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« Ceci n’est pas un Patriot Act ». Dénégations et précipitation

Le sénat adopte la loi sur le renseignement

Jean-Patrick Clech Comme c’était prévisible suite à son vote largement majoritaire à l’Assemblée nationale en mai, le projet de cette infâme loi sur le renseignement a été adopté hier au sénat, par 251 voix pour, les 68 contre se répartissant dans les groupes du Front de Gauche et des écologistes, et d’une partie des centristes de l’UDI. Son adoption définitive se profile donc pour fin juillet. Des rassemblements contre cette loi se sont encore tenus hier à Paris et Toulouse notamment, mais malheureusement rien qui ne soit encore à la hauteur du rapport de forces à construire. Nous reproduisons ici notre article du 17 avril 2015 qui en examine toute la dangerosité sociale et politique.

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La loi qui était en préparation depuis un an a été mise en débat au Parlement, dans l’urgence, le 13 avril, en présence d’une petite trentaine de députés, visiblement peu préparés. Pourquoi une telle précipitation alors que cette loi soulève d’emblée de nombreuses controverses et interrogations, tant de la part des syndicats de magistrats que des associations de défense des droits de l’Homme ou, encore, du côté de la Commission Nationale de l’Informatique et de la Liberté (CNIL) ?

Forts du succès de l’opération d’union nationale après les attentats du 7 janvier, forts d’un 63% de Français qui seraient favorable à une « loi sur le terrorisme » selon un sondage publié le 14 avril, Hollande et Valls ont voulu battre le fer tant qu’il était chaud. D’une certaine manière, les évènements dramatiques de janvier ont été une aubaine pour appeler à la rescousse d’un gouvernement de combat les engins d’oppression administratifs, judiciaires et politiques qui sont autant d’instrument préventifs de répression des mouvements sociaux et de jeunesse.

En effet, le portrait-robot du djihadiste-recruté-à-longue-barbe-qui-surfe-sur-internet-pour-trouver-la-recette-du-TNT-pour-tout-faire-exploser-au-nom-d-Allah est bien commode pour le gouvernement et son porte-flingue, Jean-Jacques Urvoas, rapporteur du texte. Pour maintenir son cap, après le revers électoral aux municipales que l’on sait, Hollande se doit de recourir à la méthode forte, que ce soit en déployant le 49.3, dans le cadre de la loi Macron, ou en se donnant les moyens, immédiatement opérationnels ou de façon préventive, de contrôler toute la société.

Le gouvernement a eu beau jeu de présenter le texte comme un moyen de définir et de sécuriser les pratiques de renseignement exercées par les services français le plus souvent en dehors de tout cadre légal. Urvoas s’est également donné le beau rôle en soutenant les propositions gouvernementales d’élargir de neuf à treize les membres de la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR), censée réguler les barbouzeries de l’Etat, ainsi que de créer un statut de « lanceur d’alerte ». « La France pourra avoir son Edward Snowden », s’est félicité, en substance, Manuel Valls. Le Premier ministre a également insisté sur le fait, comme dans une dénégation à la Magritte, que « ceci n’est pas un Patriot Act », en référence à la législation liberticide adoptée par le Congrès américain après le 11 septembre 2001. C’est pourtant bien dans les pas de George Bush qu’Hollande et Valls marchent.

« L’anti-terrorisme », un argument bien commode

Pour justifier cette loi et son traitement en urgence, le gouvernement invoque comme premier argument la lutte contre le terrorisme et le rôle des nouvelles technologies dans le recrutement des djihadistes ou leur capacité à porter sur le web leur propagande, à l’image de la récente cyberattaque contre TV5 Monde, présentée par les ministres comme une agression contre le territoire français.

Sauf qu’il ne s’agit pas d’une loi « anti-terroriste » mais d’une « loi sur le renseignement ». Le projet de renforcement de la surveillance et de la répression ne date pas du 11 janvier et ne concerne pas que les « terroristes ». Il suffit, en effet, de remonter à l’été dernier. Alain Pojolat, finalement relaxé, et Gaëtan, condamné en appel à six mois de prison, dont deux fermes, pour avoir organisé ou participé à des manifestations interdites, en savent quelque chose, tout comme les 54 autres militants arrêtés et condamnés après la mort de Rémi Fraisse à Sivens.

Derrière l’effet d’annonce d’une loi « contre le terrorisme », il s‘agit bien d’un vaste filet tendu pour débusquer et neutraliser tout ce qui pourrait être potentiellement subversif. Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer aux domaines que peuvent invoquer les services du renseignement pour s’autoriser la mise en place d’un système de surveillance : « l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et de la défense nationale, la prévention du terrorisme, les intérêts majeurs de la politique étrangère, la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, la criminalité et la délinquance organisée ».

