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Élections américaines

Ni rire, ni pleurer. 3 clés pour comprendre la victoire de Trump

Sarah Macna Tremblement de terre. Alors que presque tous les sondages et tous les médias annonçaient la victoire d'Hillary Clinton, c'est Donald Trump qui s'est imposé aux élections américaines. Comment expliquer la victoire de celui que l'on pensait pourtant si détesté ? Cela aurait-il pu être évité ? Que faire maintenant ? Retour sur trois questions clés.

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1) Comment Trump a-t-il gagné ?

Les premiers sondages permettent de donner un visage à la majorité de l’électorat de Trump. Parmi ceux et celles qui ont voté, Trump serait en effet majoritaire chez les hommes, les blancs et blanches, les plus de 45 ans. Il s’agit là de l’électorat classique du parti républicain. Par ailleurs, Trump a bénéficié du mode de scrutin américain : Hillary Clinton a obtenu le plus de voix d’électeurs, mais Trump remporte le plus de grands électeurs, ce qui lui permet de gagner l’élection. Pour un candidat qui se présentait anti système, anti-establishment, c’est donc en partie grâce au système électoral et politique anti-démocratique des Etats-Unis qu’il a pu gagner.

Mais la victoire de Trump ne peut s’expliquer sans ajouter à ces éléments une compréhension plus profonde de la situation de la société américaine. Une société traversée par les conséquences profondes d’une crise économique aux proportions historiques et qui dure déjà depuis plus de 8 ans, par le désarroi d’une partie de la classe ouvrière à qui on a retiré presque tout (chômage, expulsions locatives) et qui est à la recherche de solutions « simples » et de « changement ». On doit noter aussi dans les enquêtes de sortie des urnes que le vote républicain lors de ces élections a augmenté parmi la population noire (+ 5 %) et la population hispanique (+ 2 %). La victoire de Trump est donc avant tout une défaite de Clinton, dont une partie de l’électorat classique du parti démocrate s’est détournée (les femmes, les populations noires et hispaniques, les jeunes), ne se mobilisant pas pour l’élection. Comme nous le disions dans un précédent article, les principaux vainqueurs de cette élection sont le rejet et la lassitude : juste avant les élections, 82 % des sondés s’estimaient dégoûtés de la campagne électorale.

On ne peut donc comprendre la victoire de Donald Trump sans comprendre la profonde crise que traverse le système politique américain aujourd’hui, et en premier lieu le bipartisme qui l’a structuré depuis des décennies. Les scores élevés de Bernie Sanders lors de la primaire démocrate étaient déjà un élément en ce sens : pour la première fois, un présidentiable américain parlait de socialisme, exprimant la colère qui existe dans de larges couches de la population, et notamment parmi les jeunes qui se sont mobilisés dans Occupy Wall Street ou dans Black Lives Matter ces dernières années, contre les conséquences de la crise économique mondiale et de la politique pro-banques et anti-sociale menée par les gouvernements successifs. La victoire de Trump, le succès d’un candidat comme Sanders et la défaite de Clinton qui n’a pas réussi à convaincre les jeunes et les classes populaires malgré la « menace » de Trump sont un seul et même phénomène : celui de la crise des mécanismes habituels de domination aux Etats-Unis, aucunement capables de donner une réponse face à la détérioration des conditions de vie et de travail imposée par la crise capitaliste. Et comme le dit Gramsci, c’est dans « ce clair-obscur » où « le vieux monde » du bipartisme américain se meurt et où « le nouveau monde tarde à apparaître, que surgissent les monstres » comme le brutalement raciste et sexiste Donald Trump.

2) Clinton était-elle une alternative face à Trump ?

Hillary Clinton semblait pourtant partie gagnante, jusqu’à hier où tous les médias français, relayant en direct la situation dans les bureaux de vote, donnaient tous les espoirs au camp démocrate. Les nombreux soutiens « people » qu’elle avait reçus semblaient là aussi lui donner l’avantage. Mais la faveur des médias et les paillettes des stars n’auront pas réussi à cacher le plus grand talon d’Achille d’Hillary Clinton : le bilan des deux mandats successifs d’Obama. Au jeu du « moindre mal », Clinton pouvait en effet gagner face à Trump. Mais ce « moindre mal », c’est-à-dire la politique menée par les démocrates au pouvoir ces dernières années, et que Clinton se proposait de poursuivre n’avait pas bien belle allure : précarisation des emplois et bas salaires, augmentation de 30% des revenus des plus riches et stagnation des salaires des travailleurs, approfondissement des dettes étudiantes, violences racistes, déportation de 2,5 millions de migrants, 30 millions de personnes sans assurance santé...

