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Interview de E., cheminot à la Gare du Nord

« La Réforme Ferroviaire, c’est aussi une attaque contre tous les travailleurs et les usagers »

Après une grève des cheminots pendant 15 jours en juin 2014, la direction et le gouvernement ont réussi à faire adopter la réforme ferroviaire au Parlement. Aujourd'hui, des discussions sont en cours entre syndicats et direction concernant l'application concrète de cette réforme. E., cheminot à Gare du Nord et ancien gréviste, revient sur les enjeux de cette réforme pour les cheminots, mais aussi pour l'ensemble des travailleurs. Il raconte à Révolution Permanente comment les cheminots vivent l'actualité chez Air France.

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Après l’adoption de la Réforme Ferroviaire en juin 2014, la direction discute et prépare aujourd’hui son application concrète. Quelles sont les discussions en cours et quelles seront les conséquences pour les cheminots ?

E : Le premier point à souligner est justement que nous sommes très peu informés par la direction de l’application concrète de la réforme. Les cheminots discutent entre eux parce que cela nous concerne directement, mais la seule chose dont on est sûr c’est qu’il y a des négociations qui se déroulent dans notre dos. Nous avons d’un côté les syndicats patronaux, dont la SNCF fait partie, et puis de l’autre côté les syndicats des cheminots, dont la CGT, Sud Rail, la CFDT. Le but de leur discussion est que toutes les entreprises ferroviaires qui vont intervenir sur le chemin de fer aient un socle commun, une convention collective commune pour leurs salariés. Pour les cheminots, l’enjeu est de faire en sorte que la base de cette convention collective commune reste la convention collective actuelle des cheminots qui est le fruit de nombreuses années de luttes. L’objectif de la direction est justement tout le contraire. Elle cherche à s’attaquer à nos jours de repos, à nos conditions de travail. Aujourd’hui, on n’a aucune information sur comment se déroulent ces négociations, les cheminots sont dans le flou total.

Quel est l’objectif de fond avec cette réforme ? Pourquoi l’avez-vous combattue ?

E : Avant tout, il faut dire que souvent les directions syndicales disent que la réforme proposée n’est pas bonne et qu’elles voudraient une autre réforme. Le slogan était souvent qu’une "autre réforme est possible". Mais le véritable but de cette réforme est de changer notre convention collective et c’est ça la véritable discussion qu’il fallait poser. Le discours du gouvernement et de la direction est de dire qu’il faut se serrer la ceinture puisque nous sommes en période de crise, que les cheminots ont trop d’avantages et qu’il faut donc changer cela.

Pour faire un parallèle, on peut penser à ce qu’on appelle un plan de compétitivité dans une entreprise normale. Il faut changer nos conditions de travail pour améliorer la "rentabilité". Concrètement par exemple pour les conducteurs de train il s’agirait de faire plus d’heures dans la journée, pour les cheminots au commercial cela signifierait des jours de repos en moins. La direction cherche avec cela à augmenter la productivité et l’argent récolté sur notre dos.

Quel est le lien entre cette question et la notion de service public ? Dans quelle mesure cette réforme aura un impact sur cette notion ?

E : Il est évident qu’une dégradation de nos conditions de travail, un changement dans notre convention collective aura un impact sur la qualité du service. Ce n’est pas pour rien qu’il y a des règles à respecter, les journées de repos, les pauses... Si les cadences augmentent, s’il y a un manque de personnel, c’est du stress en plus, c’est du repos en moins, et forcément cela nuit à la qualité et à la sécurité des usagers et des travailleurs qui prennent le train tous les jours. Depuis juin 2014, il y a en plus la loi Macron qui s’est ajouté à tout cela et on comprend bien que la SNCF est une entreprise qui veut faire de l’argent. Augmenter la productivité est ce dont elle a besoin pour faire cela. Quand on voit la politique de la direction de supprimer les lignes où il y a peu de voyageurs, c’est justement la notion de service public qui est mise de côté. Maintenir des lignes coûte de l’argent alors que c’est moins cher de mettre des bus à la place. Encore une fois, c’est la notion de rentabilité qui l’emporte sur la question d’un service public de qualité. L’objectif est donc simple : faire travailler les cheminots plus longtemps et fermer les lignes qui ne sont pas rentables avec un seul objectif : faire de l’argent.

