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Tribune libre

La guerre qui vient

Après la nette victoire du « oui » lors de la consultation publique, organisée par l’État le 26 juin en Loire-Atlantique, dans le but de conférer au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes l’onction du suffrage universel – espérant de fait renforcer considérablement sa légitimité auprès de l’opinion publique et d’une classe politique censée être respectueuse de la règle majoritaire –, le gouvernement socialiste semblerait ne plus vouloir perdre de temps. Hugo Melchior

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En effet, la date de la nouvelle tentative d’évacuation par la force de la ZAD (« Zone à défendre ») et de ses habitants, condition de possibilité pour que les travaux puissent, enfin, effectivement débuter, semble se préciser. Ainsi, comme il y a quatre ans, une opération de « pacification » du territoire de Notre dame des landes, sur lequel doit voir le jour l’aéroport du Grand Ouest, devrait intervenir au début de l’automne, alors que la campagne présidentielle aura déjà commencé, notamment chez les Républicains.

Particulièrement satisfait d’avoir remporté la bataille du suffrage universel, après avoir pris néanmoins, faut-il le rappeler, les dispositions nécessaires pour maximiser ses chances de succès avec l’exclusion de la Bretagne – région particulièrement hostile à ce projet – du périmètre de consultation, le gouvernement voudrait pousser son avantage et ainsi faire sauter le verrou que constitue la présence sans titre, et donc illégale, de ces centaines d’opposants à ce projet de transfert d’aéroport. Ces derniers avaient en effet continué à occuper, une fois « l’opération César » mise en échec et suspendue au mois de décembre 2012, tout en les mettant en valeur par leur travail productif et collectif, en lien étroit avec les opposants historiques de culture paysanne, les terres fertiles devant être détruites à cause des travaux.

Une sortie de crise est-elle réellement envisageable, après le vote du 26 juin, ou une nouvelle épreuve de force entre les parties aux prises depuis des années est-elle inévitable ?

Pour qu’il y est une sortie de crise à court terme, il faudrait nécessairement qu’une des deux parties consente à capituler en renonçant à ce que pourquoi elle se bat depuis des années. Ainsi, il faudrait soit que le gouvernement décide en dernière analyse d’abandonner le projet, en dépit du feu vert donné par une majorité de citoyens-votants de Loire Atlantique, soit que les opposants renoncent à lutter contre ce pourquoi ils luttent depuis des décennies et laissent par voie de conséquence l’aéroport se faire. Or, ces mêmes opposants ont été parfaitement clairs dès l’annonce des résultats de la consultation démocratique : le vote est considéré comme nul et non avenu. Celui-ci ne les engage en aucun cas. C’était attendu, et ni le gouvernement, ni les partisans de l’aéroport n’étaient, il faut l’espérer, suffisamment naïfs pour imaginer que les opposants allaient devenir enfin « raisonnables » grâce à la seule magie de la règle majoritaire et renoncer par voie de conséquence à occuper collectivement la ZAD.

Non, les opposants à ce projet de transfert d’aéroport, jugé à la fois inutile et scandaleux d’un point de vue environnemental, ne partiront pas spontanément. Jamais. Ils resteront, prêts à défendre leurs espaces de vies, ce de quoi la lutte contre ce projet d’aéroport est le nom, quitte recourir à des formes d’actions variées, y compris l’usage délibéré de la force face à une offensive sécuritaire d’envergure de la part de l’État agresseur.

La lutte contre le projet d’aéroport est devenue un lieu d’attraction, d’aimantation, d’identification pour des milliers de femmes et d’hommes parce qu’elle cristallise la volonté partagée de remettre en cause la continuité productiviste, l’espérance de pouvoir faire bifurquer l’humanité pour l’amener à prendre un autre chemin que celui de l’ordre productif capitaliste qui, pavés de bonnes intentions, conduit inexorablement l’humanité à sa perte programmée. Cela peut être un facteur d’explication permettant de comprendre pourquoi le processus d’identification dépasse très largement Notre Dame Des Landes, la région du Grand Ouest, et pourquoi l’opposition à ce projet s’est progressivement nationalisée jusqu’à épouser l’ensemble du territoire avec plusieurs dizaines de collectifs existant à l’heure actuelle.

Elle est également un événement du fait que par sa seule existence, elle rende possible des jointures, des liaisons entre des personnes issues d’horizons divers qui ne se seraient jamais rencontrées normalement. Elle est, ainsi, un lieu de convergences des aspirations, des espérances, des intentions qui, par-delà leur multiplicité, ont pour dénominateur politique commun leur refus de se résigner à considérer la société capitaliste comme la seule forme d’organisation sociale faisant partie du champ des possibles. Cette lutte exemplaire est l’expression d’un refus du paradigme productiviste, mais aussi d’une volonté de rappeler qu’il est plus jamais nécessaire de travailler à la création de nouveaux possibles, de nouveaux autrement, ici et maintenant, sans attendre un hypothétique changement systémique par la loi.

