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AFRIQUE DU SUD

Mouvement étudiant sud-africain. Un exemple pour les exploités du monde entier

Ces derniers jours, la résurgence du mouvement étudiant sud-africain est montée en puissance. Il agit comme caisse de résonance de toutes les inégalités et injustices du régime post apartheid. Dans cet article nous allons mettre en relief les aspects le plus avancés du mouvement en cours. Juan Chingo

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Anticolonialiste

Au début de l’année, les manifestations étudiantes contre l’augmentation des frais de scolarité, des frais d’inscription et de logement, ont précédé le fort mouvement
Cette campagne avait comme objectif le retrait de la statue de Cecil John Rhodes de l’esplanade de l’Université de la ville du Cap (UCT), une de plus prestigieuses du pays.
Cecil Rhodes était un entrepreneur, un homme politique et un colonisateur anglais. Fervent défenseur de l’impérialisme britannique, il a fondé le pays qui à sa mort porterait son nom : la Rhodésie, dont le territoire est actuellement divisé entre la Zambie et le Zimbabwe.

Il a aussi créé l’influente Fondation Rhodes, ainsi que la compagnie De Beers, qui contrôle actuellement 60 % du marché mondial de diamants bruts et qui, autrefois, en commercialisait 90 %. Ses avidités impérialistes n’avaient pas de limites, il voulait "peindre la carte du monde en rouge" (les couleurs de l’armée britannique), et déclarait même : "toutes ces étoiles ... ces vastes mondes qui restent hors de portée. Si je le pouvais, j’annexerais d’autres planètes".

En mars, un étudiant a lancé des excréments sur sa statue, celle d’un personnage néfaste qui a fait don des terrains à l’université. Au centre des installations, la statue avait été l’objet de protestations estudiantines depuis toujours, mais cette fois, ce fut différent.
Le Dr. Max Price, vice-chancelier de l’université, a affirmé qu’il était surpris par la protestation soutenue contre la statue, puisque les manifestations antérieures avaient été éphémères. "Elle a été liée à l’aliénation ressentie par les étudiants noirs, et une statue est la forme parfaite pour l’articuler", a-t-il expliqué, "la culture du lieu se sent blanche. L’architecture, inspirée d’Oxford et de Cambridge, est européenne. Évidemment, la langue d’enseignement est l’anglais. Ce vers quoi l’on se tourne et ce à quoi nous aspirons ressembler, ce sont les universités d’élite des États-Unis et d’Europe."
La statue était perçue comme un symbole du passé oppressif de l’Afrique du Sud sous le colonialisme et l’apartheid, et c’est pour cela que la campagne "Rhodes Must Fall" s’est rapidement transformée en protestation générale contre le manque de transformation des universités. Les étudiants ont atteint leur premier but après avoir contraint l’université à retirer la statue de Rhodes. Ici on peut apprécier la joie des étudiants dans ce moment historique :


Afrique du Sud : des étudiants font déboulonner... par lemondefr

Après le déboulonnage réactionnaire des statues de Lénine lors des récents événements en Ukraine, cette action radicale est une bouffée d’air frais pour tous les révolutionnaires et anti-impérialistes du monde.
Mais la bataille des étudiants n’est pas que symbolique puisque parmi les revendications du mouvement figurent la transformation universitaire et la décolonisation, l’équité raciale, un changement dans la culture du campus, une réforme des programmes avec l’incorporation des thématiques et traditions africaines, en incluant l’histoire et la philosophie africaines, les luttes anticoloniales et les études postcoloniales, ainsi que la demande de plus de professeurs noirs africains (il y en a seulement cinq sur plus de 250 professeurs séniors à l’UCT).

Un mouvement étudiant pro-ouvrier

L’autre caractéristique progressiste du mouvement #‎FeesMustFall est la façon dont il s’est lié étroitement à la campagne #‎EndOutsourcing, qui exige la fin de l’externalisation à l’Université. Les travailleurs surexploités par des compagnies de sous-traitance assurant différentes tâches, la campagne demande que ceux-ci soient embauchés directement par l’Université avec des meilleures conditions de travail.
Pour la première fois, les étudiants ont formé une alliance durable avec les travailleurs dans quelques campus, et ils ont mis au premier plan leurs demandes à côté des leurs. Dans ce mouvement, des acquis importants pour les travailleurs ont été obtenus, et surtout l’"insourcing" (l’embauche par l’Université) ainsi qu’une aide financière pour que les fils et filles des travailleurs puissent faire des études à l’Université du Witwatersrand (l’autre grande institution universitaire du pays, où Mandela a étudié), l’Université du Cap, et possiblement d’autres institutions.
Pour apprécier l’énorme saut dans la conscience des étudiants, voici le communique émis par ceux-ci à l’université de Wits :

