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Journée de lutte contre les discriminations à l’université et ailleurs

Paris 8. De la déconstruction universitaire…à son débordement

L’université Paris 8 - Vincennes-Saint-Denis a ceci de spécial que son histoire passée mais pas tout-à-fait refermée maintient ouvert un espace qui a été comblé par 4 mois de mobilisation intense contre la loi travail au printemps dernier, et permet des rentrées d’exception pour certaines filières. En Sciences Politiques, le département avait banalisé ce qui devait être le premier jour de cours, au profit d’une « journée de lutte contre les discriminations à l’université et ailleurs » organisée ce lundi 19 septembre. Répondant à des faits de transphobie ayant eu cours au début de l’année dernière, elle aspirait à mettre en lumière les discriminations plus en général. Au programme : matinée sur les questions de genre, avec une intervention du Collectif contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (CLASHES) - nous avons malheureusement du nous passer d’OUTrans finalement empêchée de venir -, après-midi sur le racisme, faisant intervenir successivement Louis-Georges Tin pour le Conseil représentatif des associations noires (CRAN), Nacira Guénif-Souilamas, enseignante à Paris 8, puis deux membres du Groupe non-mixte racisé (NMXR) de Paris 8. Retour sur la journée. Mar Martin

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« Par quel miracle l’université serait-elle indemne de la redoutable efficacité des stéréotypes ? »

Après que Thomas Brisson, responsable de la licence, ait ouvert la journée, c’est Sylvie Tissot, enseignante, qui posera le cadre d’une « réflexion sur l’université qui reproduit ou co-produit les discriminations  ». Ce dernier terme, consciemment choisi, s’attache à ne pas rester au simple constat d’une situation d’inégalités mais à en « prendre acte » pour la « ramener sur le terrain du droit ». Ce terrain n’est pas le « seul terrain d’action » et peut être questionné, mais il « ouvre des perspectives d’actions ». Les sciences sociales ont ainsi pour but « d’outiller les étudiant.e.s pour intervenir sur ce terrain », et « comprendre les logiques politiques des discriminations », qui ne sont pas « des intentions individuelles mais des logiques structurelles, systémiques », pointer les « processus socio-historiques qui désignent des populations comme différentes, dangereuses etc » et y voir ainsi des « possibilités de reconstruction de ces constructions ». Tel est l’esprit de la journée. 

Dans sa suite, ce sont Hélène et Alban qui interviendront au nom du CLASHES. Fondé en 2002 en indépendance des établissements, ce collectif militant et féministe a pour but de « visibiliser et alerter, diffuser l’information, réformer les procédures disciplinaires, sensibiliser, et orienter les victimes. » On pourra alors apprendre beaucoup sur les définitions juridiques du harcèlement sexuel, mais également du chantage sexuel, du viol, posant au coeur de la réflexion la question du consentement. Alban décrira les procédures existant à l’université, auxquelles la victime ou une aide explicitement requise pourront avoir recours, mais pointant également leurs limites, tandis que Hélène aidera à connaître les ressources en nous-même lorsque l’on est victime ou témoin d’une telle situation : «  Les gens ont un peu l’idée que c’est quelque chose qui arrive qu’aux autres, c’est important que les étudiant.e.s puissent alerter, soit en tant que victimes soit en tant que témoins. » Car si comme le rappelle Alban, aucun chiffre n’ont été produits jusqu’ici sur les violences sexistes ou sexuelles à l’université - les derniers rapports sur ces violences en général datant quant à eux de la fin des années 90 - l’université, loin de l’image donnée du « lieu de savoir, progressiste, duquel les discriminions sont absentes, réservées aux ignares, aux classes populaires » a « au contraire, toutes les raisons pour que ce soit un lieu propice au harcèlement », étant « fortement hiérarchique en même temps que cette hiérarchie est fortement niée. »

