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Pendant que les autres universités fusionnent…

Paris 1 Panthéon-Sorbonne se cherche une nouvelle ComUE : quelles conséquences pour les étudiants et la recherche ?

La nouvelle était passée relativement inaperçue en novembre : l’université Paris 1 quittait la ComUE (communauté d'universités) Hésam, qui s’en retrouvait particulièrement faible. Cette porte claquée n’était évidemment pas fermée à jamais et Paris 1 est plus que jamais à la recherche de partenaires pour fonder ou rejoindre une nouvelle ComUE, selon la politique de regroupement et de fusion imposée par le ministère, pour peser dans les classements internationaux et dans les attributions de subventions publiques. La présidence a ainsi publié un « Projet stratégique en vue d’un prochain regroupement » cette semaine. Cependant, ces regroupements, qui, pour certaines universités, ont abouti à des fusions d’universités, sont loin de se dérouler pour le plus grand bien de l’enseignement et de la recherche : marchandisation des savoirs, exclusion des étudiants des processus de décision, plus grande sélection et fermeture de parcours, les implications de tels regroupements sont souvent très importantes pour les étudiants et étudiantes.

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Les ComUE et regroupements universitaires, des relais de l’austérité gouvernementale dans l’enseignement supérieur

Pour comprendre le « Projet stratégique de Paris 1 en vue d’un prochain regroupement » envoyé à tous les étudiants cette semaine, il faut revenir sur la façon dont l’université a tenté par le passé de se regrouper avec d’autres établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). En effet, avec les lois sur l’autonomie des universités (LRU, en 2007) et la loi Fioraso (ESR, en 2013), les universités ont été poussées à plus « d’autonomie », c’est-à-dire qu’elles doivent désormais gérer leur propre budget. Pour celles et ceux qui veulent casser le modèle de l’université issu de 1968, il s’agit de désengager, petit à petit, l’Etat du financement des universités. Dans les faits, aujourd’hui, toutes les universités doivent gérer leur budget, dans un contexte où l’Etat donne de moins de moins de budget par étudiant, et coupent de plus en plus de budget dans l’ESR. En réalité, avec ces lois sur l’autonomie des universités, les conseils d’administration de chaque fac sont devenus des gérants de l’austérité gouvernementale, toujours à la recherche de financement, qu’ils soient privés ou publics.

Dans le nouveau modèle de financement public des universités, l’Etat cherche à mettre en compétition de plus en plus les universités et renforcer un modèle plus élitiste, notamment avec la sélection en master 1, mais pas seulement. En effet, en 2006 sont créés les PRES (Pôles de Recherche et d’Enseignement supérieur), qui sont remplacés en 2013 par les ComUE (Communautés d’Universités et d’Etablissements) : ce sont des regroupements d’établissements, qui peuvent réunir des universités, des écoles d’ingénieur, des lycées avec classes prépa, des hautes écoles. Pourquoi créer de tels regroupements ? Il s’agit avant tout, pour le gouvernement, de promouvoir les établissements dans les classements internationaux comme le classement de Shanghaï, en regroupant des ensembles d’établissements pour les « vendre » à l’international.

Ces regroupements sont, par ailleurs, l’outil pour les politiques d’austérité du gouvernement, car c’est principalement à ces regroupements que sont attribuées les subventions publiques, et notamment l’Initiative d’Excellence (IDEX), qui ont démarré en 2011, avec 7,7 milliards d’euros à la clé. Ces IDEX, qui ont été réparties entre 10 ComUE, PRES ou universités fusionnées, sont en réalité des moyens de mettre en concurrence les universités entre elles, avec les conséquences que l’on sait : élitisme à l’université, marchandisation des savoirs et suppressions de filières ; il suffit pour voir cela de regarder la façon dont le gouvernement tente de fusionner les universités à Toulouse. Plus que jamais, les budgets sont en effet calculés en fonction de « l’excellence » (c’est-à-dire avec les exigences des classements internationaux : nombre de publications dans certaines revues, nombre de brevet déposés...), et non en fonction des besoins réels de la population en terme de formation et de recherche.

Paris 1 dans une dynamique de regroupement pour une « université du XXIème siècle »

Dans ce contexte global, l’université Paris 1 s’était bien entendu mise dans la course aux subventions en fondant un PRES devenu ComUE pour conquérir ce fameux label. Ce regroupement, baptisé Hésam (Hautes écoles Sorbonne Arts et Métiers universités), comprenait Paris 1, le Cnam, l’EHESS, l’EPHE, l’ESCP-Europe et d’autres écoles. Une seule université et beaucoup de petites structures très élitistes donc, mais qui n’arrivent pas à gagner le label IDEX. A Paris, trois regroupements gagnent ce label : Paris Sciences et Lettres, Sorbonne Universités (malgré sa récente interruption) et Sorbonne Paris-Cité. Après cet échec, Paris 1 a quitté l’Hésam en novembre, et se cherche aujourd’hui une nouvelle ComUE.

