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Interview à Evangelia Alexaki, travailleuse du nettoyage du Ministère de Finances grec

Leçons d’une lutte des femmes travailleuses en Grèce

Mirto Lazaridou Athènes, Grèce Après deux années de lutte, les travailleuses du nettoyage du Ministère de Finances de Grèce ont été réintégrées. Mirto Lazaridou amène aux lecteurs de Révolution Permanente une interview à Evangelia Alexaki, une des protagonistes de cette lutte de portée internationale

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Cela fait combien de temps que tu travailles dans le service de nettoyage du Ministère de Finances ?

- Cela fait 19 ans que je travaille en tant qu’employée du nettoyage au Ministère de Finances. J’ai travaillé sous contrat renouvelable une fois par an jusqu’en 2005. Moi et mes camarades, nous avons travaillé comme les immigrés en Grèce, c’est à dire sans droits en ce qui concerne le Code du Travail. Lorsqu’en Grèce, la monnaie officielle était encore la Drachme, notre salaire était de 64.000 drachmes par mois, ce qui représentait à l’époque le smic. Sans jours fériés, ni congés payés. A partir de 2005, selon le décret de Pavlopoulos, notre contrat est devenu un CDI, tout comme celui des fonctionnaires permanents, sauf que nous avions la stabilité des travailleurs du secteur privé, et non pas celle des travailleurs du secteur public. Nous avons alors été payées le montant exigé par la loi pour la première fois en 2005. Nos salaires sont allés jusque 700-800 euros, selon l’ancienneté. Mais ensuite avec les coupes, nos salaires ont baissé à 600 euros.

Avec les 595 travailleuses du nettoyage du Ministère de Finances, vous avez mené une lutte acharnée qui a duré presque deux ans. Peux-tu nous raconter comment cette lutte a commencé et pour quelles raisons ? Quelles étaient vos revendications ?

- Tout a commencé le 24 août 2013, lorsque nous avons appris à la télé que les travailleuses du nettoyage du Ministère de Finances étaient licenciées ! Etant donné que les 595 travailleuses nous étions reparties dans des services différents partout en Grèce, nous ne nous connaissions pas personnellement les unes les autres, et c’est pour cette raison qu’il a été difficile ne serait-ce que se rencontrer au début. Mais finalement nous avons réussi à communiquer entre nous, d’abord par téléphone, et ensuite nous avons organisé une assemblée générale à Athènes. C’est ainsi que nous avons monté une coordination avec 8 personnes au début. Nous avons pris la décision de commencer une lutte qui allait être quotidienne. Chaque matin, nous nous retrouvions dehors du Ministère de Finances pour exiger un rendez-vous avec le Ministre de l’époque, Gianni Stournara, qui à ce moment refusait tout simplement de rencontrer les femmes qui avaient nettoyé son bureau pendant sept mois !

Face à nos revendications, le Ministère nous a répondu en nous envoyant les forces spéciales de police, MAT (les CRS grecs). Les photos de la répression policière ont ému l’opinion publique et Stournaras a été obligé de nous voir. Mais il n’a accepté que de venir dans la rue nous rencontrer, et ce pour nous dire la chose suivante : "Vous avez raison, mais nous sommes obligés d’être désagréables pour sauver le pays". Malgré cette réponse, nous avons décidé de continuer la lutte.

Après dix mois d’une lutte quotidienne et acharnée, dans laquelle nous exprimions aussi notre solidarité avec tous les travailleurs et travailleuses de Grèce qui étaient en train de faire face à des situations similaires en raison de l’application des mémorandums, nous avons décidé de monter une tente devant le Ministère. Nous cherchions à montrer au gouvernement, ainsi qu’à la population toute entière, que nous étions décidées à continuer la lutte. On n’allait pas reculer !

Entre temps, le tribunal de première instance s’est prononcé en notre faveur et a confirmé que les licenciements avaient été illégaux et que nous avions le droit d’être réintégrées à nos postes de travail. Cependant, le gouvernement fasciste de Samaras-Venizelos a tout simplement ignoré cette décision du Tribunal, niant jusqu’au bout la démocratie. C’est en voyant comment le pays était regagné par un climat réactionnaire et fascisant qu’en plus de lutter pour nos emplois, notre lutte est passée d’une lutte syndicale à une lutte de classe. Nous revendiquions un état social qui respecte les institutions et des principes humains comme la justice, l’égalité...

Au cours de cette longue lutte, l’organisation que vous avez réussi à mettre en place a été cruciale, ainsi que le soutien social. Avez-vous reçu la solidarité des syndicats et d’autres organisations des travailleurs ? Avez-vous reçu le soutien d’autres secteurs ?

- En ce qui nous concerne, nous nous réunissions en assemblée générale très souvent afin de prendre des décisions sur nos revendications et les actions que mettions en place. En même temps, nous participions à la coordination hebdomadaire des travailleurs licenciés, avec laquelle on organisait des journées d’action en commun.

