Intersectionnalité

Pour un Afroféminisme révolutionnaire

Collectif MWASI

Pour un Afroféminisme révolutionnaire

Collectif MWASI

Extrait de « Afrofrem », « l’outil militant » que le Collectif Mwasi vient de publier chez Syllepse, en septembre.

Le Collectif Mwasi est un collectif Afroféministe créé en 2014 par un groupe d’Africaines et Afrodescendantes qui ressentaient le besoin de fédérer, d’échanger et de s’exprimer sur les questions liées aux Femmes Noires. Ce collectif non-mixte de Femmes et personnes assignées Femmes, Noires et métisses, lutte contre les violences et différentes oppressions qu’elles subissent. Son approche intersectionnelle des luttes qu’ielles rencontrent, le place sur de nombreux champs de bataille ; contre les discriminations liées à la classe, au genre, à la sexualité, à la santé, la religion ; contre l’institutionnalisation des dominations hétéropatriarcales dans le système capitaliste hégémonique blanc dans toute sa complexité.

Nous publions ici un extrait d’Afrofem, tiré de la première partie du chapitre 1 (« Nous sommes le rêve le plus féroce de nos ancêtres »). Nous remercions les éditions Syllepse de nous avoir autorisés à reproduire cet extrait.

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Ce livre n’est pas un ouvrage théorique sur la pensée féministe noire en France, ce n’est pas non plus un ouvrage de sciences humaines. Il s’agit d’un outil militant destiné à nos sistas tout d’abord, dans l’espoir de faire croître le mouvement Afro en France. Cet ouvrage parle aussi à l’ensemble de la communauté noire, car nous inscrivons notre afroféminisme comme un courant dans le mouvement Afro français. Nous voulons que cet ouvrage serve de première analyse de nous-même sur notre afroféminisme, et non de vérité absolue. Cet afroféminisme révolutionnaire que nous voulons fait face à plusieurs défis, le premier étant celui du nombre. Notre collectif fonctionne en moyenne avec douze membres actives. La charge de travail est lourde pour un nombre si réduit, d’autant plus que nos membres sont, pour la majorité, en situation de précarité, constamment dans des galères d’argent, de lo-gement que ce soit à titre personnel ou familial. Concilier le militantisme avec nos situations est souvent une charge psychologique supplémentaire mais nous avons pris cette voie car militer était la seule solution pour ne pas nous décourager. Militer nous fatigue et nous maintient debout à la fois.

Cet exercice sert aussi à clarifier notre pratique afroféministe, qui se distingue d’autres types de féminismes, mais aussi d’autres collectifs du même mouvement. Ces différences ou oppositions s’expliquent par les positions politiques de Mwasi, qui s’inscrivent dans une vision révolutionnaire, mais aussi par l’histoire et le contexte dans lequel Mwasi évolue.

Nous parlons de notre afroféminisme comme révolutionnaire car notre objectif est un changement de système. Cette position est différente des approches réformistes ; ces approches qui veulent améliorer le système ou faire en sorte que les places soient distribuées différemment. Nous pensons qu’il est impossible d’améliorer ce système, car, pour fonctionner, il a besoin de l’exploitation. Nous ne sommes pas intéressé•es par le changement de places. Ce que nous voulons, c’est qu’il n’y ait plus personne au bas de l’échelle ; que l’échelle disparaisse, d’ailleurs.

Notre collectif se bat contre le racisme et spécifiquement contre la négrophobie, racisme dirigé contre les Noir•es. La négrophobie se déploie dans tous les domaines de la société française, et partout dans le monde. La suprématie blanche instaure une hiérarchie de valeurs qui attribue tout ce qui est positif à la blanchité, et tout ce qui dégradant, sans possession, aux Noir•es. Il n’est pas un pays où les communautés noires, quand elles sont minoritaires, ne sont pas exploitées. En France, la négrophobie se manifeste par les contrôles policiers, les peines de prison, les discriminations au travail, à l’école, au logement, mais aussi à travers la culture, les médias et la publicité. Les Noir•es de France partagent une condition commune avec d’autres groupes racisés, notamment les personnes arabes, face au racisme d’État. Au-delà de ces conditions communes (police, justice, relégation périurbaine, discriminations), il est indispensable pour nous de traiter la question de la négrophobie, mais aussi les questions relatives à la condition noire de manière spécifique.

Nos luttes visent à un monde débarrassé de la société de classes, où les bourgeois•es s’enrichissent sur notre travail et s’accaparent les ressources pendant que l’État se charge de criminaliser la pauvreté. Les Noir•es composent une bonne partie des classes précaires et pauvres, en France et dans les colonies départementalisées appelées DOM-TOM. Le racisme et le capitalisme organisent main dans la main notre exploitation, poussant une partie d’entre nous dans les économies criminalisées et vers la prison. Il nous faut en finir avec ce système, en finir avec l’exploitation salariale, en finir avec la bourgeoisie.

Notre afroféminisme est pour la fin de l’hétéro-patriarcat, qui permet aux hommes d’exercer toutes sortes de violences sur les femmes et minorités de genre, allant de l’humiliation au meurtre. L’hétéro-patriarcat, c’est aussi la domination de l’idéologie hétérosexuelle et tout ce qui va avec : par exemple l’homophobie, car les femmes n’ont de valeur que si elles sont en couple hétérosexuel, les femmes n’existent que pour le plaisir des hommes, pour servir les hommes et être en compé-ti-tion entre elles.

Nous réaffirmons notre intransigeance face à la culture du viol, aux violences conjugales et à leur impunité qui sévissent en France, encouragées par l’État, sa police et sa justice mais aussi les médias et l’élite culturelle française.

Nous sommes déterminé•es à lutter contre toute atteinte aux droits des femmes à disposer de leurs corps. Notre attention se porte particulièrement sur la criminalisation de plus en plus fréquente de l’avortement en Europe.

Nous réaffirmons nos droits absolus sur nos corps dont nous n’avons pas honte. Qu’ils soient couverts ou non, nos corps ne sont pas des objets à exotiser, ne servent pas à quantifier notre niveau de liberté ou de respect de soi. Ce droit absolu s’applique aussi dans le cadre des violences médicales, notamment gynécologiques et obstétriques ?

Il est essentiel pour nous que l’afroféminisme ne soit pas une simple identité, mais une pratique politique dans des collectifs, qu’ils soient afroféministes ou non, qu’ils soient mixtes ou non.

Notre objectif est de renforcer le mouvement Afro en France dans l’autonomie, et pour cela, il nous faut des organisations politiques Afro fortes, tant sur le plan de la pratique militante que sur le plan de la pensée. Notre lutte afroféministe s’inscrit dans ce sens afin de créer un rapport de forces qui permette des alliances d’égal à égal avec l’ensemble du mouvement social en France, et soutenir la lutte panafricaine pour la libération de l’Afrique.

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