a élevé sans complexe la libération sexuelle liée à une perspective anticapitaliste et révolutionnaire : l’émancipation de tous les exploités et opprimés, par opposition à une politique visant à bénéficier uniquement à une minorité de LGBTI aisée.

Cet article est une traduction d’un article initialement publié sur La Izquierda Diario.


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