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Idex et pressions à la « fusion » des pôles régionaux de l’ESR. L’éloquent exemple de Toulouse

Naufrage des universités : les enjeux de « la reconquête de l’Idex »

Les dysfonctionnements régionaux ou locaux des pôles de l’enseignement supérieur et de la recherche ne sont pas des « bavures » dans un système d’ensemble par ailleurs globalement rationnel, que de bonnes intentions, de bonnes négociations, un bon « dialogue social » permettraient de réparer. Emblématique d’un problème structurel, national, les conséquences d’une politique menée depuis les années 2000 dans le plus pur esprit du néolibéralisme, de désengagement de l’Etat et de mise en compétition-« marchandisation » des universités, se pose aujourd’hui la question de la viabilité financière du pôle de l’ESR toulousain. C’est autour d’un dispositif gouvernemental spécifique, celui de l’« Idex » - pour Initiatives d’excellences – que tourne actuellement l’affaire. Fenêtre ouverte sur le naufrage du service public d’enseignement supérieur et de la recherche, nous analysons ici ce dispositif en le rapportant à la stratégie politique globale dans laquelle il s’inscrit, afin, notamment, de déconstruire le mythe de leur neutralité, et le mythe associé de l’incapacité non seulement du gouvernement, mais aussi des présidences locales, à penser et faire autrement.

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Robert Gadling

Qu’est-ce que « L’Idex » ?

 
Le label « Initiatives d’excellence » - abrégé en « Idex » - est un programme permettant de subventionner quelques acteurs de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR). Il a pour vocation de soutenir sur le territoire une dizaine de projets visant à proposer une formation de « haute qualité » et de produire un environnement de recherche optimal dans les différents établissements élus afin d’en faire des pôles attractifs à l’échelle internationale.
Les Universités, certaines grandes écoles, divers organismes de recherche… De sciences et de lettres, de formation ou de recherche, les structures en mesure d’en bénéficier sont nombreuses.

Mais l’Idex ne consiste pas avant tout à accompagner et financer une initiative isolée : c’est en premier lieu la pression concrète appuyant la mise en œuvre de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, qui oblige les établissements à ce regrouper sur leur site géographique. C’est pourquoi, le dossier nécessaire pour obtenir la précieuse labellisation n’impose pas seulement des objectifs spécifiques en termes de formation et d’institutions, mais également des impératifs de gouvernance. Il s’agit bien de construire une superstructure qui soit compétitive à l’internationale. Rappelons que le principal indice de référence de ce rayonnement est le classement de Shanghai, qui évalue et compare les établissements de l’ESR dans le monde : dans le jargon du ministère, celui qu’on n’utilise pas pour la communication, on parle donc de devenir « Shanghai-compatible ».

Ceci reflète tout un volet des politiques gouvernementales en France en matière d’ESR. Depuis plus d’une quinzaine d’années, notamment grâce aux lois sur l’autonomie des Universités (LRU en 2007, prolongée par la loi Fioraso en 2013), le gouvernement s’est méthodiquement, par étapes successives, désengagé de l’ESR. Les différents établissements de formation et de recherche se sont vu obligés de faire eux-mêmes la gestion de leurs budgets respectifs, allant de la rémunération de la masse salariale jusqu’à la location ou l’entretien de leur locaux. La modification comptable consistant à doter ces établissements des moyens permettant d’assumer leurs nouvelles responsabilités fut d’ailleurs présentée comme un grand investissement à l’époque. Mais l’enveloppe commune délivrée par le gouvernement, se retrouve bientôt insuffisante pour que les différents sites de France puissent assurer leurs « missions de service public ». En effet, les différentes augmentions de budget sur les 6 dernières années sont réduites à peau de chagrin, ne serait ce que par l’inflation. Alors que depuis 2010 les effectifs étudiants, eux, augmentent considérablement. Par exemple l’Université du Mirail est passé de 21800 en 2010 a 27800 étudiants aujourd’hui soit plus de 20% d’augmentation. Quant aux effectifs au niveau national, nous sommes passés de 2,3 millions d’étudiants en 2009 a 2,55 millions l’année dernière, soit 250000 étudiants supplémentaire à qui il faut fournir des salles, des enseignants, un encadrement, etc. mais « à moyens constants », c’est-à-dire sans moyens supplémentaires à proportion des nouveaux besoins.

