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« Complicité intellectuelle » : l’invention du nouveau délit d’opinion

Pourquoi Mediapart est l’ennemi n°1 de Charlie Hebdo et Valls (plus que tous les agresseurs sexuels)

Mardi 5 novembre, l’ex-premier ministre Manuel Valls, en mal de reconnaissance après son double échec politique de 2017 lançait, sur Europe 1, l’offensive contre Mediapart et Edwy Plenel, en accusant ce dernier de « complicité intellectuelle » avec les agressions sexuelles dont est accusé l’islamologue suisse Tariq Ramadan. S’en suivait la Une diffamante de Charlie Hebdo contre l’ex-rédacteur en chef du Monde. Une semaine plus tard, ce mercredi 15 novembre, Manuel Valls, sur BFM-TV, persiste et signe contre le journal dans des termes d’une rare violence : « je veux qu’ils rendent gorge, je veux qu’ils soient écartés du débat public ». Mais pourquoi tant de haine ?

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Parce que Mediapart est le média à la pointe des dénonciations des violences faites aux femmes

Mediapart, quotidien en ligne, uniquement financé par ses lecteurs, et dirigé par Edwy Plenel, ex-directeur du Monde, a fait de la question des violences faites aux femmes et des agressions sexuelles un des axes majeurs de sa ligne éditoriale. En mai 2016, en collaboration avec France Inter, le journal est à l’origine des révélations concernant Denis Baupin, élu pour Europe Ecologie Les Verts. Un véritable travail d’enquête réalisé permet de recueillir huit témoignages de collaboratrices et d’élues, dont la porte-parole du parti, Sandrine Rousseau, attestant avoir été victime de harcèlement sexuel et d’attouchements de la part de l’homme politique. Depuis mai 2016, et dans l’émoi des révélations de l’affaire Weinstein, le quotidien multiplie les articles et les plateaux pour débattre de la question du harcèlement sexuel, dans le monde du spectacle, sur l’affaire Polansky et la polémique de la Cinémathèque, dans le monde du travail, au Medef, dans les syndicats. Pas moins que pour les autres, Mediapart a également écrit sur l’affaire Tariq Ramadan, l’islamologue suisse, accusé d’agressions sexuelles par le biais de différents témoignages d’admiratrices ou d’anciennes étudiantes.

Sur ces questions, et depuis l’exposition de cette problématique dans le débat public avec l’affaire Weinstein, Manuel Valls n’a pas pris publiquement position. Il faut dire qu’en 2011, à l’occasion de l’affaire Dominique Strauss-Kahn et du Sofitel, ce dernier était extrêmement bienveillant à l’égard de son coreligionnaire du PS, allant même jusqu’à dénoncer l’atteinte à la présomption d’innocence faite par les médias. Et il aura fallu que les révélations d’agressions sexuelles portent sur Tariq Ramadan pour que Manuel Valls sorte de l’ombre et s’inquiète du sort fait aux femmes. Une indignation à géométrie très variable, donc.

Parce que Mediapart n’est ni complaisant envers Tariq Ramadan, ni dans le déni d’un racisme antimusulman

En avril 2016, Mediapart sortait, sous la plume de Mathieu Magnaudeix, une enquête fouillée sur la personnalité, la pensée et l’influence de Tariq Ramadan. Une enquête sans grande complaisance, le décrivant pour ce qu’il est, un intellectuel islamique, profondément réactionnaire et conservateur, proche des Frères Musulmans. Un islamiste ayant une interprétation politique et sociale de l’Islam. Mais pas un djihadiste. Un « Zemmour à l’envers » comme le dit Mathieu Magnaudeix, qui a, avec les polémistes néoconservateurs qui inondent les plateaux télés, de Zemmour à Finkelkraut en passant par Elizabeth Levy et Natacha Polony, le point commun d’être profondément antiféministe. Ces derniers peuvent d’ailleurs dire haut et fort que le #balancetonporc a créé un climat de « délation », de « lynchage », sans que Manuel Valls vienne leur voler dans les plumes.

Car ce qui dérange Manuel Valls et Charlie Hebdo, ce n’est pas que des femmes soient agressées sexuellement au quotidien : c’est bien que Mediapart ne concède rien à cette fausse gauche qui se cache derrière la laïcité pour donner libre court aux amalgames et aux propos racistes. Mediapart a tout autant dénoncé les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan que la vague d’actes islamophobes qui est survenue en France à leur suite. Mediapart utilise le terme d’islamophobie au même titre que celui d’antisémitisme quand il est justifié. Mediapart reste intransigeant sur les valeurs de la gauche, là où Manuel Valls et Riss tombent dans l’ignoble. On se souvient des propos de Valls à Evry – où il y avait, à son goût, pas assez de « white, de blancos » - et des caricatures de Riss, dont celle sur « le petit Aylan, tripoteur de fesses » – enfant syrien mort noyé retrouvé sur une plage grecque en 2015 – reprise sur le site néo-nazi d’Aube Dorée.

Parce que Mediapart parle des violences policières, du racisme, des irrégularités judiciaires

Face à cette « gauche » nationaliste et raciste, Mediapart tient la tranchée et ses valeurs, maintient un regard critique sur les politiques gouvernementales, va parfois jusqu’à critiquer l’État, au travers de sa police – en couvrant les questions de violences racistes et ouvrant son plateau à Assa Traoré, sœur d’Adama Traoré, mort asphyxié lors d’une interpellation – et de sa justice lorsque celle-ci s’exempte des règles de droit (voir la couverture de Mediapart sur l’affaire Antonin Bernanos). Et c’est en vertu de cela que Manuel Valls et Charlie Hebdo – aussi paradoxal que cela puisse paraitre – veulent faire taire Mediapart.

Parce que Valls et Charlie Hebdo veulent créer un délit d’opinion

« Je veux qu’ils reculent, je veux qu’ils rendent gorge, je veux qu’ils soient écartés du débat public » a déclaré Manuel Valls au sujet d’Edwy Plenel, face à Bourdin sur BFM-TV. Le nouveau délit d’opinion est en place, et il s’appelle la « complicité intellectuelle ». Riss de Charlie Hebdo n’y va pas non plus de main morte : « Plenel condamne une deuxième fois à mort Charlie Hebdo » a-t-il déclaré dans une nouvelle offensive contre le directeur de Mediapart conjointement menée avec l’ex-premier ministre.

Valls et Riss veulent black-lister Mediapart, faire tout simplement taire un média, incontrôlable car indépendant, dont la ligne éditoriale autant que l’audience grandissante dérange profondément la classe politique et médiatique. Leur outil : la diffamation. Il n’y a pas plus de « complicité intellectuelle » – un chef d’accusation pour le moins délirant - de Mediapart avec les agressions commises par Tariq Ramadan que de complaisance de la part de Plenel et de son équipe à l’égard de l’islamologue suisse accusé de crime sexuel. Après s’être attaqué aux libertés publiques et au droit de manifester alors qu’il était premier ministre, Manuel Valls, déchu, cherche à s’en prendre à la liberté d’expression en créant un précédent de délit d’opinion. Un comble pour Charlie Hebdo, devenu véritable chien de garde de l’ordre moral.


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