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France "insoumise"

Pourquoi Révolution Permanente ne soutient pas Jean-Luc Mélenchon

Chômage de masse, souffrance au travail, précarité et salaire. Depuis le début de la campagne électorale, rares sont les candidats à l’élection présidentielle qui apportent des réponses qui ne soient pas réactionnaires aux principales préoccupations du monde du travail et de la jeunesse. Du Parti Socialiste qui s’adonne aujourd’hui au cirque des primaires, au « social » mais surtout libéral Macron, en passant par l’ultra-libéral et conservateur Fillon jusqu’à la pire ennemie des salariés Marine Le Pen. Chacun moyennant ses nuances a concocté un programme choc pour faire un saut dans le démantèlement des acquis du mouvement ouvrier. A Tourcoing, lors du meeting de Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France Insoumise, les discussions ont été toutes autres. Suite à la fausse couche d’une caissière à Auchan, il n’a pas hésité à s’en prendre frontalement au groupe de grande distribution. Devant 2 000 personnes, il a présenté son programme, ses moyens de lutte, ainsi que sa stratégie pour apporter une réponse au chômage de masse qui mine l’existence de 6,5 millions de travailleurs. Qu’à la place des discours réactionnaires, la classe ouvrière ait enfin voix au chapitre est une chose. De là à se féliciter du programme de Mélenchon, c’en est une autre. Car des désaccords programmatiques et stratégiques avec le candidat de la France Insoumise, nous en avons. Retour sur le meeting de Tourcoing.

Damien Bernard

21 avril 2017

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Alors que nombreux sont nos lecteurs qui nous questionnent quant à notre non soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, nous profitons ici de l’intervention de rentrée du candidat de la France Insoumise adressée à la classe ouvrière pour débuter notre premier article de la série « Pourquoi Révolution Permanente ne soutient pas Jean-Luc Mélenchon  ».

Tourcoing. C’est dans une salle comble que le candidat de la « France insoumise » tenait dimanche 8 janvier son meeting de rentrée 2017. Un premier déboulé consacré au chômage et à la souffrance au travail dans lequel Mélenchon a exposé certains des éléments déjà présents dans son programme l’Avenir En Commun. Il a profité de l’occasion pour annoncer une nouvelle proposition : « l’impôt universel ».

La Poste, Auchan. Sur le chômage de masse, la précarité et la souffrance au travai

« On est d’abord venus pour marquer un moment de protestation, d’indignation humaine, contre le sort qui est réservé a tant de milliers d’ouvrières et d’ouvriers, de salariés, de petits rangs qui ne peuvent se défendre parce que toute leurs vies dépendent de ce pauvre travail. » affirmait Jean-Luc Mélenchon pour ouvrir son meeting de rentrée sous le signe de la « résistance ». Pour illustrer son propos, il s’est attardé sur deux cas emblématiques. Il a d’abord rappelé le cas d’une jeune postière, enchainant les CDD, victime d’un AVC, alors que sa hiérarchie ignorait volontairement son état de santé préoccupant. Il s’est ensuite attardé sur un second exemple, celui de Fadila, caissière à Auchan-City, victime d’une fausse couche sur son lieu de travail, un cas qui met en lumière les conditions de travail et les méthodes de management au sein du groupe dirigé par le multimilliardaire Mulliez. Chacun de ces exemples, malheureusement banal, exprime à leur manière, la pression croissante qui s’exerce aujourd’hui, à différents degrés, sur l’ensemble du monde du travail et de la jeunesse. Une expression croisée de la souffrance au travail, de la précarité et de la pression du chômage de masse qui mine aujourd’hui nos existences, notamment celui « des femmes », comme l’a dénoncé Mélenchon.

Mulliez, un patron « immoral ». L’impôt universel pour l’éduquer ?

« La valeur d’une personne n’est pas décrite par son compte en banque. J’ajoute qu’être milliardaire est immoral. A quoi bon d’avoir 1 million si c’est pour en vouloir un deuxième ? », affirme-t-il pour dénoncer « ceux qui se gavent ». Dès lors, en plaçant le débat sur le terrain de la seule morale, Mélenchon sous-entend que le problème qu’il s’agirait de résoudre ne concernerait que le comportement de certains patrons, visant ainsi ceux qu’il s’agirait d’éduquer. Il poursuit ensuite : « Le problème c’est le banquier, le problème c’est Mulliez ! Voilà le problème : il a un nom, il a une adresse ». Qu’on ne se doute pas que face à ceux qui tentent de faire porter le problème du chômage sur l’immigré ou les musulmans, Mélenchon pointe à juste titre une partie des véritables responsables. Pourtant, en visant les seuls banquiers pour mieux s’attaquer à la finance, « immorale » par essence, il épargne le grand patronat, à savoir les capitalistes qu’il n’attaque pas frontalement en tant que classe à part entière. En s’adressant au seul Mulliez, il ne vise que ceux des grands patrons, ces « très puissants » qui dérailleraient ou abuseraient de leurs « très grandes responsabilités ». Pour les remettre sur le droit chemin, notamment ceux qui, évadés fiscaux, se seraient enfuis à l’étranger, Mélenchon affirme qu’un « impôt sera perçu sur la base de la nationalité du cotisant quand il n’est plus en France ». L’impôt sera « universel ». « Et Monsieur Mulliez pourra bien aller en enfer, que je m’y retrouverai pour prendre sa part d’impôt ». Telle l’une des nouvelles mesure du programme l’Avenir en Commun.

