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Partie II

Le meurtre de Kashoggi : les relations entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite mises à l’épreuve

L'affaire du meurtre du journaliste Jamal Kashoggi constitue pour les États-Unis un véritable test sur la nature et la solidité de l'alliance économique et géopolitique avec l'Arabie Saoudite. En effet, plusieurs liens unissent les deux pays.

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Économiquement, l’Arabie-Saoudite est le premier marché pour les exportations d’armes américaines, représentant plus de 18% du total de ses exportations en la matière. Et bien que les États-Unis ne soient plus dépendants énergétiquement de l’Arabie-Saoudite, le royaume saoudien reste un des principaux producteurs de pétrole. Or avec les nouvelles sanctions américaines envers l’Iran qui entreront en effet d’ici Novembre, Les États-Unis comptent sur Riyad pour augmenter leur production afin de ne pas entraîner une hausse du prix du pétrole. Économiquement, ce sont bien les États-Unis qui ont la main. Comme le rappelle The Economist [1] : « L’Amérique a beaucoup plus d’influence dans ce conflit. Le royaume a désespérément besoin d’investissements étrangers et de capitaux pour le FIP [fonds souverain saoudien]. Son économie non pétrolière est léthargique et le taux de chômage des citoyens continue d’augmenter ».

Plus stratégiquement encore, les deux pays sont étroitement liés dans leur lutte contre la montée en puissance de leur ennemi juré, l’Iran. Comme le dit Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor américain : « Nous entretenons des relations importantes avec l’Arabie saoudite, nous nous concentrons sur la lutte contre le financement du terrorisme et nous nous concentrons sur nos intérêts communs visant à mettre un terme à la propagation du terrorisme et d’autres problèmes en Iran ».

La vraie question consiste à savoir à quel point les États-Unis s’appuieront sur ce lien stratégique et économique, et leur pouvoir d’influence, pour faire plier le prince saoudien dans leur sens.

D’ores et déjà des voix bi-partisanes, républicaines et démocrates, s’élèvent pour rappeler à l’ordre le prince bin Salman, engagé dans une guerre sanglante au Yémen. Certains sénateurs évoquant même une possible restriction sur les ventes d’armes, ce qui apparaît toutefois peu probable au vu du poids économique du marché saoudien. Malgré tout, comme l’écrit The Economist : « Même si l’Arabie saoudite traverse cet épisode sans rupture, elle a porté un préjudice incalculable à sa réputation. Les démocrates et les républicains au Congrès sont furieux. Lindsey Graham, sénatrice républicaine et alliée de Trump, tient depuis longtemps des liens étroits avec le royaume. Mais le 16 octobre, dans l’émission « Fox and Friends » (l’émission préférée de M. Trump), ce dernier traitait le prince Muhammad de « boulet de démolition », ajoutant : « Il doit partir » et « Je vais sanctionner l’Arabie Saoudite » » [2]

Plus encore, cette affaire pourrait servir de moyen de pression pour les États-Unis afin que le régime saoudien augmente sa production de pétrole au moment où de nouvelles sanctions contre l’Iran seront effectives d’ici Novembre. Comme l’écrit The Economist : « Il [Trump] pourrait être prêt à ignorer le meurtre d’un journaliste. L’essence coûteuse, c’est une autre histoire ». [3]

En effet, les exportations de pétrole de l’Iran sont tombées à 700 000 barils par jour depuis mai, selon les estimations de S&P Global Platts ; nombre d’analystes craignent que le prix du pétrole ne s’enflamme littéralement et que la baril dépasse le seuil des 100 dollars, un scénario à éviter à tout prix car il pourrait heurter la croissance américaine en renchérissant les importations de pétrole.

A ce titre, le plus plausible est que les États-Unis fassent comprendre à l’Arabie Saoudite que le soutien contre l’Iran se monnaye au prix d’un baril moins cher, et donc implique pour Ryiad de produire plus de pétrole.

De son coté, le régime saoudien dispose de peu d’options de représailles. Le soutien militaire et stratégique américain est indispensable dans sa lutte contre l’Iran et dans sa guerre au Yémen, et ni la Chine ni la Russie ne constituent un marché capable d’exporter assez d’armes. Surtout, aucun des des deux pays ne serait prêt à entrer pour le moment en guerre contre l’Iran aux cotés de l’Arabie Saoudite. Dans la crainte de sanctions contre le régime, l’Arabie Saoudite opte donc pour faire porter le chapeau à des hauts-commissaires en limogeant des hauts fonctionnaires et faisant arrêter 18 saoudiens, sous l’ordre du prince héritier, et ce afin de dédouaner le régime ultra-réactionnaire saoudien, et surtout le prince lui-même, de toute implication.

Pour le moment, donc, ce sont les États-Unis qui ont la main. Mais tout indique que les États-Unis chercheront à endiguer l’affaire et diminuer la potentielle crise diplomatique avec leurs alliés. La déclaration de Donald Trump, qui juge crédible, quoi que comportant des zones d’ombres, la version de Rihad sur les « tueurs voyous », semble aller dans ce sens. Malgré les pressions du Congrès qui avance l’idée de sanctionner le régime saoudien, du fait des liens économiques et militaires, il est peu probable que des sanctions géopolitiques majeurs soit instaurées. Toutefois, il reste à voir dans quelle mesure les États-Unis s’appuieront sur cette affaire pour faire ployer le prince et calmer son ardeur belliqueuse, rappelant à l’ordre leur allié central au Moyen-Orient.

Première partie : L’Arabie Saoudite, un régime réactionnaire fragilisé par l’imprévisibilité du prince bin Salman
Troisième partie : La rivalité entre la Turquie et l’Arabie-Saoudite suite au meurtre de Kashoggi

1 Economist - Is economic war looming between Saudi Arabia and America ?
2 Economist - Saudi Arabia’s alliances are being tested as never before
3 Economist - Saudi Arabia’s alliances are being tested as never before


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