Ce fourre-tout aux mailles très larges permet de tout intégrer, notamment toute forme de lutte sociale organisée. La séquestration d’un patron, en groupe, par des salariés en lutte, un piquet de grève, l’occupation de locaux publics ou d’une entreprise, voire tout simplement le fait de manifester sans autorisation, tout ceci pourrait tomber sous le coup de la Loi sur le Renseignement. Tout est fait pour que le ministère de l’Intérieur puisse trouver une case pour telle ou telle lutte, pour tel ou tel mouvement social, de façon à ce que tout individu y participant puisse être l’objet d’une surveillance ou d’un flicage renforcé. Autre exemple de cette dérive absolument liberticide : la modification de la « procédure d’urgence absolue ». A travers un amendement présenté à l’Assemblée par le ministre de l’Intérieur, le gouvernement a ainsi souhaité permettre le placement sous surveillance, allant jusqu’à l’intrusion dans un domicile privé, sans avis préalable de la Commission nationale de contrôle ni même du Premier ministre, sur simple décision d’un chef de service des renseignements.

De la pêche à la ligne en eau trouble à la pêche au chalut en toute légalité

Le renseignement, tel qu’il a été pratiqué au cours des dernières décennies, était réputé fonctionner sur des cibles identifiées, sur base de suspicion, de dénonciation, de probabilité de récidive, et ce grâce à un réseau d’informateurs professionnels ou occasionnels. L’image du renseignement a d’ailleurs toujours été perçue de façon plutôt négative par la population. La pratique des « écoutes téléphoniques » a toujours suscité un certain rejet au sein de l’opinion publique. Elles ont fréquemment suscité scandale et réprobation, faisant les beaux jours du Canard Enchaîné. Le principe, pour les services du renseignement, était donc d’y aller au cas par cas et en faisant le moins de vagues possibles.

Avec l’entrée en scène de la Loi sur le Renseignement, c’est un changement total de méthode qui est officiellement annoncé. Face à l’usage généralisé des technologies modernes par les ennemis potentiels de la République, il s’agirait, selon les promoteurs de la loi, de recourir, en toute légalité, à des outils de surveillance de masse récoltant de manière indifférenciée une grande quantité d’informations pour procéder ensuite à un tri. Il s’agirait, en quelque sorte, de passer de la pêche à la ligne en eau trouble à la pêche au chalut en pleine lumière.

Ce renversement de méthode est techniquement possible. Les outils existent : les keyloggers ou les imsi catchers sont capables d’espionner les comportements de tout un chacun et tout ce qui se passe autour de lui. Les méthodes de tri de cette masse d’informations existent elles aussi. Certains logiciels permettent ainsi d’en isoler certaines et de les trier, ce que le marketing et la vente sur internet exploitent déjà très efficacement et ces techniques sont aisément transposables aux fins de renseignement. Nous sommes donc tous susceptibles d’être espionnés à travers nos smartphones, nos ordinateurs et, pourquoi pas, comme l’annonçait un canular du 1er avril, nos détecteurs de fumée.

Si la généralisation de ces méthodes de renseignement est désormais possible, sont-elles vraiment nouvelles ? De l’aveu de certains spécialistes, cette pratique du recueil d’informations de masse est en réalité enclenchée, dans l’Hexagone, depuis plusieurs années, en toute illégalité et sous couvert d’un secret d’Etat qui demeure à ce jour assez bien gardé. Le Monde du 13 avril 2015 rapporte l’existence d’un véritable « Big Brother à la française » sur lequel le quotidien du soir enquête depuis deux ans, après une première révélation en 2013 suivie d’un démenti formel des autorités : derrière la PNDC, à savoir la « Plateforme Nationale de Cryptage et de Décryptement », hébergée à la DGSE, se cacherait un système de recueil massif de données personnelles françaises et étrangères dans lesquelles les services de renseignement ne se privent pas de puiser. Mais quoi que la nouvelle loi n’en dise, sous couvert de « régulation des pratiques du renseignement », le texte examiné par les députés ne mentionne à aucun moment la PNDC.

Flicage partout, quelle résistance ?

L’union nationale a largement prévalu au cours de l’examen du texte, au-delà des clivages politiques habituels. C’est sans surprise qu’une large majorité de députés PS-UDI-UMP devrait l’adopter lors d’un vote solennel le 5 mai si aucune résistance ne se met sur pied. Face à un texte permettant désormais de placer en toute légalité toute personne sous surveillance dans le cadre de la prévention de « violences collectives de nature à porter atteinte à la forme républicaine des institutions », il n’y a que certains députés francs-tireurs à s’être dits inquiets que « ce texte tombe un jour dans de mauvaises mains », à l’image de Pierre Lellouche, député UMP de la capitale, peu connu pour ses penchants gauchistes, pointant néanmoins combien « lors de Mai 68 ou des grandes grèves de 1995, les services auraient été habilité [si la Loi sur le Renseignement avait alors existé] à espionner ».

Pour défendre ses contre-réformes actuelles et annoncées, le gouvernement avait besoin d’une nouvelle Loi sur le Renseignement. Face à l’union nationale dans l’hémicycle, c’est une autre union que devraient opposer l’ensemble des organisations politiques et syndicales du mouvement ouvrier et de la jeunesse et de défense des droits de l’Homme. Car demain, plus qu’aujourd’hui, si un tel renforcement de l’appareil de renseignement devait passer, c’est après une simple manif, un meeting, une occupation, une prise de parole dans une boîte voire un spectacle que tout un chacun pourrait être fliqué en toute « légalité ».


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