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Mai 68, 50 ans et pas une ride...

Le "Mouvement du 22 mars " : de la contestation étudiante à la grève générale

"Si vous me demandez de quoi je suis le plus satisfait, c'est sans doute de l'Education nationale" déclare Georges Pompidou à l'automne 1967 lorsqu'on l'interroge sur les bilans de ses cinq années de fonction en tant que Premier ministre. Mais les 500 000 étudiants de la fin des années 1960 ne sont pas du même avis. La jeunesse loin de se réjouir de ses conditions d’étude, bouillonne, se radicalise, étouffe. Les rapports d'autorité, de pouvoir, à l'université et ailleurs ; la domination coloniale, l'impérialisme, les bidonvilles, l'aliénation au travail, agitent et mobilisent une jeunesse qui aspire à "changer le monde". Le 22 mars 1968, 142 étudiant.es décident d'occuper la tour administrative de la faculté de Nanterre. Ce sera le début du "Mouvement du 22 Mars" qui sera au cœur des premiers jours de mai suivis par la suite de huit semaines de grève générale. A 50 ans de mai 68, à l'aube d'une journée de grève nationale de la fonction publique, des cheminots et des étudiants, le point de départ de la plus longue grève générale française doit nous inspirer pour penser le combat contre le gouvernement de Macron "et son monde".

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Une contestation étudiante à l’échelle mondiale

L’histoire du mai 68 français est reliée à un contexte mondial marqué par un vent de contestation dans la jeunesse. La contestation de l’ordre dominant et des dominations est à l’ordre du jour. Les étudiants, les jeunes, se politisent et s’intéressent de près à la révolution cubaine, à la révolution culturelle chinoise ; redécouvrent les écrits théoriques, marxistes, libertaires, et la pensée critique. Se développe également un mouvement anti-impérialiste aux quatre coins du monde. La jeunesse contestataire occidentale s’oppose à la guerre du Vietnam, et est inspirée par les Etats-Unis où la contestation politique et culturelle, surtout après 1965, s’organise sur différents campus et est sévèrement réprimée par la police.

En France, la contestation de l’ordre établi, des dominations impérialistes et coloniales, se développe dans les rangs d’une jeunesse à qui l’on a ouvert les portes de l’université au sortir de la seconde guerre mondiale. Une université qui accueille de plus en plus d’étudiants - 340 000 en 1960 pour atteindre le nombre de 850 000 en 1970 - auxquels on promet l’ascension sociale, l’accès à la formation intellectuelle et à la liberté de choisir son emploi. Mais à la fin des années 60, la France connaît un ralentissement économique ; les conflits sociaux se multiplient pour des augmentations de salaires, contre la hiérarchie au sein des entreprises. Une frange d’étudiants comprend que l’avenir semble incertain, précaire tandis que le présent est ennuyeux, autoritaire, sclérosé dans une université qui veut faire d’eux des petits cadres, pour gérer l’Etat, les administrations et exploiter la classe ouvrière

Face à une masse d’étudiants issus des classes moyennes et populaires qui se politisent, organisent des rassemblements, le gouvernement conscient de la possibilité qu’émerge un mouvement étudiant émet le souhait à la fin de l’année 1967 de « contrôler et normaliser la croissance des effectifs des étudiants », ou autrement dit d’instaurer la sélection à l’université. A Nanterre, en novembre 1967, une grève éclate contre la sélection envisagée dans le premier cycle, accompagnée d’un discours contre le contenu des enseignements, de ce qu’ils appellent "la formation des oies gavées". La remise en cause du fonctionnement de l’université ne va pas tarder à déboucher sur une contestation d’ensemble de la société capitaliste et impérialiste...

Nanterre, l’étincelle : la naissance du Mouvement du 22 Mars

La faculté de Nanterre en 1968 concentre les contradictions de l’université publique des années 1960. L’université accueille des dizaines de milliers d’étudiants mais manque de moyens matériels. Les conditions d’études se dégradent. Le campus est isolé, encore en travaux, et a vu le nombre d’étudiants en lettres doublé en 1962. En son sein, la situation d’isolement du campus ainsi que la proximité avec les bidonvilles de Nanterre, la présence de nombreux étudiants étrangers, favorisent la politisation, la prise de conscience, les échanges entre étudiants et militants. Un noyau d’étudiants de divers courants d’extrême gauche (maoïstes, libertaires, anarchistes, marxistes...) est prompt à contester les enseignements, à revendiquer la liberté sexuelle, à s’opposer à la guerre du Vietnam.

Ainsi, au cours des années 1967-1968, Nanterre est le théâtre de divers mouvements de protestations. Dans les départements de sciences sociales, les étudiants protestent contre la sélection, les examens, le contenu des cours... Le 14 mars 1968, des étudiants en psychologie décident de boycotter les partiels pour dénoncer la "léthargie, la déception et le dégoût qui forment l’atmosphère quotidienne de tout amphithéâtre" [1]. Parallèlement, des étudiants, libertaires, font campagne pour la liberté sexuelle. A l’époque, dans les cités universitaires les règles sont strictes : les filles ne peuvent pas sortir après 23h et les garçons n’ont pas le droit de se rendre dans les dortoirs des filles. Le 21 mars 1967, des étudiants de la cité U de Nanterre, qui seront les futurs fondateurs du "Mouvement du 22 mars", décident d’occuper le Bâtiment B, celui des filles et y passent la nuit. Un mouvement d’occupation qui s’étend à d’autres universités à Nantes, Grenoble, ou encore Aix en Provence.

Un an plus tard, à un jour près, suite à une manifestation en soutien au peuple vietnamien plusieurs étudiants sont arrêtés. Le 22 mars 1968, 142 étudiant.es occupent en signe de protestation la salle du conseil des professeurs au 8ème étage du bâtiment de l’administration de Nanterre. C’est le début du "Mouvement de 22 mars" considéré comme l’étincelle de mai 1968.

"Mai, c’est parti"

Le président, le doyen Grappin, décide alors de fermer l’université jusqu’au 1er avril. Mais rien ne se calme pendant les vacances scolaires. A compter du 22 mars, les étudiants réclament, occupent, des amphithéâtres pour mener des débats sur tous les sujets qui les animent. Une "liste noire" des étudiants jugés être à l’origine de cette agitation est dressée par le Doyen. Sur cette liste, il y a, entre autres, Daniel Cohn Bendit qui sera l’une des figures du mouvement des premiers jours de mai 68.

En effet, le 1er mai 1968, huit étudiants dont Daniel Cohn Bendit sont convoqués devant la « Commission des affaires contentieuses et disciplinaires » de l’Université de Paris siégeant à la Sorbonne. Le Mouvement du 22 mars organise le 2 mai une "journée anti impérialiste" qui conduit à la fermeture de l’université de Nanterre, une nouvelle fois. Nanterre fermée, le 3 mai, le Mouvement se rend à la Sorbonne pour tenir un meeting. Puis, tout s’accélère. La rumeur d’une attaque de l’extrême droite circule, les étudiants décident d’occuper la Sorbonne, l’Etat envoie les CRS. C’est le début des affrontements dans le quartier latin entre étudiants et forces de police sur plusieurs jours. Arrestations, répressions, lancés de pavés, les étudiants reçoivent le soutien d’autres étudiants et de lycéens toujours plus nombreux puis bientôt sont rejoints par le mouvement ouvrier. Mai 68 peut commencer...


[1Les Luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Michelle Zancarini-Fournel, Zones, 2016, 996 p.



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