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La grève générale met à l’arrêt le Myanmar et défie les militaires

Sous pression de la grève générale qui paralyse l’économie du pays, les militaires du Myanmar tentent de mettre fin à la contestation à travers une répression brutale.

Youri Merad

17 mars 2021

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L’économie du Myanmar est complètement bloquée depuis plusieurs semaines. Des millions de travailleurs se sont mis en grève, 90% des exportations et 80% des importations sont bloquées et les grévistes refusent de reprendre le travail tant que les militaires seront au pouvoir.

Ce saut en avant dans le rapport de force inquiète au plus haut point le gouvernement militaire, qui a opéré ces derniers jours un tournant répressif sanglant, d’une ampleur inouïe. La loi martiale a été déclarée à Yangon et dans de nombreuses autres villes du pays, et les militaires n’hésitent plus à ouvrir le feu sur les foules de manifestants qui continuent d’investir les rues partout au Myanmar.

La journée du 14 mars a été la plus sanglante depuis le coup d’État. Les militaires ont tué par balle au moins 39 manifestants ce jour-là, dont 22 dans le seul quartier industriel de Hlaing Thaya où des milliers de personnes avaient érigé des barricades pour faire face à l’assaut, ce qui porte à 190 le nombre de morts dans le mouvement depuis le 1er février.

Et ce n’est pas un hasard si l’armée s’est quasi-exclusivement concentrée sur la répression à Hlaing Thaya. Avec plus de 700 000 habitants, le quartier constitue à lui seul le plus grand parc industriel du pays en matière d’exportation portuaire notamment, et de l’industrie textile, dont les ouvrières ont joué un rôle majeur dans l’organisation du mouvement.

Hlaing Thaya a été visée comme étant le cœur et le point de départ de la grève qui effraie les militaires. Non seulement parce que ces derniers possèdent des intérêts privés dans une grande part de l’industrie et de l’économie du pays, mais aussi parce que le développement de la résistance qui s’organise contre le coup d’État se radicalise avec la méthode de la grève générale et prend une tournure de plus en plus irréversible contre le régime.

C’est en ce sens aussi que les militaires ont commencé à prendre des mesures répressives contre les fonctionnaires qui ont rejoint le mouvement de contestation. Ainsi, ce lundi on a appris que dix fonctionnaires ont été condamnés à des peines de prison pour avoir exprimé leur opposition aux militaires. Le gouvernement a aussi procédé à l’expulsion de leurs logements de fonction des fonctionnaires contestataires.

Cette peur des militaires s’explique par le fait que, en à peine un mois, la grève a réussi à s’étendre à travers tout le pays et bloque aujourd’hui l’ensemble de l’économie myanmaraise. Le 7 mars dernier notamment, alors que plusieurs secteurs sont déjà en grève dans différents secteurs productifs, les 18 centrales syndicales les plus importantes signent un appel commun à la grève générale nationale, jusqu’au départ des militaires.

Dans cet appel, les organisations écrivent qu’« ils n’accepteront pas d’être des esclaves de la junte militaire », et appellent les paysans, les mineurs, les travailleurs de l’énergie et du transport à stopper tout travail productif « tant qu’ils ne retrouvent pas leur démocratie ».

Depuis, la grève a effectivement pris une ampleur nationale dans de nombreux secteurs clés de l’économie. Sur le port de Yangon, par lequel transite la très grande majorité des importations et des exportations du pays, près de 90% des porte-conteneurs ont stationné plusieurs semaines en attentes de cargaison et sont finalement repartis complètement vides.

En cause une grève massive des personnels des banques privées du Myanmar, qui a commencé le 8 février, et qui a eu un impact tel que le paiement des droits de douanes pour la majorité des exportateurs a été rendu impossible. Quelques jours plus tard, près de 3 000 conducteurs de camions portuaires ont rejoint la grève, soit 70% des ouvriers du secteur, et empêché le déchargement de la plupart des paquebots sur le port. Ce premier mouvement de grève a ensuite donné l’élan nécessaire à de nombreux autres travailleurs du secteur portuaire puis aux fonctionnaires des douanes poyr se mettre en grève.

Les échanges commerciaux avec l’extérieur ont alors été complètement bloqués. La production de textile a très vite été fortement impactée par un manque de matières premières. Mais la plus grande inquiétude qui pèse sur le gouvernement militaire désormais, c’est la pénurie qui s’annonce. Le pays consommerait environ 15 000 barils de carburants chaque mois, et n’aurait suffisamment de stock que pour y subvenir durant 2 mois.

Le gouvernement militaire a même organisé une réunion à ce propos dès le 25 février pour réorganiser les échanges commerciaux et réduire, ne ce serait-ce qu’un peu, leur dépendance au pétrole. Leur inquiétude principale étant de perdre tout accord commercial avec leurs principaux partenaires étrangers.

Une telle situation est intenable sur le long terme pour le gouvernement qui refuse de céder, et qui met donc en place tous les moyens répressifs imaginables pour mettre fin au mouvement de grève. Pourtant, chaque jour supplémentaire de blocage rend la situation plus explosive pour la population, et la répression ne semble pas atteindre la détermination du mouvement.

Face aux offensives mortelles de la junte militaire, une représentante syndicale dans une entreprise textile qui produit des vestes pour Adidas témoignait dans le New York Times : « Plus je vois leur souffrance, plus j’ai envie de me battre, même au risque de mourir ».

Dans le contexte de la pandémie notamment, la population fait face à une crise sans précédent. Avec un taux de pauvreté extrême qui a triplé en un an, touchant désormais 63% des habitants. Et le manque de ressources qui s’étend dans les supermarchés a fait flamber les prix de l’huile de palme et du riz d’environ 20% d’après le World Food Program.

Dans ces conditions, le mouvement se retrouve dans la croisée de chemins sur plusieurs aspects. La grève est en train de toucher les intérêts des militaires mais en même temps, les ouvriers et ouvrières ainsi que les classes populaires s’enfoncent dans une situation économique grave. C’est en ce sens que se pose le besoin d’un contrôle ouvrier et populaire sur le partage des produits de première nécessité, pour subvenir elle-même à ses besoins quotidiens de la population. Cela risque de mettre en contradiction les intérêts de la population ouvrière avec ceux des capitaliste qui, pour certains, tentent de tirer profit de la situation. L’auto-organisation ouvrière sera par conséquent fondamentale pour faire face à ces défis pour la continuité de la lutte contre les militaires.


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