Et voilà donc les Universités livrées à elles-mêmes. Ou plutôt livrées aux partenariats public-privés (« PPP ») et autres recherches de subventions. C’est ainsi, par la force des impératifs économiques, que les Conseils d’administration s’ouvrent aux personnalités extérieures, que les industriels ont commencé à obtenir un droit de regard, et de plus en plus de co-décision, sur les offres de formations. Enfin, c’est naturellement la logique de rentabilité - défendue comme strictement rationnelle - qui coiffe tout cela dans les instances de gestion, avec l’exigence martelée que les filières à la fois doivent coûter moins cher (d’où le sort fatal de beaucoup de filières accueillant des nombres restreints d’étudiants) et être d’une façon ou d’une autre « attractives », épée de damoclès au-dessus de leur tête à brève échéance, c’est-à-dire offrir des débouchés tangibles sur des segments de marché identifiés.

Politique gestionnaire et présidences universitaires à la charnière du national et du local

 
Cette idéologie de la politique gestionnaire est une constante des refontes « managériales » dans les services publics en général, et dans l’ESR en particulier. Et qu’elles participent avec entrain ou avec réserve, en dernière instance les présidences finissent jusqu’à présent par accepter les règles du jeu, et se faire les relais de cette politique. Devenus libres, donc responsables selon l’idéologie sous-jacente du projet, elles ont la charge de faire avancer la barque, quand bien même la situation ressemble de plus en plus à un naufrage. Elles sont en effet confrontés à la nécessité de batailler pour trouver des partenariats, pour obtenir une plus grosse part des subventions régionales ou nationales. Mises en concurrence par la stratégie de l’Etat, les universités se divisent, chacune profitant de ses nouvelles prérogatives pour développer une forme propre et donc des besoins particuliers, invisibilisant la nécessité d’une revendication générale. Le résultat est qu’a chaque fois que des revendications sont exigées, telles que la titularisation des travailleurs précaires qui représente plus d’un tiers des effectifs des personnels à l’université du Mirail, nous nous retrouvons dans une situation paradoxale. La présidence est « responsable » mais « impuissante », elle refuse de s’engager contre l’Etat mais refuse d’agir pour ses usagers, elle se présente comme le seul interlocuteur possible mais n’est que le relais d’une politique austéritaire unilatérale.

Le pouvoir des présidences obtenues par la loi sur « l’autonomie » est en partie un pouvoir de façade, ce entretient un surcroît de lâcheté et de compromission. Même si localement, les personnes chargées de faire tourner leur établissement se souciaient de leur mission de service public, des futures générations et même de la place historique des Universités comme d’éventuels contre-pouvoirs intellectuels et critiques, ce qui n’est d’ailleurs à peu près jamais le cas, les règles du gouvernement et les pressions administratives et financières viennent grandement paralyser et asphyxier localement tout ce qui ne joue pas le jeu du marché. Par contre, quand les dirigeants locaux, à l’image de la présidence Vinel à l’université Paul Sabatier de Toulouse, sont les plus zélés parmi les zélés dans l’application de cette politique, on prend la mesure de l’ampleur du massacre.

C’est ici qu’on en revient à l’Idex. Le gouvernement par ce dispositif propose dorénavant un complément de budget afin de soutenir les efforts qui serait fait dans le sens de la compétitivité. Un complément limité aux « meilleurs », qui oblige une fois de plus la concurrence entre les différents sites, pour répondre à une concurrence internationale exacerbée. Ainsi, sans se mouiller, le ministère peux faire pression afin d’appliquer par l’économie et la gestion ce que des réformes directes n’ont pas encore pu faire passer, c’est-à-dire en se passant du consentement des premiers concernés, enseignants, personnels et étudiants, qui ont malgré tout, jusqu’ici, à défaut de pouvoir enrayer la mécanique des contre-réformes, parfois réussi à ralentir un peu le processus. Cette fois, comme le dispositif Idex s’adresse avant tout aux gestionnaires, sans rien leur imposer au sens strict, son principe passe pour l’essentiel comme une lettre à la poste (indépendamment des cafouillages ou grains de sable concrets), il est accepté « parce qu’il n’y a pas d’autre choix » et que la proposition du gouvernement est « raisonnable ».

Toulouse, un exemple éloquent

 
S’il nous fallait prendre un exemple de cette au logique au minimum d’acceptation résignée, au pire d’acceptation active, celui de Toulouse est marquant. Lorsque le site de Toulouse, chroniquement en manque de moyens pour les raisons précédemment expliquées, a fait un dossier de candidature pour l’Idex, les 4 universités, les 17 grandes écoles et les 5 organismes de recherche qui forment aujourd’hui « l’Université fédérale de Toulouse », avaient choisi de se rassembler en fédération. La fédération est un modèle alternatif à la fusion que la loi autorise. Il permet notamment, sur le papier, de garder un pouvoir de décision plus clair au sein de chaque établissement, et d’éviter les licenciements massifs qui suivent forcément la fusion à cause de la mutualisation des postes (puisque, rappelons-le, on travaille « à moyens constants) : un centre de gestion centralisé pour quatre universités, c’est plus de travail avec moins de postes. Cette décision a été acceptée par la ministre de l’ESR, Geneviève Fioraso, et le site de Toulouse avait donc signé un accord avec l’Etat le 15 juillet 2013. Toulouse obtient alors l’Idex pour neuf ans, dont trois de période probatoire. 94 millions d’euros seront versés au fur et à mesure pendant cette période probatoire.