C’est Nacira Guénif-Souilamas qui posera plus tard, la meilleure rhétorique : « Par quel miracle l’université serait-elle indemne de la redoutable efficacité des stéréotypes ? » Ce « monde très policé » qui maîtrise le « langage » et fait que « la réalité des discriminations n’est que plus difficile à établir. » 

Dans l’université qui porte toujours le nom lointain de « Vincennes », cette question résonne d’autant plus. Celle qui a été l’îlot d’une utopie presque réelle au début des années 70, où les étudiant.e.s et enseignants avaient laissé place à une ronde d’ « apprenant.e.s », où la course au diplôme puis à l’emploi s’était vue préférer l’intérêt pour le savoir, où la crèche déchargeait un peu le rôle attribué de mère, où les portes ne restaient pas fermées aux non-bachelier.e.s ou à ceux et celles qui n’auraient pas les bons papiers. Mais également celle qui s’est vue rattraper par le monde qui l’entourait, qui l’a éloigné du centre parisien sans pour autant lui permettre d’ouvrir ses portes aux habitant.e.s de sa nouvelle ville. Celle-ci a montré que l’université, par delà même tous les efforts de ses penseur.se.s, ne pourra jamais effacer la réalité dans laquelle elle s’ancre. 

« Je dirais convergence des luttes »

« Je trouve très bien que l’on veuille commencer la rentrée par des réflexions sur les discriminations parce que souvent ce sont des choses qu’on aborde pas du tout, ou qu’on aborde à la fin de l’année s’il reste encore un peu de temps or j’estime précisément qu’il faut que l’inclusion de tous et de toutes soit le préalable de toute activité sociale et non-pas le supplément d’âme auquel on renvoie généralement ces questions. » Louis-Georges Tin, pour le CRAN, s’attachera quant à lui à décrire le paradoxe entre un choix qui lui semble être souvent posé entre être homosexuel ou noir, et tous les mécanismes parallèles et communs utilisés tant contre les homosexuel.le.s que contre es noir.e.s. En témoignent en France à la fin du XIXème siècle es théories sur les races, qui reprennent sans complexe les mêmes rhétoriques homophobes, la sur-sexualisation, les mystiques de « contagion », des lois passées, interdisant les mariages « inter-raciaux », rhétorique, mais surtout politique. Les violences policières, ciblées, homophobes comme racistes. « Vous savez on a passé un été n’entendre parler que du burkini, et puis c’est pas seulement cet été (…) y a le débat sur le voile, sur la burka, sur les bandana, sur la jupe longue, sur le halal, sur les magasins qui ne vendent pas de porc, sur les sorties, les crèches scolaires etc (…) Les vrais débats, la question du chômage, des inégalités, tout cela disparait derrière cet épouvantail. » « Si vraiment il fallait résoudre les choses en trois mots, je dirais convergence des luttes. »

« Qu’est-ce qu’il se passerait si on ne pouvait plus stigmatiser les arabes et les musulmans ? quel vide sémantique ? quelles seraient les polémiques s’il n’y avait pas de façon récurrente cette référence aux arabes et aux musulmans ? » A Nacira Guénif-Souilamas de prendre la suite et de montrer qu’à travers les époques, il n’y a que les formes et parfois les cibles qui changet, le racisme, lui persiste. De la colonisation à l’impérialiste d’aujourd’hui, de « l’orientalisme » sympathique aux « arabes violents », c’est la « construction d’une altérité tour à tour attrayante puis menaçante ». C’est l’injonction quotidienne à « l’intégration » en même temps que les rappels perpétuels à « l’étrangeté », les multiples périphrases « pour ne pas les nommer » tout en renvoyant toujours aux « origines ». Et la difficulté de cumuler, les tentatives individuelles à la recherche du moins pire, tentant de cacher un peu l’une des étiquettes discriminées lorsqu’on en porte plusieurs. 

