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Nuit Debout change de cap, le gouvernement change d’attitude

Yano Lesage Le gouvernement, après avoir salué – en toute hypocrisie bien entendu – la montée d’un « printemps politique », commence à voir d’un très mauvais œil la pérennisation du mouvement Nuit Debout, née de l’occupation de la place de la République à Paris, à la suite de la mobilisation du 31 mars contre la loi travail. Après avoir préparé le terrain et lâché les chiens médiatiques à l’encontre de Nuit Debout – la visite volontairement provocatrice de Finkelkraut leur a donné des ailes -, le gouvernement a décidé de passer un nouveau cap pour tenter d’abattre le mouvement.

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Fini le temps du laisser-faire et du laisser-aller. Terminée, également, l’époque des remarques mi-moqueuses, mi-condescendantes qu’ont pu glisser, au début du mouvement, des membres du gouvernement sur la nature de Nuit Debout. À mesure que Nuit Debout gagne en « radicalité », radicalité qui se mesure moins, quoiqu’en dise le gouvernement, au nombre de jets de bouteille sur les policiers, qu’au degré de consolidation du cadre d’organisation de la mobilisation contre la loi travail, la crainte commence à monter du côté d’Hollande et de ses troupes. Il y a quelques semaines à peine, Hollande lui-même déclarait « légitime la colère de la jeunesse » exprimée sur la place de la République, certainement pour manœuvrer tout en souplesse avec cette large frange de l’électorat plus que déçue du PS qu’exprime également le mouvement. Révolue l’image d’« un printemps politique », pour Jean-Marie Le Guen qui aujourd’hui fait preuve de beaucoup moins de compréhension vis-à-vis de cette « soif d’idéal » qui s’exprime par ce mouvement d’occupation.

Car le gouvernement l’a bien compris. Nuit Debout n’est pas seulement l’expression d’une indignation molle, d’une révolte sans lendemain d’une jeunesse en mal de vivre. Il s’agit bien d’un lieu de politisation, de concentration et d’organisation d’un mouvement social de grande ampleur en structuration. Alors que le second round de la mobilisation contre la loi travail se met en place avec dès ce mardi, la grève des cheminots, suivie de la journée de mobilisation du 28 avril, appelée par l’intersyndicale, du 1er mai et bientôt, de la rentrée sur les facs, Nuit Debout a joué un rôle clef dans le maintien de la mobilisation et devient désormais un cadre d’organisation, quoique imparfait, en construction.

Voilà de quoi faire pâlir le gouvernement et donner du grain à moudre à l’éditocratie qui désormais ne cherche plus à masquer sa haine de classe derrière les bons sentiments et la condescendance. Dans la même veine que l’inébranlable stratégie de délégitimation, qui consiste à faire passer les manifestants pour des « casseurs » et la violence venant de l’État et des provocations policières – et des policiers déguisés en casseurs, dont les médias dominants omettent volontairement l’existence – pour celles des manifestants, le gouvernement cherche à insuffler l’idée selon laquelle Nuit Debout serait « dénaturée » par « les manipulations grossières de l’extrême-gauche », ces « islamo-gauchistes » comme Le Guen aime à nous désigner.

Si entendre le gouvernement défendre la nature originelle de Nuit Debout est pour le moins risible, la « manipulation » qui consiste à assimiler manifestants et terroristes, l’opposition à la loi travail et la barbarie de meurtres d’innocents à la kalachnikov sont pour le coup véritablement « grossières ». Que cherche le gouvernement derrière ces allégations ? Rejouer le coup du « Je suis Charlie » de 2015, un an plus tard, et réactiver les divisions à gauche, entre le bon « peuple de gauche » et ceux qui ont refusé de défiler à ses côtés le 14 janvier ? Instrumentaliser la question religieuse, une fois de plus, et jouer le tout pour le tout pour diviser, alors même que Nuit Debout cherche avant tout à mener le tout ensemble, des « bobos » précarisés aux quartiers ségrégés ?

Quoi de plus révélateur, en effet, sur le fait que se joue actuellement le pire scénario possible, non seulement pour le gouvernement, mais pour la bourgeoisie dont il sert les intérêts. À couteau tiré, dans un contexte de forte polarisation et de mobilisation, le gouvernement « socialiste » montre son vrai visage et ses vraies craintes. Celles de voir s’organiser un pôle radical et contestataire orienté, non pas sur la droite mais bien sur la gauche et porté vers la remise en cause de cette domination de classe.

À ce titre, l’éditorial de Challenge, qui ne fait pas non plus dans la dentelle et exprime tout aussi bien cette peur et cette haine de classe. Tirant à boulet rouge sur Frédéric Lordon, le journal voudrait le faire passer pour un nouveau « Mao », un dominant parmi les dominés, sur des arguments aussi fallacieux que la posture assise plutôt que debout que celui-ci aurait préféré adopter pour parler en AG. À la manière du gouvernement, on l’entend crier au loup et appeler à la démocratie. On croirait rêver.

La classe dominante veut conserver le monopole de sa « démocratie », où les opprimés et les exploités n’ont pas la voix au chapitre, et qui n’est autre qu’une mascarade de représentation. Chaque voix qui la conteste est dès lors une usurpation, une manipulation et une tyrannie. Voilà le vrai visage de cette démocratie bourgeoise qui se révèle avec violence, à la fois symbolique et physique, au travers du gouvernement, des grands médias et de la police qui en constitue son bras armé, lorsqu’elle commence à être contestée. La coexistence est impossible dès lors que cette contestation est refusée : c’est bien leur démocratie qu’il faut abattre pour peu que la nôtre puisse s’exprimer.


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