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En comparaison, wikileaks c’était rien du tout…

Ombres et lumières autour des Panama Papers

C’est à nouveau « Panama », mais cette fois à échelle mondiale. Le scandale, à la différence de celui de 1893, ne concerne plus seulement les députés de la Chambre, à Paris, mais des politiciens, milliardaires, dictateurs, sportifs et « fils de » du monde entier. Cependant, dans ce grand ménage de printemps qui met en lumière le niveau de perfectionnement du culte du secret en cours sous le capitalisme, on remarquera quelques absences significatives.

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Fernando Rosso

Le Consortium International des Journalistes d’Investigation, basé à Washington, sollicité par le Suddeutsche Zeitung, a mis sur pied une équipe de 376 journalistes, venant de 76 pays différents, pour travailler sur un ensemble colossal de documents qui ont commencé hier à être publiés sous le nom de « Panama Papers ». Il s’agit de près de 11,5 millions de documents internes en provenance du puissant bureau d’avocats panaméen Mossack Fonseca, l’une des principales entreprises de création de sociétés écran dans les paradis fiscaux au niveau mondial. Mossack Fonseca est basé au Panama mais possède des succursales aux quatre coins du monde, à Hong Kong, Miami ou encore Zurich. D’après des journalistes partie-prenante de l’enquête, les documents recueillis représenteraient à eux seuls 46 fois ce que contenait Wikileaks.

Les sociétés écran créées par Mossak Fonseca sont des sociétés fantôme utilisées pour occulter le nom de ceux qui en sont réellement les propriétaires. Dans les archives du bureau, on découvre ainsi les noms de 214.488 structures offshores liées à des personnalités du monde de l’entreprise, des célébrités et des politiciens venant de plus de 200 pays. L’ICIJ publiera début mai la liste complète de ces structures ainsi que des personnes auxquelles elles sont reliées.

Mossack Fonseca est spécialiste dans des dizaines d’opération allant du trafic de diamants en Afrique au marché de l’art international, autant de secteurs nécessitant un secret absolu. Le cabinet d’avocat a ainsi servi les intérêts de plusieurs maisons régnantes du monde arabe, à commencer par les Saoud et la monarchie chérifienne, mais également ceux du premier ministre islandais actuel, des proches de l’actuel président chinois, de Lionel Messi ou de Michel Platini. 29 des 500 personnalités les plus riches de la planète, selon Forbes, ont des sociétés qui ont partie liée avec Mossack Fonseca. Parmi les personnalités incriminées, des dizaines de seconds couteaux mais une bonne partie, voire la majorité, proviennent de pays semi-coloniaux ou dépendants.

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Des absents de taille

Le grand mérite des Panama Papers est, bien entendu, de mettre en évidence les mécanismes « légaux » et « illégaux » par lesquels les très grands patrons et la caste de politiciens à leur service cachent de fabuleux magots, fraudent le fisc et lavent de l’argent. Ce qui est étrange, cependant, c’est que, pour l’heure, les documents mis à jour semblent n’inclure aucune personnalité de premier plan étatsunienne ou allemande. Pour ce qui est des principaux pays capitalistes, on n’évoque que le père de l’actuel Premier ministre britannique, David Cameron, ou des personnages absolument secondaires dans l’économie de ce scandale, à l’instar de Jérôme Cahuzac ou Patrick Balkany.

Deux hypothèses au sujet de ces absences de taille : il se peut que l’investigation poussée par un pool de journalistes basé aux Etats-Unis et l’un des principaux quotidiens allemands aient des intentions géopolitiques pas totalement innocentes, d’où, notamment le fait d’épingler le président russe et son entourage, Pékin ou encore les puissants cousins de Bachar El Assad ; l’autre hypothèse serait que les dirigeants des pays impérialistes disposent, en réalité, d’instruments encore plus perfectionnés pour protéger leurs secrets. Qu’ils soient en revanche blancs comme neige n’est absolument pas crédible et tout ceci jette un certain nombre d’interrogations quant à l’opération visant à publier les résultats des investigations issues de ces documents.

L’industrie du secret

Le système des entreprises offshore dépend d’une large « industrie » globale de banquiers, comptables, avocats et autres conseillers qui travaillent à la défense des secrets de leurs clients. Tout est bon pour masquer les origines de l’argent. Les banques ne sont pas les dernières à avoir utilisé les services de Mossack Fonseca, comme en témoignent les opérations menées par HSBC ou encore la Société Générale.

Ce que révèlent les Panama Papers, c’est le niveau auquel le capitalisme est arrivé, avec ses deux béquilles, l’une légal, l’autre moins, et, dans les deux cas, un droit inviolable : celui du secret bancaire et commercial. En finir avec ce secret a toujours été une revendication des marxistes révolutionnaires. Alors que dans notre société on va jusqu’à discuter publiquement de l’augmentation, au centime près, du salaire d’un ouvrier ou d’un employé, le secret le plus absolu assiste les capitalistes pour engranger ses millions. C’est en ce sens qu’en finir avec le secret commercial est étroitement lié à la nationalisation du secteur bancaire et la création de banques d’Etat uniques, contrôlées par les travailleurs.

Il y a près de cent ans, le révolutionnaire russe Vladimir Lénine expliquait déjà ce que semblent découvrir aujourd’hui nos journalistes d’investigation. Il ne s’agissait pas seulement, pour lui, de dénoncer « l’immoralité » de tel ou tel dirigeant politique au nom de l’idée de ce que l’on pourrait se faire de « l’honnêteté », mais de poser la question de la propriété et en finir avec les escroqueries « légales ». « Aucun contrôle effectif des différentes banques et de leurs opérations n’est possible (même si le secret commercial est supprimé, etc.) ; expliquait Lénine dans La catastrophe imminente (1917), car on ne peut suivre les procédés extrêmement complexes, embrouillés et subtils employés pour établir les bilans, fonder des entreprises et des filiales fictives, faire intervenir des hommes de paille, etc., etc.

Un siècle plus tard, ce que démontrent les Panama Papers, c’est que les conspirateurs capitalistes et leur personnel politique ont utilisé les techniques les plus modernes pour perfectionner cette industrie qui est aussi vieille que la bourgeoisie elle-même : « l’industrie du secret ». Une façon, de plus, de mettre en lumière sa propre décomposition sociale.

Trad. CT


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