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Violences gynécologiques

Paye (pas) ton gynéco : documentaire sur les violences gynécologiques

Sorti en juin dernier, le documentaire Paye (pas) ton gynéco de Nina Faure aborde sans concession la question des violences gynécologiques. Interview d'une documentariste féministe et militante !

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Révolution permanente : Comment en es-tu venue à vouloir faire un documentaire sur les violences gynécologiques ?

Nina Faure  : Premièrement, ce qui m’a surprise c’est à quel point le vécu que j’avais pu avoir en tant que patiente était partagé par des milliers et des milliers de personnes, notamment quand j’ai vu en 2015 la sortie sur les réseaux sociaux du #PayeTonUterus et en 2017 du #PayeTonGynéco. C’est grâce à ces milliers de témoignages, qui préfiguraient #MeeToo et #BalanceTonPorc, que j’ai réalisé que toutes ces petites remarques moralisatrices, sexistes, jugeantes et culpabilisatrices que j’avais pu vivre pendant mon suivi gynécologique n’étaient pas normales et ne faisaient pas partie du cadre d’un suivi médical normal. J’ai alors commencé à en parler autour de moi et dans le cadre d’un documentaire que je réalise sur le plaisir féminin, il m’a semblé urgent de sortir sans attendre ce court-métrage sur les violences gynécologiques et d’en faire un film à part entière.

RP : Tu as pris le parti de te mettre en scène dans ton documentaire, y compris chez le gynécologue. Quel effet cherches-tu à susciter par ce procédé ?

Nina Faure : j’ai voulu partir de mon vécu de patiente pour à la fois transmettre ce que j’avais pu ressentir d’un point de vue émotionnel, mais aussi pour continuer une forme d’immersion que j’ai déjà utilisée pour parler de travail précaire dans mes précédents films. C’est une forme de récit qui permet d’affirmer un point de vue et de sortir de la prétendue « neutralité » journalistique. Dans le cadre du suivi gynécologique, quand j’ai commencé à me rendre compte des abus, j’ai aussi eu envie de me protéger avec la caméra et j’ai alors commencé à filmer les entretiens gynécologiques en caméra cachée. En documentant la session, ce que j’attendais c’était d’avoir des preuves en cas d’abus. Ce à quoi je m’attendais moins, c’était de me voir dans cette position là, avec une personne qui me fait une blague à connotation sexuelle alors que je suis allongée nue devant lui. En fait, c’est en voyant les images que j’ai aussi réalisé à quel point il y avait une violence dans le dispositif d’examen que je n’avais pas mesurée : me voir dans cette position de soumission, de vulnérabilité m’a beaucoup choquée et m’a fait prendre conscience de l’intérêt que peut avoir par exemple une autre forme d’examen, dite à l’anglaise, où l’on est allongée sur le côté en chien de fusil, et qui évite cette violence d’être sur le dos et les jambes écartées.

RP : Dans ton documentaire, tu traites des violences gynécologiques d’un point de vue structurel et féministe tout en dénonçant la culture du viol. Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as privilégié cette optique ?

Nina Faure : On entend souvent parler des violences gynécologiques comme de cas isolés qui dépendraient de certains médecins alors qu’il me semble que le caractère massif de ces violences est lié à l’histoire patriarcale de la médecine et à la façon dont sont formés les professionnels de santé avec notamment un certain mépris pour le corps des femmes et un mépris pour leur parole. C’est un héritage qui date de plusieurs siècles : c’est la longue histoire de la dépossession du savoir populaire sur le corps, du savoir des femmes qui ont été violentées notamment lors de la chasse aux sorcières. C’est suite à cela que s’est construite la médecine occidentale actuelle en particulier par des hommes. La gynécologie actuelle ne fait pas exception.