Tu parlais de la grève de juin 2014 à laquelle tu as participé avec toute une nouvelle génération de cheminots. Comment cette expérience peut vous être utile pour l’avenir ?

E : La première chose à dire c’est que vu de l’extérieur les gens ne comprenaient pas pourquoi on faisait grève. Malheureusement, les voyageurs qui prennent le train tous les jours ne se sont pas sentis impliqués là-dedans parce que la direction et les médias avaient un discours qui consistait à dire que l’objectif était d’unifier la SNCF et RFF (Réseau Ferré de France) pour en faire une seule entreprise. Les gens n’y voyaient pas de problème et les syndicats ont malheureusement discuté sur ce même terrain, en essayant de contrer les arguments de la direction mais toujours sur le même terrain. Alors qu’ils auraient dû expliquer aux usagers les vrais enjeux de cette réforme : toucher à la convention collective pour mettre en place un plan de compétitivité, avec de lourdes conséquences sur la qualité du service. Par ailleurs, des plans de compétitivité, des attaques contre les conditions de travail, ce sont les choses que tous les travailleurs connaissent et vivent tous les jours dans leurs lieux de travail. Parler uniquement d’une "autre réforme ferroviaire", c’est-à-dire avoir un discours qui rentrait dans la logique de discussion qu’a voulu imposer la direction, nous a coupés des autres travailleurs.

Après, pour l’expérience de la grève en tant que telle, j’ai vécu ça en tant que jeune cheminot. Et il me semble qu’il y a eu pas mal de jeunes cheminots pour qui c’était leur premier mouvement important, une première expérience de lutte qui va nous être utile pour être mieux préparés pour les luttes à venir. Quinze jours de grève c’est quelque chose qui n’était pas arrivé depuis un moment. Malheureusement, ça n’a pas marché comme on aurait voulu, en partie pour les raisons que je disais et c’est une réflexion importante pour se préparer pour la suite. Ce n’est pas un hasard que les syndicats aient pris cet axe, il fallait qu’ils montrent que ça allait bouger un peu, il fallait prouver que les syndicats sont là pour ça, il fallait laisser à la base la possibilité de montrer qu’elle n’était pas contente... Donc on a fait grève, on a fait des manifs, on a gueulé... Mais au final cet axe choisi par les syndicats n’a pas permis d’aller au-delà, de gagner le soutien des autres travailleurs et imposer une victoire.

Jeudi dernier il y a eu un rassemblement en soutien aux salariés d’Air France qui subissent la répression pour avoir contesté un plan de 2900 licenciements. Quel lien fais-tu entre la situation à Air France et tout ce que tu viens de dire ?


E : La première bonne chose à dire est que tous les cheminots avec lesquels j’ai discuté, et ce encore ce matin, il n’y en a aucun qui a condamné la colère et l’attitude des salariés d’Air France. On s’est senti tous identifiés aux salariés d’Air France. Il s’agit d’une entreprise qui a été privatisée et aujourd’hui on peut voir le résultat : des suppressions de postes, des conditions de travail qui se dégradent... Les salariés d’Air France ont déjà accepté de faire beaucoup d’efforts, mais aujourd’hui on supprime quand même des emplois ! Ce qui se passe aujourd’hui chez Air France peut très bien être la situation à la SNCF dans cinq ans ou peut être moins, une fois que la SNCF sera devenue une entreprise privée, parce que c’est bien cela le but final. Ils vont nous demander de faire des efforts pour augmenter la rentabilité et les bénéfices de l’entreprise, on nous demandera de nous serrer la ceinture, et puis après on va nous pondre des plans de licenciements, on mettra les gens dehors quand ça ne sera plus rentable.

Par ailleurs, le gouvernement et le patronat nous font passer un message clair. Dans la situation de crise économique actuelle, il est inacceptable d’avoir des salariés qui ont encore des acquis, qui ont des organisations syndicales fortes. Pour eux, qu’ils soient les salariés d’Air France ou les cheminots, nous avons beaucoup trop d’avantages. S’ils s’attaquent aujourd’hui à nous, à nos acquis et à nos organisations syndicales, c’est pour envoyer un message à tous les salariés. Ils cherchent à taper fort et c’est pour cela qu’il faut que nous on soit en capacité de riposter tous ensemble. Aujourd’hui, nous sommes tous et toutes des salariés d’Air France !

Propos recueillis par Laura Varlet


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