L’Université fédérale lance ses projets, et d’après « le haut conseil de la recherche et de l’enseignement supérieur » elle les mène à bien. Entre autre s’inscrit ici la décision de renommer l’Université du Mirail… afin qu’elle ne soit plus assimilée au quartier du Mirail, ce qui nuisait certainement à son « rayonnement international ». Et tant pis pour l’intégration et la mixité.
Pourtant, stupeur, l’Idex n’est pas reconduit a la fin de la période probatoire. Pourquoi ? C’est ce que demande Marie France Barthet, présidente de l’université fédérale, lorsqu’elle se fend d’une lettre au responsable de cette décision, Manuel Valls. Le constat est de fait sans appel : toutes les universités ayant refusé la fusion, quels que soient les engagements pris par l’Etat et les résultats des initiatives locales, se sont vu refuser la reconduction. Le gouvernement a pris sa décision, ce sera fusion ou rien. L’université fédérale décide alors de mettre en place un « Conseil d’Orientation Stratégique », lui-même chargé d’établir un plan de « reconquête de l’Idex » pour l’horizon 2017. C’est que l’Université fédérale à plusieurs dizaines de projets sur les bras, que l’Idex devait financer pour les 6 prochaines années. Et donc, malgré le mécontentement, il est urgent pour le site de récupérer le label et l’argent des subventions sous peine de devoir mettre en péril les « initiatives d’excellences » déjà engagées et de bouleverser toutes les tractations qui s’opèrent à l’ombre de l’autonomie. On annoncera donc encore davantage de grands projets, on maquillera la fusion en « mise en place d’un grand établissement », on parlera d’un « modèle de gouvernance plus intégré ». Mais on évitera soigneusement, bien sûr, de condamner officiellement la position gouvernementale, et surtout de demander leur avis aux travailleurs et usagers des Universités, c’est-à-dire ceux qui la font tourner, et ceux à qui elle est censé être destinée.

Gouvernements et présidences universitaires font des choix conscients

 
Cette logique des Idex et, comme sa perte dans le cas toulousain le reflète, l’injonction aux fusions compétitives des pôles régionaux de l’ESR, n’est pas nouvelle. Depuis près de 15 ans il nous est répondu que la France doit se plier aux exigences de l’Europe, et notamment au « processus de Bologne », que notre système n’était pas viable économiquement sur le marché international. Toujours, la réponse des « responsables » politiques a été qu’ils n’avaient aucun pouvoir. Mais ce « je ne peux rien faire » des gouvernements comme des présidences est bien un « je choisis consciemment d’accepter ». Les arguments selon lesquels il n’y a pas de budget, selon lesquels « c’est la crise » et nous devrions alors « nous serrer la ceinture », sont, comme dans le privé, des arguments consistant à faire payer la crise à ceux qui travaillent et à la grande majorité de ceux qui étudient (et travaillent aussi d’ailleurs, pour payer leurs études), et à absoudre ceux qui sont activement responsables ou agents zélés de cette crise. Ce sont des mystifications.

L’union européenne a bien su trouver les centaines de milliards d’argent public pour « sauver les banques » lors de la crise financière de 2008. Le gouvernement a offert 48 milliards aux entreprise sur les deux dernières années en « Crédit d’Impots pour la compétitivité et l’emploi » et le projet de loi finances 2017 en prévoit 25 supplémentaires. Et, actualité politique oblige, on ne peut que souligner, de même, les sommes faramineuses consacrées par ce même gouvernement au renforcement des appareils policiers et militaires. Bref, aux antipodes d’une impossibilité de faire autrement, il y a des choix budgétaires majeurs qui sont effectués au plan national et incarnent une politique dont on sait à quel point elle est marquée depuis 2014, depuis que Valls est arrivé au gouvernement, par la combinaison intensifiée de l’austéritaire et de l’autoritaire. Présidences d’université, mais aussi syndicats et étudiants ne peuvent aborder toutes ces questions relatives à Idex, fusion, etc. sans les remettre en perspective à cette aune. Sinon, cela s’appelle se payer de mots.


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