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Le Califat ne connaît pas la crise ?

La sainte austérité imposée par Daesh sur ses territoires

Peu importe qu’elle soit sainte, le nerf de la guerre c’est l’argent. L’État peut être islamique, l’économie est capitaliste. Et, en temps de crise, la recette est la même que dans n’importe quel « État infidèle » : l’austérité.

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Non sans ironie et avec un brin de dérision les journaux internationaux ont informé ces derniers jours de la mesure drastique prise par les autorités de Daesh : le salaire de ses combattants, quel que soit le rang, va être raboté de 50%. Ainsi, les djihadistes seront payés désormais moins de 200 euros par mois et les djihadistes venus de l’étranger autour de 370 euros par mois.

Une paye bien misérable pour des « guerriers d’Allah ». Et cela même avant la coupe dans les salaires d’ailleurs. Cependant, ce salaire reste supérieur ou du moins égal à celui des membres des forces armées de n’importe quel État de la région. Les combattants de Daesh ne verront cependant pas leur aide alimentaire coupée.

Il y a plusieurs facteurs qui expliquent les difficultés économiques de Daesh. Il y a tout d’abord une intensification des bombardements contre des cibles économiques : banques, puits de pétrole, routes, ponts et différentes infrastructures dans le territoire contrôlé par Daesh. Et cela aussi bien de la part de la coalition dirigée par les États-Unis que par la Russie.

Cette offensive rend plus difficile l’acheminement du pétrole et a comme effet une augmentation du prix de celui-ci le rendant moins compétitif. Parallèlement, suite à des accusations répétés de complicité entre le gouvernement de Erdogan et Daesh, il y a un plus grand contrôle à la frontière turque, par où une partie du pétrole de Daesh transite habituellement.

Mais au-delà de ces éléments on doit mentionner également la baisse du prix du pétrole. L’économie de Daesh n’est pas totalement coupée de l’économie mondiale. Et le prix du pétrole produit par Daesh est aussi lié aux prix internationaux du baril de brut. Avec un baril à moins de 30 dollars, les profits de l’État islamique sont à la baisse. Cette baisse des gains de Daesh serait encore plus importante, selon un analyste cité par Le Monde , car « sur environ 80 puits exploités sur les territoires sous son contrôle, l’État islamique en a perdu 69 en un an et demi. La plupart des puits restants sont vieillissants et ne suffisent plus à répondre à ses besoins militaires et à ceux des populations vivant dans sa zone ».

Daesh au pouvoir, le pouvoir de Daesh


A la différence d’autres organisations dites « terroristes » comme Al-Qaeda, Daesh possède une caractéristique qualitativement différente : c’est une organisation qui gouverne une zone où l’on estime qu’habitent 10 millions de personnes. Daesh ne dépend pas (simplement) de dons particuliers depuis l’étranger, il possède une structure économique propre basée sur l’industrie pétrolière.

Tout cela implique une gestion économique, sociale et politique assez sophistiquée. Un article du Financial Times d’octobre dernier analysant le fonctionnement économique de l’État Islamique, expliquait par exemple que la mise en route de l’industrie pétrolière dans les territoires de Daesh impliquait l’embauche de personnel qualifié tels qu’ingénieurs, formateurs, ouvriers qualifiés, managers, etc.

Dans ce même article on expliquait le risque de déstabiliser économiquement l’État Islamique : « le diesel et le pétrole produit dans les zones de Daesh ne sont pas seulement consommés dans le territoire contrôlé par le groupe mais aussi dans des zones techniquement en guerre contre lui, telles que le nord de la Syrie contrôlé par les rebelles : la région est dépendante de l’essence des djihadistes pour survivre. Des hôpitaux, des magasins, des tracteurs et les machines utilisées pour sortir les victimes des décombres fonctionnent grâce à des générateurs boostés par l’essence de Daesh ».

En ce sens, mettre à l’arrêt complet la machine économique de Daesh pourrait aussi avoir des conséquences pour les alliés des occidentaux dans la région.

Les limites de Daesh au pouvoir


Cependant, ce serait erroné de croire que cela fait un Daesh « tout puissant ». Au contraire, la gestion d’un vaste territoire peuplé par des millions de personnes, et non simplement la gestion de combattants, impose certaines contraintes et également des risques.

D’un point de vue économique, l’industrie pétrolière, comme toute industrie, a besoin non seulement d’une expertise assez avancée mais aussi de l’entretien et du renouvellement des machines ainsi que d’améliorations techniques et de l’organisation du travail. Pour cela Daesh devra investir. Or, dans la situation d’isolement international dans lequel se trouve l’État Islamique il est difficile d’imaginer qui pourrait prendre le risque de lui prêter de l’argent. L’autofinancement ne sera pas suffisant. Mais l’argent ne suffit pas. La technologie, pour une industrie qui demande tant de précision, est détenue essentiellement par des pays impérialistes aujourd’hui en guerre contre Daesh.

Une option serait que Daesh ouvre des voies de négociation avec certaines puissances. Même si rien ne peut être exclu, pour le moment cette option semble complètement fermée. Aucune puissance ne déclare (ouvertement) vouloir négocier quoi que ce soit avec l’État Islamique actuellement. En effet, sur un plan géopolitique et militaire Daesh n’a aucun allié étatique.

Une autre question centrale est celle de la gestion sociale du territoire contrôlé par Daesh. Il est évident que, pour se maintenir au pouvoir, l’organisation islamiste ne peut pas seulement avoir recours à la « terreur », il lui faut créer du consensus avec une partie de la population. C’est cela qui explique sa politique « sociale » comme les aides aux familles des combattants, les subventions pour certains produits de base comme le pain, entre autres.

Or précisément, les mesures drastiques d’économie prises par Daesh n’affectent pas que les combattants mais l’ensemble de la population vivant dans les territoires que celui-ci contrôle. Ainsi, selon l’article du Monde déjà cité : « A Rakka (…) l’EI a annoncé en ce début d’année une libéralisation de son prix, laissant aux fours à pain de la région la latitude de déterminer le prix de la denrée, jusque-là fixé par l’organisation, qui la subventionnait. (…) A la mi-janvier, le kilogramme de pain se vendait autour de 135 livres syriennes (0,65 euro) – 86 livres au début de l’année 2015 –, contre 50 livres à Damas. (…) La consommation quotidienne de pain dans la province de Rakka se serait effondrée de 70 % en volume sur une année (…) Et le coût du fioul, alors que les températures dans la vallée de l’Euphrate flirtent régulièrement avec les 5 °C en cette saison, augmente régulièrement ».

Tout cela met à l’épreuve Daesh. On ne peut donc pas exclure que la contestation parmi la population et même parmi des factions du pouvoir n’apparaissent dans la prochaine période. Il est évident que des révoltes dans les territoires contrôlés par Daesh pourraient avoir des conséquences directes dans les territoires contrôlés par les forces rebelles et par celles du régime. C’est du côté du resurgissement d’une nouvelle vague de contestation populaire dans la région que peut venir l’espoir pour les exploités et opprimés en Syrie et ailleurs.

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