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#JLM2017

Parti de gauche : quand la « Caravane pour l’égalité » passe en banlieue, initiative solidaire ou coup de pub ?

Dom Thomas Du 12 juillet au 28 août, la « caravane insoumise pour l'égalité et l'accès aux droits » de Jean-Luc Mélenchon sillonnera les routes de France : 51 étapes sont prévues dans les « quartiers populaires », pour « créer des espaces conviviaux de discussion avec les habitants », d'abord en région parisienne jusqu'à la fin juillet, puis dans le reste de la France au mois d'août. Sous couvert d'aider les habitants à accéder à leurs droits, la caravane fait partie intégrante, et de façon assumée, de la campagne JLM2017 : le PG, qui au lendemain des dernières élections régionales, en décembre 2015, tirait le bilan que les inscriptions supplémentaires sur les listes électorales n'avaient pas provoqué de regain d'intérêt pour les élections, que l'abstention jouait en défaveur de la gauche et qui mettait le recul de la gauche sur le compte de sa division, n'est manifestement pas à une contradiction près. Mais l'intérêt pour les quartiers populaires ne peut être brandi comme un trophée : derrière les déclarations, le vernis se craquelle.

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Une opération aux relents de clientélisme et de coup de com’

Selon des estimations reprises à loisir par Jean-Luc Mélenchon et ses documents de communication, il y aurait en France 3 millions de gens non inscrits sur les listes électorales, et 6 millions d’électeurs mal inscrits, c’est-à-dire inscrits dans une autre commune que leur commune de résidence. Au total, cela fait donc 9 millions de Français qui ne font pas valoir leur droit de vote - et 9 millions de voix à draguer pour le Parti de Gauche, en vue de la présidentielle à venir.

La « caravane insoumise » met donc l’accent sur ce fait : il s’agit tout autant d’informer les habitants sur les aides financières auxquelles ils ont droit que de les inciter à s’inscrire sur les listes électorales. Ou plutôt, comme le dit Mathilde Panot, la coordinatrice du projet : « même si on est surtout là pour les droits, au fil de la discussion, je présente la France insoumise ». Si on décrypte, il s’agit donc, dans la plus pure tradition missionnaire et civilisatrice, d’appâter le chaland en annonçant à son interlocuteur que peut-être il a droit à des allocations qu’il ignore pour, ensuite, lui vendre le projet mélenchonien.

Les militants de la caravane se vantent, sur leur page facebook, de réussir à réaliser des inscriptions électorales chaque jour. Pour l’accès aux droits sociaux par contre, le bilan est plus mitigé : discrétion ou absence de résultat, la seule information disponible dans le résumé de leurs 15 jours de périple concerne une dame qui, à Nanterre, a découvert qu’elle avait probablement droit à 500€ d’aides. Mais, les travailleurs sociaux et militants associatifs le savent, il ne s’agit pas de passer une fois dans un quartier et de remplir quelques formulaires pour que l’ayant-droit touche quoi que ce soit : l’accès aux droits est un travail de longue haleine, qui nécessite des rencontres régulières pour lever tous les obstacles administratifs savamment orchestrés par l’Etat.

Mélenchon, lors de la conférence de presse de lancement de la caravane, affirme que l’initiative ne s’arrêtera pas là, et qu’un second passage sera peut-être envisagé. Apparemment, rien n’est moins flou, et rien n’est annoncé pour l’instant sur le site de la caravane, dont la présentation succincte laisse pantois. Pourtant ce genre d’intervention ne s’improvise pas. Passer une journée dans un quartier pour remplir quelques formulaires, au mépris des associations prenant déjà en charge localement ce travail, ressemble donc bien plus à une opération de communication adressée tant aux habitants des quartiers qu’au « peuple de gauche » déçu par Hollande, qu’à un réel travail efficace sur l’accès aux droits.

Il ne suffit d’ailleurs pas de se mêler ponctuellement à la plèbe, comme l’a fait Giscard d’Estaing en son temps, pour connaître ses problèmes. Mélenchon, interrogé sur la façon dont ont été choisis les emplacements de la caravane, est bien en mal de répondre, et renvoie immédiatement la balle à Mathilde Panot avec un débonnaire « c’est elle qui sait ça ! » Un peu plus tard, il l’interrompt pour émettre un doute sur la disponibilité des militants locaux en cette période de vacances : le fait que la coordinatrice ait pu les contacter par téléphone pour préparer le parcours ne l’a manifestement pas effleuré. La petite tape paternaliste dans le dos de la jeune femme, qui suit la réponse de cette dernière, couronne le tout.

Entretenir la confiance dans les institutions et l’illusion électorale

Lors de la conférence de presse, si Mathilde Panot a critiqué rapidement la restructuration des services publics et la baisse drastique des moyens attribués aux associations, c’est pour mieux mettre la responsabilité sur le phénomène du non-recours, dont la responsabilité est à attribuer aux discours culpabilisant l’assistanat. Il suffirait alors de rassurer les uns et les autres en venant à leur rencontre et de remplir le formulaire avec eux en les assurant qu’ils ont légitimement droit à la prestation. Les études et travaux sur le non-recours aux droits montrent cependant que les raisons en sont bien plus structurelles et objectives, et mettent en cause les mécanismes administratifs volontairement de plus en plus complexes. La tendance à la dématérialisation des démarches, qui oblige l’ayant-droit à faire sa demande de façon autonome par internet, exclut de fait les personnes en difficulté avec l’écrit et/ou avec l’informatique : une source double d’économies pour le gouvernement, qui peut ainsi supprimer des postes et épargner une partie du montant des aides dues. Si le discours sur l’assistanat a probablement sa part, affirmer que le non-recours est lié la responsabilité individuelle de l’ayant-droit qui n’ose pas réclamer son dû revient à entretenir une confiance aveugle envers l’institution, sociale et progressiste par nature.