Je réfléchis parfois à entreprendre un travail de fond pour montrer que toutes ces petites remarques et tous ces gestes violents ne sont pas des cas isolés mais sont les conséquences d’un système médical qui méprise le corps des femmes et la parole des patients. À ce propos, il serait intéressant de travailler sur la notion de médecin en tant que classe car on voit que c’est une profession très représentée à l’Assemblée nationale et qui incarne une forme d’autorité et de pouvoir. Il y a une domination multiple qui se joue à cet endroit là.

RP : A de nombreuses reprises, le débat est polarisé par les mots, comme « pénétration » ou « consentement ». Peux-tu revenir sur l’importance du vocabulaire dans le combat contre les violences gynécologiques ?

Nina Faure  : Un des points importants du débat a été d’arriver à faire reconnaître que le point de vue et le ressenti des patientes était légitime. Il a fallu que des milliers d’entre elles prennent la parole pour que la profession commence à arrêter d’être dans le déni et à reconnaître qu’il y a un vrai problème. Avant c’était ma parole contre la tienne, et en tant que médecin si je dis qu’il n’y pas de problème c’est qu’il n’y en a pas.

Le fait de parler de pénétration pour un examen gynécologique, cela choque les médecins que j’ai interviewés. Je ne vois pourtant pas quel autre mot utiliser de mon point de vue. Cela marque un point aveugle il me semble : on fait semblant qu’on est en train de toucher un organe comme les autres, or ça n’est jamais le cas. Un gynécologue me disait, en se voulant rassurant, « je ne fais pas la différence, ça pourrait être un pied ». Je pense qu’il faudrait justement considérer que ce n’est pas un endroit comme un autre, que les femmes et les personnes trans ne peuvent pas se défaire de leur vécu sexuel en passant la porte de chez le gynécologue. Et que donc les médecins soient formés là-dessus, comme à la notion de consentement qui est essentielle en ce qui concerne la sexualité… et la médecine. Leur code de déontologie stipule bien que « le consentement de la personne examinée doit être recherché dans tous les cas ». Encore faut-il que ce soit appliqué.

RP : Quelles sont les dynamiques actuelles dans le monde médical pour porter un changement dans les pratiques ? Quelles recours ont les personnes victimes d’actes de violence gynécologiques ?

Nina Faure : Actuellement, on assiste à une inversion de la pyramide des âges et des genres dans la gynécologie. Les deux plus grandes catégories de gynécologues sont des hommes entre 45 et 60 ans pour une moitié et de l’autre côté des femmes entre 25 et 35 ans. Je pense qu’on est dans un moment de modification assez important puisque la période actuelle connaît une forme de nouvelle vague féministe qui est beaucoup mobilisée sur les questions de corps, d’intégrité physique et de lutte contre les violences sexuelles. Un débat publique existe depuis les trois dernières années puisque des femmes en formation en gynécologie se posent ces questions là. Il y a aussi des associations de patientes et de futurs médecins qui se mobilisent pour réfléchir à comment appliquer la notion de consentement dans le suivi médical. Il y a également le site gyn&co qui recense les médecins qui ont des pratiques féministes.

Malheureusement, ces dynamiques n’empêchent pas les violences de continuer pour les femmes et les personnes trans qui les subissent. Il est souvent difficile de réagir sur le coup -la blouse blanche fait autorité- mais il faut toujours se rappeler que ces personnes sont là pour nous accompagner dans notre suivi médical et pas là pour nous donner des ordres. Par exemple, dans le cadre d’un renouvellement de prescription de pilule, il n’est pas obligatoire d’accepter un touché vaginal.
Il est possible de porter plainte auprès de l’ordre des médecins tout en sachant que c’est une institution corporatiste qui va tenter de protéger les médecins plutôt que de les punir. Les sanctions en cas de violences sont soit légères, soit inexistantes. En cas de geste plus grave, on peut aussi porter plainte au commissariat même si c’est là aussi un parcours du combattant pour se faire entendre. Ce qui est sûr, c’est que plus on parlera, plus on se défendra, moins les violences se produiront. Et nous allons continuer !

Lien vers Paye (pas) ton gynéco :
https://www.youtube.com/watch?v=fsRZ59Urc2I&t=1000s


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