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Loi Sécurité Globale. L’article 23 vise aussi à satisfaire la police

Si l’article 24 polarise le débat sur la Loi Sécurité Globale, le projet de loi tout entier consiste à renforcer l’impunité et la protection dont jouit la police, et en particulier l’article 23, qui enlève la possibilité de réduction du temps de peine en prison pour toute personne coupable d’agression d’un policier.

Irène Karalis

1er décembre 2020

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Prévue par l’article 721 du code de procédure pénale, la réduction de peine automatique est un outil essentiel du système pénitentiaire, qui permet à l’institution de contrôler le comportement des détenus : s’ils se tiennent sages, et s’ils respectent les règles établies, les détenus pourront sortir plus tôt. Cette réduction, qui est calculée en fonction du temps de la peine - trois mois pour la première année, deux mois pour les années suivantes, sept jours par mois pour les durées de moins d’un an -, peut être annulée à tout moment si les prisonniers entravent les règles, et bien souvent certains se retrouvent à devoir purger leur peine jusqu’au bout pour avoir été en possession d’un téléphone ou de stupéfiants.

L’article 23 de la Loi Sécurité Globale, ajouté au texte par Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, tous deux députés LREM, vient enlever cette possibilité de réduction de peine, tout aussi vicieuse qu’elle puisse être, pour toute personne coupable de “préjudice d’une personne investie d’un mandat électif public, d’un militaire de la gendarmerie nationale, d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un sapeur-pompier professionnel ou volontaire”. À l’image de l’article 25 de la même loi qui autorise le port d’armes pour les policiers hors service, cet article vient ainsi renforcer la protection de la police en lui accordant un statut particulier.

Cette volonté clairement affirmée de protéger le bras armé de l’État est par ailleurs justifiée par une instrumentalisation des actes terroristes, s’inscrivant dans la séquence ouverte par le crime de Conflans et les terribles attentats de Nice. Dans la droite lignée de la dissolution du CCIF et du projet de loi sur le “séparatisme”, l’article 23 est défendu par un discours raciste nauséabond, qui cherche à mettre sur un même pied d’égalité les actes terroristes et les simples actes de résistance ou de rébellion envers la police, puisque même les auteurs de “menaces et actes d’intimidation” seront concernés. Une mesure qui va donc toucher les jeunes des quartiers populaires en premier lieu, qui vivent au quotidien des “interpellations agitées” pour reprendre les mots du Monde, quoique “agitées” soit un euphémisme, au regard de la mort d’Adama Traoré ou du tabassage de Michel Zecler.

Cet article, voté à l’Assemblée nationale le 24 novembre, répond par ailleurs à une revendication de longue date des syndicats de police, que le gouvernement examinait depuis longtemps. Déjà le 15 octobre, aux prémisses de la Loi Sécurité Globale, Christophe Rouget du SCSI (Syndicat des Cadres de la Sécurité Intérieure), déclarait selon l’Obs à l’issue d’une réunion avec Éric Dupont-Moretti et Gérald Darmanin qu’il y avait eu “une annonce assez forte du garde des Sceaux sur les aménagements de peine”. Après cette même réunion, Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance, lançait : “on va voir si tout ce qui nous a été dit sera bien écrit”, mettant indirectement la pression au gouvernement pour qu’il fasse passer la mesure. Le 2 novembre, soit deux semaines après, le gouvernement cédait et Darmanin annonçait sur BFMTV : “il y aura l’interdiction de la réduction de peine pour ceux qui s’attaquent à des policiers et à des gendarmes”.

Aujourd’hui, après l’affaire Michel Zecler qui a joué le rôle d’étincelle à la mobilisation contre la Loi Sécurité Globale avec plus de 300 000 manifestants dans toute la France ce samedi, le gouvernement se retrouve acculé sur sa gauche comme sur sa droite. À gauche, bien sûr, par la mobilisation dans la rue, qui, après s’être polarisée autour de la question partielle de l’article 24, commence à adopter des mots d’ordre plus radicaux et à revendiquer le retrait total de la loi. À droite, par Les Républicains et Marine Le Pen qui cherchent à capitaliser sur la faiblesse du gouvernement en poursuivant l’offensive idéologique raciste, à l’image du député LR de Vaucluse Julien Aubert qui dénonçait récemment l’islamo-gauchisme à l’université, pointant des courants “néoféministes” et “décolonialistes” qui viendraient détruire l’enseignement supérieur ; mais aussi et surtout par les syndicats de police, qui dénoncent une soi-disante récupération de l’affaire Michel. Linda Kebbab, par exemple, attaquait ouvertement ce lundi matin l’extrême-gauche qui dénonce le caractère systémique des violences policières. Un discours repris par Synergies-Officiers, dont le secrétaire général Patrice Ribeiro déclarait à l’AFP : “L’affaire est exploitée par certains, notamment par l’extrême-gauche, pour faire du police-bashing et essayer d’affaiblir la police. Il y a une fable des violences policières, ça ne correspond en aucun cas à la réalité des 3 millions d’interventions par an”. Notons aussi la réaction du syndicat Alliance à la décision de justice de placer en détention provisoire deux des policiers responsables du tabassage de Michel Zecler, son secrétaire général ayant déclaré “la justice est-elle vraiment indépendante ?”.

Le gouvernement se retrouve ainsi en mauvaise position : après s’être vu obligé de dénoncer le tabassage de Michel Zecler et de réecrire l’article 24 sous pression de la rue, il reste face à la nécessité de répondre aux revendications de la police, n’ayant aucun intérêt à se la mettre sur le dos et à se retrouver sans forces de répression. Nul doute, donc, que Macron et sa clique chercheront par tous les moyens à faire passer l’article 23, et tous les autres articles de la Loi Sécurité Globale. Mais le fait qu’ils aient lâché du lest l’article 24 montre qu’il est possible de gagner, et ce en amplifiant la mobilisation et en revendiquant le retrait total de la loi, mais aussi de toutes les autres lois liberticides !


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