Si le document de la présidence n’est guère explicite sur les velléités de regroupement de l’université, le « projet stratégique » de Paris 1 esquisse, entre les lignes, l’université dont veut le conseil d’administration : une université encore plus élitiste, avec un renforcement de la sélection en master et en licence via les doubles-licences notamment ; une université bien plus liées aux intérêts privés, avec des équipes de recherche et des enseignements directement liés à certains investisseurs, le tout dans un contexte de mise en concurrence des étudiants les uns contre les autres. En somme, une université qui se pense à l’inverse d’une université ouverte à tous et toutes, à l’inverse d’une université où ce sont les étudiants et les chercheurs qui décident le contenu des cours et le quotidien des études.

Le renforcement de l’élitisme de l’université, contre l’accueil de tous et toutes

En filigrane donc, il y a dans le document émis par la présidence, la question d’un renforcement d’une université qui est déjà très élitiste, avec près de 30 doubles-licences sélectives dès la première année. En effet, loin de se poser la question de savoir comment les savoirs pourraient être transmis le mieux possible et au plus grand nombre, Paris 1 explicite que le levier le plus important de tous dans la stratégie de regroupement est « l’attractivité […] l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne [qui] arrive aujourd’hui en tête des universités françaises dans la plupart des palmarès internationaux », plaçant cet enjeu avant « l’épanouissement personnel » des différents travailleurs de l’université. Pour son discours sur les doubles-licences, la présidence tente de donner le monopole de la pluridisciplinarité à ces parcours sélectifs. De plus, l’université compte aussi développer ces parcours avec les universités étrangères, avec la même sélection drastique. Et que l’on ne se trompe pas, dans ces filières parmi les plus sélectives de l’ESR, c’est surtout les étudiants ayant des parents issus des catégories sociales les plus favorisées qui sont sélectionnés. Loin d’être méritocratique, Paris 1 veut ainsi participer à la très forte reproduction sociale qu’organise déjà l’Education nationale, par son collège et son lycée.

L’université au service du CAC 40 : vers une plus grande marchandisation des savoirs

Finalement, l’université Paris 1, dans ce document, montre comment elle compte poursuivre la politique qu’elle mène déjà depuis des années, à savoir renforcer les liens entre l’université et le patronat français. Renforcer les liens avec des groupes parmi les plus grandes multinationales, voilà un des objectifs de ces regroupements d’universités. Le document annonce ainsi que Paris 1 doit « intensifier particulièrement les dispositifs de l’insertion professionnelle des étudiants en formation initiale, de la recherche appliquée, et de la valorisation, pour accroître son enracinement dans la société, l’économie et le monde culturel. Enfin, des partenariats doivent permettre de construire des complémentarités ». Ces « dispositifs d’insertion », sont, ils ne faut s’y tromper, des liens encore plus important avec le patronat. A titre d’exemple, le conseil d’administration (CA) de l’Hésam comporte un représentant du MEDEF et un représentant de la CGPME (le syndicat patronal des petites entreprises) ; au CA de PSL, c’est un représentant d’Air Liquide qui est présent. Autant de levier pour des entreprises dont l’intérêt est loin de former le plus grand nombre, mais de peser sur les programmes, les maquettes, les offres de formations. Et cela joue à tous les niveaux : au niveau des conseils d’administrations, mais aussi les partenariats des divers masters avec des entreprises (en droit par exemple, avec des cabinets spécialisés) mais aussi au niveau de certaines unités de recherche.

Ce document apparaît alors même que Paris 1 a été l’un des foyers des luttes contre la loi LRU mais surtout contre « la loi travail et son monde », qui dénonçait notamment ce modèle d’université, au service du Medef et qui appelait à la « séparation du Medef et de l’Etat ». C’est cette politisation de l’université qui a surement d’ailleurs stoppé toute velléité de fusion de Paris 1 avec une autre université, tant les luttes qui ont lieu actuellement sur les facs de Toulouse, mais aussi sur Paris, et notamment à Paris 7, inquiètent la direction de l’établissement.


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Arthur Nicola

Journaliste pour Révolution Permanente.
Suivi des grèves, des luttes contre les licenciements et les plans sociaux et des occupations d’usine.
Twitter : @ArthurNicola_

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