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Désintox

Le Point, chien de garde de la police dans l’affaire Théo ?

Il y a une dizaine de jours, le journal Le Point avait lancé une première offensive, en expliquant – sans les avoir visionnées – que les images de la vidéosurveillance corroboraient la version policière selon laquelle Théo aurait attaqué lui-même les agents de la BST qui l'ont agressé. Ce jeudi, il a fait paraître un deuxième volet de cette intox sordide. Toujours la même méthode : un copié collé des déclarations de l'IGPN, de celles des policiers et de leur défenseur de service, l'avocat Daniel Merchat, que l'on retrouve auprès des policiers responsables de la mort de Zyed et Bouna en 2005 comme de ceux qui m'ont agressé le 22 septembre dernier. Décryptage.

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« L’interpellation était légitime, l’usage de la force était légitime, seules les conséquences de l’intervention –blessure anale– sont disproportionnées sans qu’on soit en mesure de déterminer les responsabilités, à ce stade ». C’est avec cette citation du rapport de l’IGPN – une institution qui, rappelons-le, est elle-même composée de policiers, une « bizarrerie » au demeurant bien pratique pour protéger l’impunité – que Le point débute cette fois-ci son article. La phrase condense en quelques mots le tour de force qui s’opère depuis déjà trois semaines : d’une part, dédouaner les agents de la BST, en faisant passer le viol de Théo pour accidentel et son tabassage pour normal ; d’autre part, et c’est l’innovation de ces derniers jours, retourner l’accusation en rendant Théo lui-même responsable de ce qui s’est passé. Un mensonge d’Etat écoeurant. Décryptage d’une défense inconditionnelle des violences policières qui ne tient pas la route.

En premier lieu, Le Point en appelle dans son premier torchon (daté du 16 février dernier) à la vidéosurveillance pour accuser Théo de violence envers les policiers. L’auteur (qui s’est visiblement spécialisé dans ce genre de papier, comme lorsqu’il s’insurgeait, le 13 janvier dernier, contre le quartier du Clos-des-roses à Compiègne, « Zone de non-droit » selon son titre), a-t-il vu les images dont il parle ? Non, puisqu’elles sont jalousement gardées par l’IGPN, qui n’a fait fuité que son rapport de visionnage. Faut-il rappeler que les images de vidéosurveillance sont systématiquement l’objet de manipulations dans le cadre des investigations sur les violences policières ? Celles qui ont enregistré la mort de Abdoulaye Camara, ciblé par une dizaine de balles policières en 2014 alors qu’il ne présentait aucun danger, ont opportunément disparues. Même topo pour les violences policières du 5 juillet devant l’assemblée nationale, dont les victimes ont ensuite été chargées de « rébellion ». Même topo dans mon affaire. Et dans des dizaines d’autres.

Mais soyons plus précis encore. Dans ce premier article donc, le journaliste affirme que « les images des trois caméras de vidéosurveillance de la municipalité » (en fait le texte du rapport qu’il a consulté) corrobore le récit du policier violeur. Mais en réalité, il consacre la moitié de son papier à citer in extenso les déclarations de ce dernier, sans aucune distance. Jusque là, on est en face de la parole de l’agresseur, de sa tentative d’allumer un contre feu. Rien d’original. Puis vient l’affirmation selon laquelle le rapport de l’IGPN validerait cette version des faits. Sur quoi s’appuie-t-elle ? Sur la citation suivante issue du rapport, mise en exergue dans l’article : « À 16h47 et 50s, constatons que le nommé L(Théo, NDLR) se bat avec les fonctionnaires de police ».

« Se bat » : que recouvre véritablement l’expression ? Les images permettraient vraiment de le savoir, en plus des témoignages des habitants présents ce soir-là et qui portent une autre version. Notons néanmoins que c’est Théo qui en est sorti avec le visage tuméfié, en plus de sa blessure à l’anus. Une description sincère aurait probablement amené les inspecteurs de l’IGPN à écrire que ce dernier « est battu » par les policiers à 16h47 et 50s. Mais c’est en réinsérant cette citation dans le reste du rapport qu’on découvre la plus grande incohérence. Voici le passage complet : « À 16h47 et 35s, constatons qu’un individu1 repousse le gardien de la paix. À 16h47 et 50s, constatons que le nommé L (Théo, NDLR) se bat avec les fonctionnaires de police. À 16h47 et 50s, constatons que le nommé L est emmené au sol. À 16h47 et 53s, constatons que le gardien de la paix utilise le bâton télescopique de défense au niveau des jambes du nommé L et qu’un usage de gaz lacrymogène a été utilisé. A 16h48 et 38 s, constatons que le nommé L est menotté ».