“Après trois semaines d’actions de protestation des étudiants des institutions d’enseignement supérieur de tout le pays, caractérisées par plusieurs incidents de violence policière et par la brutalité de la sécurité privé sur le campus de Wits, ces victoires témoignent des convictions dans les principes du mouvement : on ne peut pas résoudre les problèmes des étudiants pauvres sans résoudre les problèmes des travailleurs noirs marginalisés sur les campus. »

Mais, plus surprenant encore, une fois cette victoire partielle obtenue et conscients que l’Université n’est pas une île dans une Afrique du Sud en crise et avec les plus haut niveaux d’inégalité sociale au monde, les étudiants ont avancé dans le communiqué de victoire qu’ : « En fin de compte, l’insourcing dans l’UCT n’est pas suffisant dans un contexte national où la majorité des institutions publiques sous-traitent des travailleurs. Nous espérons que ce premier pas encouragera les travailleurs et leurs alliés d’autres universités et institutions publiques à se battre ensemble, avec des protestations, des grèves et d’autres actions, pour obtenir l’embauche en CDI pour tous".

Conscients des manœuvres des directions de chaque faculté dans l’application de ces mesures, puisque l’accord a été signé par la direction locale du Syndicat des travailleurs de la santé et de l’Education (NEHAWU), sans consulter l’ensemble des travailleurs, et que tous les travailleurs ne sont pas affiliés à ce syndicat, les étudiants ont rapidement lancé la campagne #‎ReallyEndOutsourcing (#En finir réellement avec la sous-traitance) en affirmant que "plus que jamais ces personnes invisibilisées par la société ont besoin de notre soutien".
Des parties de l’accord restent encore ambigües, telles que la sécurité sociale, l’augmentation de la caisse de retraites, le salaire minimum ainsi que d’autres clauses que l’UCT offrirait aux travailleurs une fois embauchés par l’Université.
Une autre démonstration du caractère profondément pro-ouvrier du mouvement fut la commémoration au tout début des actions du massacre de 34 mineurs à Marikana en août 2012.

Tactique et stratégie dans la lutte pour la véritable libération du peuple noir

Les protestations ont aussi démontré une nouvelle relation saine entre les étudiants blancs et noirs. Les blancs ont reconnu que c’était principalement une protestation des étudiants noirs et que c’était à eux de la diriger. Les protestations ont démontré une conscience du privilège associé à la blancheur en Afrique du Sud.
Les étudiants blancs ont reconnu leur participation inégale dans l’alliance. Dans certains cas ils ont mis leur corps en avant, en première ligne, ce qui démontre leur volonté de se poser comme boucliers humains entre la police et les étudiants noirs, qui sont souvent beaucoup plus agressés par la police. Cela a déstabilisé les autorités et la police, habitués à réprimer brutalement les masses noires, comme l’a tragiquement démontré le massacre de Marikana. Cette relation à l’intérieur du mouvement étudiant est le produit de l’expérience faite avec le régime post apartheid : la réalité est que, même si le pouvoir politique n’est plus seulement réservé aux blancs, la domination blanche, dans toutes ses manifestations, elle, ne s’est pas simplement évaporée et l’oppression noire continue.
Cette alliance étudiante progressiste semble donner raison aux propos de Trotsky concernant la révolution permanente en Afrique du Sud, quand il disait que : "(…) la république sud-africaine surgira avant tout comme une république "noire" ; bien évidemment, cela n’exclut pas l’égalité totale pour les blancs ou les relations fraternelles entre les deux races ; cela dépendra fondamentalement de la conduite adoptée par les blancs. Mais il est évident que la majorité prédominante de la population, libérée de sa dépendance esclavagiste, mettra son empreinte à l’État". C’est cette pleine conscience du problème racial que les étudiants blancs semblent avoir atteint avec leurs attitudes courageuses dans les protestations et leur relation avec la majorité de leurs camarades de classe noirs.

Ce grand mouvement, qui est en train d’acquérir une énorme expérience, continuera de donner matière à discussion. Pour finir, dans la vidéo suivante, on peut apprécier la ferveur et l’enthousiasme libérateur de ces luttes :


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Juan Chingo

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Journaliste

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