Face à cette politique, différents secteurs se sont d’ailleurs mobilisés : les 99% de Occupy, les militants de Black Lives Matter, ou encore les secteurs de travailleurs combatifs qui ont lutté pour le salaire horaire à 15 dollars, remportant parfois quelques victoires. Pour beaucoup, le débouché politique à ces mobilisations aura été la candidature de Bernie Sanders, pendant les quelques mois de primaires démocrates. Mais depuis l’élimination de Bernie Sanders, qui s’est ensuite rallié à Hillary Clinton qui apparaît – à raison – comme la successeuse directe de la politique d’Obama, une partie de cette colère s’est détournée du camp démocrate, soit vers l’abstention, soit sans doute vers le vote Trump, qui apparaissait – à tort cette fois – comme un candidat anti-système, comme le seul vote de colère possible. Le résultat de l’élection aux USA s’explique, dans ce sens, davantage par la défaite de Clinton, la candidate qui représentait ce que les classes populaires américaines honnissent le plus dans le cadre de la crise des deux principaux partis traditionnels : l’establishment, Wall Street, les dynasties politiques. Les soupçons de corruption entourant la candidate démocrate ces derniers mois et son caractère éminemment belliciste n’arrangent pas bien entendu l’affaire sur ce terrain.

La victoire de Trump n’a donc rien d’un hasard, mais est en partie une conséquence de la politique menée par les démocrates depuis des années, qui lui ont pavé le chemin. En ce sens, Hillary Clinton ne pouvait être un rempart face à Trump, et il n’est pas étonnant que celle-ci propose ses services à son ex-adversaire pour diriger le pays, lors de son dernier discours.

3) Et maintenant ?

Tandis que les candidats aux présidentielles françaises s’empressent de réfléchir à comment ils pourraient tirer parti de ce résultat, c’est plutôt le désarroi et la peur qui pourraient frapper les travailleurs et les couches populaires en France. Trump est-il un signe avant-coureur de la victoire de Marine Le Pen en France ? Le fascisme est-il à notre porte ? Sommes-nous dans une période similaire aux années 30 ?

Pour une fois, Hollande aura sans doute dit le mot qu’il faut : nous sommes « dans une période d’incertitude ». Incertitude sur le programme réel que pourra mener Trump au pouvoir : ne faisant pas l’unanimité dans son propre parti, et proposant un programme contradictoire avec les intérêts de certains secteurs de la classe dominante américaine, va-t-il pouvoir appliquer son programme ? Incertitude sur les marchés : les turbulences observées à la bourse face à l’annonce de la victoire de Trump seront-elles de courte durée ? Incertitude, enfin, sur la réaction des jeunes, des travailleurs et des classes populaires des Etats-Unis face aux attaques qui les attendent. Au pouvoir, Trump restera-t-il longtemps le porte-parole d’une partie de la colère, ou s’usera-t-il ? Produit de la crise économique mondiale, Trump s’y brûlera-t-il les ailes ?

De ce côté de l’Atlantique, alors que les élections présidentielles se présentent plus à droite que jamais, une chose est sûre cependant, un bilan que nous pouvons tirer de la course à la Maison-Blanche : face à la colère qui grandit contre le chômage et la misère engendrés par la crise capitaliste, le jeu du « moindre mal » et du « vote utile » contre « les monstres » n’a jamais permis de vaincre les discours racistes et sexistes de l’extrême-droite. Ici comme ailleurs, c’est au contraire lorsque ceux dont la colère a raison porteront leur voix en toute indépendance, lorsqu’un « nouveau monde » se proposera de naître face au vieux monde des élites politiques et des patrons, que nous pourrons faire barrage aux projets les plus réactionnaires.


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