Ce vote risque bien d’être le prélude à de nouveaux affrontements, avec le risque d’une explosion de violences, car ce sont des milliers de personnes venues de toute la France, et même de pays frontaliers, qui convergeront, dès que l’information de l’intervention policière leur seront parvenue, vers Notre Dame Des Landes, afin de venir soutenir concrètement les occupants. La mobilisation contre la loi travail, bien que défaite, aura été une excellente école de formation pour des dizaines de milliers de jeunes gens, et aussi de moins jeunes, le cœur très à gauche, très sensible à la question des « grands projets inutiles imposés », dont l’aéroport Notre Dame des Landes constitue l’archétype. Nombre d’entre eux ne manqueront pas de réinvestir les savoir-faire acquis au cours de ces semaines de lutte pour mettre en échec l’État PS et au passage prendre leur revanche.

Ainsi, pour tous les opposants à ce projet, les problèmes demeurent entiers : comment protéger les lieux de vie d’une offensive policière irrésistible ? Comment gagner la bataille de l’opinion malgré le vote en faveur du projet ? Comment élargir toujours plus l’assise populaire du mouvement d’opposition ? Les opposants ont profité de ces quatre années d’accalmie sur place pour créer du fait accompli et cela en multipliant le plus possible les constructions habitables sur la ZAD, mais aussi l’érection de barricades, pour rendre ainsi quasiment impossible le nettoyage complet de cette zone. En 2012, le gouvernement, dirigé alors par Jean-Marc Ayrault, avait commis l’erreur politique majeure de sous-estimer la réalité de l’opposition à ce projet d’aéroport, de minorer sa base sociale.

Confronté à la détermination et à l’unité plurielle des opposants qui opposèrent sur place, par différentes modalités d’actions (manifestation de masse tel le 17 novembre 2012, résistance non-violente, confrontation directe avec les force de l’ordre, vues comme des troupes d’occupation, pour retarder leur progression, etc), il a fallu au gouvernement temporiser et finalement renoncer à conduire cette difficile opération de maintient de l’ordre jusqu’à son terme.

Quatre années ont passé. Et nous voici revenu au point de départ. Face à des opposants de plus en plus nombreux et organisés, qui ne comptent pas se résigner à aller négocier les conditions de leur défaite, le gouvernement sait qu’il ne pourra pas faire l’économie d’un recours à la force publique pour rendre propre la ZAD de ces nombreux foyers de résistances et de ceux qui personnifient par leur présence sur place le refus obstiné de cet aéroport et par là-même de la « logique productiviste mortifère » qui l’a fait naître.

Alors que l’échéance approche, il faudra que le gouvernement, qui sort déjà particulièrement affaibli de quatre mois de mobilisations contre la réforme néolibérale du code du travail fasse un choix définitif : soit il refuse de perdre la face et il décide de continuer à soutenir jusqu’au bout ce projet approuvé par une majorité de votants de Loire Atlantique et dans ces conditions, il lui faudra alors assumer une offensive sécuritaire pour pouvoir le mener à bien et donc l’explosion de violences qui aura lieu inévitablement sur la ZAD, mais aussi ailleurs en France en réaction. Soit, au contraire, il juge que l’opération d’évacuation est bien trop risquée, trop coûteuse en hommes (plusieurs milliers seront nécessaires pour évacuer et sécuriser la zone), alors que la menace terroriste demeure, admettant que les conditions ne sont plus réunies pour qu’un tel projet puisse se faire.

Cette bifurcation sera, certes, interprétée par les commentateurs comme une défaite politique et le gouvernement subira à n’en pas douter un procès en capitulation de la part de la droite déjà en campagne. Toutefois, celle-ci lui évitera un probable nouvel enlisement comme en 2012, car les mêmes causes (offensive sécuritaire d’envergure) produiront les mêmes effets (défense acharnée de milliers d’opposants), au risque de commettre à nouveau l’irréparable, si la répression devait tourner à nouveau au drame, comme à Sivens en octobre 2014, avec la mort du jeune militant écologiste Remi Fraisse, à la suite de l’explosion d’une grenade offensive.

Au bout du compte, seul le gouvernement peut empêcher qu’un tel scénario de violences ne se produise, mais pour cela il se de doit renvoyer aux calendes grecques ce projet de construction aéroportuaire. Après quatre mois d’obstination déraisonnable relative à la loi travail, il est encore temps de se raviser…


      
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