JLM, de son côté, met l’accent sur l’accès au droit... de vote : pour lui, ne pas voter, c’est « être invisible, sur le côté avant même que la partie ait commencé ». Il veut donc faire « revenir dans la communauté citoyenne et reprendre pied » ces « millions de gens qui n’interviennent plus sur la scène politique » . Des propos d’un paternalisme et d’un mépris total pour toutes les initiatives politiques qui ont lieu dans les quartiers, sous de multiples formes, que le vieux briscard de la politique institutionnelle ne peut sans doute pas comprendre.

Du mépris pour ceux qu’un autre nomme les « sans-dents », JLM en a d’ailleurs à revendre dans cette conférence de presse qu’il faut voir absolument, disponible intégralement sur la page facebook de la caravane - qui n’a donc manifestement aucun souci à assumer les propos lénifiants et paternalistes de son leader. Mélenchon affirme ainsi que dans les quartiers, « il y a un énorme rejet de tout » , et que « ça ne va pas être facile » : il va falloir « convaincre d’accepter le dialogue, accepter la présence » de la caravane. Pour l’instant toutefois, n’en déplaise à l’auteur de ces propos aux relents coloniaux, aucun incident n’est à déplorer, si ce n’est de la part de la police qui a empêcher la tenue de la caravane à Mantes-la-Jolie. Quant au refus (réel ou supposé) de la présence médiatique de la part des habitants des quartiers, pour JLM, « c’est tragique : les gens se plaignent tout le temps qu’on parle jamais d’eux et quand on vient parler d’eux ils sont pas contents ». Mélenchon conclut en appelant à « comprendre la psychologie » des habitants ! Sur le traitement médiatique des banlieues, qui explique bien des réactions de rejet, pas un mot...

Mélenchon et le Parti de Gauche, amis des « quartiers » ?

Au-delà du discours moralisateur sur l’importance de voter « pour que ce ne soit pas toujours les autres qui décident » - niant ainsi toute autre forme de politisation et entretenant indéfiniment l’illusion que c’est par un bulletin de vote que les travailleurs et les classes populaires pourront se libérer de l’ensemble des oppressions qu’ils subissent au quotidien – Mélenchon ment effrontément en se présentant comme une alternative politique crédible pour les habitants des quartiers populaires. Lorsqu’il les incite à « faire dégager la caste » , selon son nouveau slogan de campagne faisant directement référence à l’expérience de Podemos en Espagne, pour le porter au poste de calife à la place du calife, il « oublie » de leur rappeler ses positionnements politiques réels sur des questions qui frappent brutalement les banlieues. Faisons-le à sa place.

Sur l’état d’urgence d’abord, qui touche en premier lieu les habitants des quartiers populaires : s’il affiche désormais une position critique concernant son maintien, JLM a d’abord prôné son instauration au lendemain des attentats.

Sur la police ensuite, la même qui assassine chaque année une dizaine d’habitants des quartiers populaires et que la justice couvre systématiquement : le Parti de Gauche n’hésite pas une seconde à réclamer plus de moyens pour la police nationale, au même titre que pour le reste des services de l’Etat. La réaction de Mélenchon après la mort d’Adama Traoré en dit long sur son rapport à la police : qualifiant d’ « échec  » ce qui ressemble de jour en jour plus à un assassinat, il affirmait « ne rien savoir des tenants et des aboutissants de l’affaire », passant ainsi sous silence les incohérences des récits policiers, les témoignages des proches dont son frère qui l’a vu immobile au commissariat, la répression subie par les habitants et les dizaines de cas similaires en France. Rappelons que pendant le mouvement de ces derniers mois contre la loi travail, Mélenchon avait également ouvertement soutenu la police contre les manifestants ; JLM est manifestement plus prompt à se solidariser avec « tous les prêtres catholiques meurtris dans leur fraternité » après l’attentat de Rouen, qu’à soutenir les travailleurs et les classes populaires face à la police et la « justice » d’Etat.

Sur les « émeutes » enfin, ces moments d’embrasement où la jeunesse des quartiers exprime sa colère contre un quotidien pourri et l’absence de perspectives : en août 2012, Mélenchon affirmait « rejeter » les jeunes d’Amiens, les traitant de « crétins », de « larbins » et de « bouffons » qui « jettent la honte à tous ». Quelques mois auparavant, faisant campagne en banlieue parisienne, JLM opposait « révolution citoyenne » et « émeute » en honorant « l’infinie patience des banlieues » - autrement dit, appelait les classes populaires à attendre patiemment qu’on veuille bien faire quelque chose pour eux.

Avec tout ça, pas étonnant qu’un néo-militant recruté il y a 10 jours pour la caravane, frappé d’une envie soudaine de s’investir dans les quartiers à la suite de l’attentat de Nice, n’ose pas dire qu’il s’agit d’une initiative de Mélenchon !


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