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Tribune libre

Mobilisation loi Travail : bilan d’étape

Bien que nous ne partagions pas l'ensemble de l’analyse, nous reproduisons ici en tribune libre un article de bilan d'étape sur la mobilisation contre la loi Travail écrit par Hugo Melchior, doctorant en histoire politique contemporaine et acteur à Rennes 2 de l'ensemble des mobilisations étudiantes qui ont eu lieu depuis le CPE. Au-delà de nos désaccords, il s'agit de quelqu'un qui essaie de penser en profondeur le mouvement actuel et en ce sens sa contribution alimente un débat plus que nécessaire. L'état des réflexions du comité de rédaction à ce sujet se trouve quant à lui reflété dans cet article d'Emmanuel Barot et Juan Chingo.

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Comme chacune et chacun a pu le constater, le mouvement contre la loi Travail est confronté depuis une semaine à une tendance baissière indiscutable. Les dernières journées de mobilisation ont été un échec au regard du nombre de manifestants. Rennes, une des villes les plus en pointe, même si elle a été davantage épargnée par cette tendance lourde, n’échappe pas à cette phase de reflux.

Nous n’avons eu de cesse de présenter la journée du 28 avril comme une journée charnière et décisive, pouvant être, en cas de succès remarquable, un possible moment tournant dans l’histoire de ce mouvement. Pour ce faire, nous aurions dû être bien plus nombreux à venir manifester jeudi dernier que le 31 mars et des grèves auraient dû éclater dans différents secteurs.
Or, malgré la présence de plusieurs centaines de milliers de personnes, malgré des heures de haute conflictualité avec les forces de l’ordre dans la sphère partagée avec une répression mutilatrice, il n’en a rien été malheureusement, bien au contraire. Les chiffres, émanant des organisations syndicales et du ministère de l’intérieur, furent sans ambiguïté.

Le couperet est tombé. Le 1er mai a confirmé cette tendance de fond et la journée d’hier à nouveau, au point que la CGT n’indique même plus sur son site internet le nombre de manifestants à l’échelle nationale et par ville tellement les rassemblements sont devenus confidentiels.

À cela, il faut ajouter la fin de la mobilisation estudiantine dans les universités, à Rennes 2 comme partout ailleurs, du fait de la fin de l’année universitaire ; chose loin d’être négligeable car ayant constitué le fil rouge de la lutte contre la loi Travail à l’échelle nationale ces deux derniers mois. Aujourd’hui, avec la fin de la mobilisation des étudiants dans les facultés, aucun secteur de la société ne connaît actuellement une mobilisation réellement quotidienne et remarquable contre la loi Travail.

Ainsi, le mot d’ordre de retrait définitif du projet de loi, s’il demeure absolument pertinent sur le plan idéologique, paraît à l’heure actuelle, au regard de la situation concrète, de l’état du rapport des forces réelles à l’échelle nationale, totalement hors de portée, inatteignable.

L’intersyndicale, elle même, ne s’y trompe d’ailleurs pas. Le titre de son communiqué, daté du 2 mai, ne peut pas être plus clair : « La balle est dans le camp des député-es ». Ainsi, à partir du 3 mai, bien que réaffirmant leur détermination à obtenir le retrait du projet de loi Travail, la construction du rapport de forces se déplace dans l’esprit de ces organisations et l’ouverture officielle du débat parlementaire, de la rue à l’hémicycle. Celui-ci est présenté de fait comme le lieu dans lequel les batailles décisives autour du projet de loi se mèneront dorénavant, et si les opposants à la loi Travail sont bien sûr invités à faire pression sur leurs députés pour qu’ils amendent le texte actuel, c’est en réalité pour mieux s’en remettre à eux et à leur souveraineté d’élus.

Désormais, ce sont les mots « d’interpellation », « faire pression » qui prédominent dans le communiqué et la mention qui est faite du recours à la grève dans les entreprises privées ne doit pas nous abuser, car cette mention constitue une pure incantation impuissante, n’étant adossée à aucun calendrier précis, à aucun ultimatum qui la rendrait crédible.
Ces mêmes organisations syndicales ont compris que la mobilisation extra-parlementaire n’avait malheureusement plus les moyens de sa politique, n’avait plus les forces suffisantes pour espérer atteindre l’objectif unifiant et négatif qu’elles s’étaient fixées au début du mois de mars : celui de retrait définitif de la réforme.

Cette « stratégie d’interpellation » des députés, qui peut prendre des formes multiples à l’échelle locale (actions de blocage économique, manifestations de rue, occupation prolongée de lieux symboliques comme la Maison du peuple à Rennes, rencontres avec les élus...) paraît aujourd’hui la seule vraisemblable au regard de l’état actuel de la mobilisation (tendance fortement baissière du nombre de manifestants partout en France, mouvement dans les facs qui s’achève définitivement avec la fin de l’année universitaire, mouvement dans les lycées quasi-inexistant, aucun secteur d’activité qui n’est prêt à assumer une grève prolongée, l’opération Nuit début, mouvement inédit d’une grande marginalité sur le plan numérique, qui se caractérise également par une étroite base sociale et dont le poids politique est inversement proportionnel à son exposition médiatique...).
L’état d’une mobilisation sociale n’est jamais une réalité figée tant que celle-ci n’est pas totalement achevée, et il nous faut demeurer vigilant au cas où un secteur clef (cheminots, routiers) déciderait d’engager le bras de fer avec le gouvernement. Si cela devait être le cas, le champ des possibles s’élargirait à nouveau alors, les cartes seraient rebattues et la mobilisation extra-parlementaire pourrait à nouveau revendiquer la possibilité de jouer la gagne.

Les procès en défaitisme qui pourront être adressés à ceux qui font preuve de réalisme anthropologique (partir de la réalité telle qu’elle est et jamais comme on voudrait qu’elle soit) ne sont que des mauvais procès, car seule l’impérieuse analyse concrète de la situation concrète peut nous aider à saisir correctement le présent et à en tirer les bonnes conséquences.

Avec beaucoup d’amertume, du fait du constat d’échec et en même temps avec une vraie fierté d’avoir su se rendre utile, se mettre au service d’un mouvement dont la seule existence constitue déjà une victoire en soi, je n’ai pas peur de l’affirmer : après deux mois de mobilisation exemplaire, au cours de laquelle de nombreux camarades, organisés et non organisés se sont engagés quotidiennement, jusqu’à l’épuisement physique, pour être utiles, autant que faire se peut, au mouvement et œuvrer par là-même à son succès, le destin de la loi Travail ne dépend plus seulement de nous.

Bien que le mouvement contre la loi Travail ne soit pas encore terminé, un bilan critique de cette mobilisation historique (ce fut la première fois depuis 1981 et l’accession de François Mitterrand à la présidence de la République, après 6 années d’atonie sociale affligeante et déprimante, qu’un gouvernement dit de « gauche », que les gardiens intérimaires de l’ordre établi, se trouvent confrontés à une mobilisation sociale provenant de sa propre base électorale, de son propre camp) devra être fait le moment voulu, d’autant plus que cette contre-réforme – nouvelle étape dans le processus de réorganisation néolibérale du travail – s’inscrit dans un cycle d’offensives néolibérales qui continuera et s’affermira à n’en pas douter avec le retour au pouvoir de la droite décomplexée revancharde en 2017, si cette dernière devait se produire comme tout le laisse à penser...

Soyons fier de ce que nous avons déjà accompli depuis deux mois ! Continuons à nous organiser de manière intersectorielle et maintenir une pression sur les élus pour mettre le gouvernement en minorité. Et si la grève générale doit advenir, et bien elle pourra compter sur nous !


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