Voici donc la scène exacte, dans sa version rapportée par l’IGPN : « A 16h47 et 50 seconde », il y a un premier contact entre les policiers et Théo. Et...toujours « à 16h47 et 50s », donc immédiatement, sans aucun délai, Théo tombe et est « emmené au sol ». Trois secondes plus tard (trois secondes !) l’IGPN remarque que Théo est frappé à la matraque télescopique « au niveau des jambes » et gazé. Quarante secondes plus tard, il apparaît menotté. La scène entière n’a pas duré une minute, et Théo a été plaqué au sol dès la première seconde. C’est ce qui ressort du rapport même de l’IGPN, pourtant écrit à l’avantage des policiers. Et que fait l’auteur de l’article du Point ? Il écrit ce jeudi 25 février : « Dans ces images (qu’il n’a toujours pas vues !), on voit près de 3 minutes de combat entre Théo et un policier, une sorte de corps-à-corps qui se termine à l’avantage du gardien de la paix ». Rien de moins ! Ce dernier a en effet déclaré avoir été frappé à plusieurs reprises (sans en porter aucune traces...) par un Théo incontrôlable. En fait, loin de corroborer ce récit, le rapport de visionnage de la vidéosurveillance le rend déjà caduc. Mais Le Point n’en a visiblement rien à faire, préoccupé qu’il est de défendre l’indéfendable.

Reste une énorme incohérence dans le récit policier défendu grossièrement par ces deux articles, et, sur ce point en particulier, couvert coûte que coûte par l’IGPN : comment Théo a-t-il été blessé comme il l’a été, d’une déchirure d’une dizaine de centimètre du canal anal ? Sur ce point tout a déjà été dit ces derniers jours, et d’ailleurs personne ne peut être dupe : aucun coup de matraque « dans les jambes », ou même « au niveau des fesses » comme cela était dit au départ dans la version officielle – revue donc pour l’euphémiser dans le rapport de l’IGPN – ne peut provoquer une telle lésion. Il y a bien eu insertion dans la matraque télescopique. C’est un viol. Et c’est probablement pour cela que des images appartenant aux pouvoirs « publics » (en l’occurrence la mairie d’Aulnay) ne sont pas rendues publiques.

Un dernier mot, en guise de conclusion. Dans le chapeau introductif de son article, le journaliste a le culot d’écrire : « La police des polices cherche toujours à comprendre comment l’intervention de la BST a pu causer une telle "blessure anale" à Théo ». Evidemment, ils ne cherchent rien d’autre qu’à cacher une vérité qu’ils connaissent, et dont de nombreuses personnes ont d’ailleurs été témoins. Mais alors, comment comprendre un tel acharnement sur Théo ? La réponse est politique, comme le sont l’ensemble des ces violences et humiliations pratiquées par la police contre les jeunes des quartiers populaires. Théo Luhaka n’était pas visé par le contrôle violent de la BST sur un groupe de jeunes ce jeudi 2 février. Mais il a commis aux yeux des policiers un crime politique : il a demandé des comptes. S’il a été tabassé, violé, c’était pour le rappeler à l’ordre : ce que fait la police ne doit pas être dénoncé, encore moins contesté. Silence. C’est ce courage, que Théo a maintenu après même son agression en osant en témoigner, que les agents de la BST voulaient réprimer. Et c’est ce courage qui continue aujourd’hui à rendre possible l’élargissement de la conscience politique populaire de ces violences. C’est donc à nouveau pour le faire taire que se mobilise un journal comme Le Point à travers ce genre de manipulations.

1Cet « individu » n’est pas Théo, dénommé « L » par l’IGPN, mais vraisemblablement son ami molesté initialement par les policiers


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