En ce qui concerne ta deuxième question, il faut dire qu’au sein de l’Union Syndicale à laquelle nous appartenons, POE-DOY (Fédération grecque de travailleurs du secteur public dans les services de finances), il n’y a que les militants des partis d’extrême-gauche qui nous ont soutenu. Leur soutien au sein de la Centrale des travailleurs du secteur public (ADEDY) a été très important. Nous avons également reçu le soutien des mouvements sociaux à la base : un réseau de solidarité s’est créé au sein de la société en contrepartie des politiques inhumaines des mémorandums. Des milliers de personnes nous ont soutenu tant au niveau éthique que matériel et ont voulu nous rencontrer. De plus, le soutien de quelques syndicats européens, de différents mouvements et des secteurs de la presse a été impressionnant, au niveau de la Grèce et aussi à l’échelle internationale.

La lutte que vous avez entrepris a été un symbole en Grèce mais aussi dans le reste de l’Europe et dans beaucoup d’autres pays. Vous avez d’ailleurs appelé à une journée de solidarité internationale. Comment cette idée vous est venue à l’esprit ?

- A une époque où les mesures d’austérité se faisaient sentir, non seulement en Grèce d’ailleurs, on considérait souvent que la plupart des gens n’allaient pas réagir. Mais un groupe de femmes a décidé de résister et prendre leur destin en main. La patience, l’insistance et la longue lutte que nous avons mené ont, de mon point de vue, ont réussi à déclencher quelque chose, à faire en sorte que les gens n’aient plus peur.

La répression de l’état et la violence extrême que nous avons subie n’ont pas été suffisantes pour faire cesser notre lutte. Les images d’un groupe de femmes frappées et traitées avec une extrême brutalité par la police anti-émeutes ont fait le tour du monde. Ainsi, notre lutte n’étaient pas seulement à nous. En Septembre 2014, lors du procès nous concernant au Tribunal Suprême de Grèce, nous avons demandé le soutien international des travailleurs, afin d’obtenir nos revendications. Nous remercions infiniment la solidarité des citoyens et citoyennes du monde entier, comme par exemple de Sonya Mitralia qui a travaillé énormément pour coordonner les actions de solidarité en parallèle partout en Europe. En même temps, nous avons été soutenu par des représentantes de la gauche grecque au sein du Parlement européen, comme Konstantina Kouneba et Sofia Sacorafa, qui nous ont invité à venir au Parlement grec à Strasbourg.

Comment la lutte a-t-elle fini ? Avez-vous réussi à être réintégrées dans vos postes de travail ?

- L’énorme solidarité dont notre lutte a bénéficié, aussi bien en Grèce qu’ailleurs, et le respect que nous avons gagné, ont obligé le gouvernement actuel dirigé par Syriza (qui était dans l’opposition lors de notre lutte) à nous redonner nos emplois.

Quelles sont les leçons que vous avez tirées de cette lutte ? Et quelle est la situation maintenant ?

- De mon point de vue, les luttes que l’on mène dans la rue et à la base, ce sont des luttes que l’on ne perd jamais vraiment. Dans certains cas, comme le nôtre, il peut y avoir des luttes que l’on arrive même à gagner. La solution ce n’est pas de critiquer ce qui se passe, les processus politiques en cours, tout en restant assis dans son canapé, sceptique de voir les choses s’améliorer. Malheureusement, tous les espoirs que nous avons portés dans un gouvernement de gauche, ils ont tous tombés à l’eau lorsqu’Alexis Tsipras est arrivé à un accord avec les gouvernements européens pour un troisième "plan de sauvetage". Pour moi, il ne s’agit pas d’une solution.

Dernièrement, étant donné que des nombreux travailleurs du monde entier regarde aujourd’hui ce qui se passe en Grèce, je voulais te demander comment avez-vous vécu dans vos lieux de travail la campagne du "NON" lors du référendum. Quel est ton avis sur le troisième mémorandum et quelles seront les conséquences pour les travailleurs et les secteurs populaires ?

Le 62,3% de la population a voté "OXI" (Non) et cela n’a pas été seulement une campagne. C’était un "OXI" contre les mémorandums, contre les plans d’austérité. Le référendum était vu comme la manière la plus directe d’expression de la population. C’est pour cela que Alexis Tsipras n’avait pas le droit de transformer cet "OXI" (Non) dans un "NAI" (oui), de manière aussi arbitraire. Du moment où il a accepté l’accord avec les gouvernements européens, Tsipras est passé de Premier Ministre grec à gouverneur d’un protectorat sous les ordres d’Allemagne.

Vendre 50 milliards du trésor et des terres publiques respectivement signifie que l’on perd le contrôle de notre pays et qu’on condamne les prochaines générations à l’esclavage et la misère. En fin de compte, il est clair que cette manière de faire de la politique n’est pas "de gauche".

Traduction : Laura Varlet


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