Ce cumul, intervenante, de la NMXR l’appellera « intersectionnalité ». Dans ce même amphi qui réveille des souvenirs encore frais d’assemblées générales animées, elle revient sur l’émergence du groupe, né pendant le mouvement contre la loi travail à Paris 8, en réaction à un défaut de prise en charge de « son monde » raciste. Aujourd’hui, il revendique une non-mixité « choisie », au contraire des ségrégations imposées, ou du « communautarisme blanc parlementaire », comme « stratégie de résistance ». Une non-mixité des personnes dites « racisées » ou « non-blanches », considérant ces termes comme une construction sociale, héritée de l’esclavage et du colonialisme, la « blancheur » et la « race » n’existant que par opposition hiérarchique l’une par rapport à l’autre. A deux reprises, ce groupe a mis en place des séries de conférences en mixité intitulée « Paroles Non Blanches », « qui avait pour but de visibiliser des paroles qu’on n’entend pas dans les médias mainstream, non-universitaires et non-gouvernementales. » Conférences qui ont trouvé des détracteurs féroces jusqu’au coeur du Parlement, « parce qu’effectivement ça fait peur que les personnes opprimées, minorisées s’organisent entre elles » comme l’affirme une intervenante, également membre du groupe. 

De la sensibilisation à la lutte

A leur intervention à deux voix se succède un bouleversement du cadre, très universitaire jusqu’ici. La NMXR appelle ceux et celles qui veulent à sortir et se réunir dans une autre salle, en mixité d’abord, puissent non-mixité, reprenant ainsi les rennes d’une discussion moins formelle, se réappropriant un combat qui n’est pas seulement intellectuel, se détachant du cadre instauré au prime abord par les enseignant.e.s. Car si cette journée est certainement un signe positif de la part d’enseignant.e.s qui étaient en grève tout au long des quatre mois de mobilisation, grève qui a sûrement participer à pousser à la mise en place d’une telle journée de sensibilisation aux oppressions, elle a également la limite de rester dans un cadre théorique, reprenant le format universitaire enseignant.e.s/apprenant.e.s, souvent dans la perspective de donner des outils en vue d’une transformation petit à petit de la société, en réformant ses propres institutions. Par la proposition du groupe non-mixte, la sphère universitaire théorique, à sens unique, est rompue, et l’ambiance profondément changée. La première phase en mixité vient approfondir la mise à nue théorique des mécanismes d’oppression, par des témoignages d’expériences concrètes du racisme, révélant sa prégnance au quotidien, tous les rappels à l’ordre qui remémorent que « tu n’es pas blanc.he », qui réalisent comment le racisme touche au plus profond de l’être, forme et déforme par des représentations construites ou même l’absence de représentations, de possibilités d’identifications, non-blanches. La non-mixité quant à elle, est un outil essentiel permettant aux premier.e.s concerné.e.s un espace où la parole est plus libre, les vécus se recoupent, faisant converger au moins en partie les intérêts de lutte et les revendications. Contre les combats hypocrites contre les « discriminations » mis en place par les gouvernements ou relais de ceux-là même qui produisent, co-produisent ou reproduisent les oppressions, un espace non-mixte est un moyen d’assurer un lutte autonome des classes dominantes, seul façon de pouvoir aller jusqu’au bout de la décontraction des mécanismes d’oppression, en les prenant à la racine. De retour en mixité, ce sont deux courts métrages (l’un d’eux ici), intenses, qui laisseront enfin un amphi largement impacté par sa journée. 

Car la loi travail et son monde ont une réalité si prégnante aujourd’hui, au lendemain de la mort d’Adama, du faux-débat sur le burkini, et à la veille de l’expulsion de Abdoulaye, étudiant étranger à Paris 1, que cette journée a ouvert la voie à une possible réponse des personnes concernées en premier lieu, sous le regard ébahi du reste de l’assistance. Et surtout, elle ouvre l’arène à des discussions nécessaires sur les réponses à apporter, des débats indispensables pour parvenir à la hauteur des tâches qui nous incombent. 


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