Le patron, « partenaire » ou adversaire ?

Ce qu’on ne peut reprocher à Jean-Luc Mélenchon, c’est la cohérence de sa pensée. Il affirme par la suite que « dans toute situation, il y a au moins 3 partenaires : le patron, les ouvriers, les salariés, les employés, de tous niveaux » avant d’ajouter que « ce qu[’il] raconte là, ce n’est pas simplement à la mine, c’est aussi au bureau ». Contre l’idéologie dominante qui tend à invisibiliser la classe, aussi bien médiatiquement que politiquement, Mélenchon affirme que « la classe ouvrière existe ! ». On ne peut que s’en réjouir d’autant que les luttes du printemps dernier l’avaient une nouvelle fois démontré, de façon éclatante, avec le retour sur la scène politique du mouvement ouvrier, avec des grèves dures de secteurs stratégiques comme les raffineurs de la multinationale Total, les cheminots de la SNCF ou encore les dockers du Havre. Qu’on apprenne par contre que le patron, à savoir le grand patronat, est en réalité un « partenaire », aurait de quoi interloquer nombre de militants combatifs qui subissent aujourd’hui la répression syndicale, qui s’est notamment accentuée après le mouvement contre la loi Travail. Pourtant, dans le même temps Mélenchon fait tout de même acte que ce sont les « luttes des ouvrières, des ouvriers » qui ont permis d’arracher nos « droits ». Un « hommage » qui lui permet en réalité de placer ces luttes et ces mobilisations sur un strict point de vue historique, un passé de lutte qui aurait accompli sa tâche historique mais serait désormais révolu. Ainsi, il semblerait que, sans qu’on puisse placer de point de basculement précis, d’adversaire, le patron serait devenu un partenaire. Et qui dit partenaire sous-entend négociation. La continuité d’avec la mesure pour l’impôt universel, le partenaire, il s’agirait de l’éduquer contre sa soif de profit « immoral ». La sanction semble être l’impôt, la loi permettant de maintenir le rapport de force.

Rétablir « la loi » qui « protège ». Une fin en soi ?

« La seule chose qui protège tout le monde c’est la loi. La loi, le règlement, qui prévoit des durées de travail », affirmait Mélenchon avec grande confiance. Qu’on puisse affirmer sans détour que face aux attaques du gouvernement et du patronat, la défense du code du travail, l’un des acquis centraux, fruit des luttes du mouvement ouvrier, soit une nécessité pour résister, cela semble une évidence. Mais que la défense de la loi apparaisse comme une fin en soit en affirmant que seule celle-ci nous « protège » est une affirmation démentie quotidiennement par la réalité que vivent le monde du travail et la jeunesse. Il suffit de reprendre les termes mêmes de Jean-Luc Mélenchon au sujet de la postière victime d’un AVC dont le CDD est sans arrêt renouvelé : « c’est absolument illégal, hein, mais ça fait rien, ils renouvellent ». Ainsi, bien que la loi « protège », le patronat s’arrange parfaitement pour la détourner. Cependant, cette « protection » a un coût pour le patronat, c’est ce qui explique la détermination depuis 30 ans des gouvernements de gauche comme de droite à démanteler ces acquis. Ainsi, bien que la lutte pour le maintien de ces droits démocratiques est une nécessité défensive face aux attaques, celle-ci ne peut être une fin en soi. Pour exemple, la lutte du gouvernement Hollande pour remettre en cause la hiérarchie des normes, ne doit pas nous faire perdre de vue qu’en dernier lieu, le droit du travail régule les rapports entre ceux qui exploitent, et les salariés, obligés à vendre leur force de travail. Le droit du travail est la cristallisation bien que déformée du rapport de force entre les classes. Elle régule et distribue lorsqu’elle le peut le profit pour maintenir la paix sociale, mais maintient son carcan sur nos vies. De fait, conçus par les classes dominantes, les moyens de la contourner sont nombreux, comme l’illustrent jour après jour, les licenciements dits abusifs, les droits syndicaux bafoués, ou encore la justice de classe.

Exit les mobilisations du printemps, welcome aux « urnes » pour tourner la page de leur « monde » ?

« La loi El Khomri est inacceptable, inefficace et brutale », affirme Mélenchon. Nous ne pouvons que souscrire à cette affirmation, d’autant que le retrait de la loi Travail était le mot d’ordre porté par l’avant-garde large du monde du travail et la jeunesse qui a lutté avec détermination quatre mois durant au printemps dernier. Une mobilisation que pourtant Jean-Luc Mélenchon a bien pris soin de ne pas citer durant l’ensemble de son discours, sauf à évoquer très vaguement « des violences après les manifestations » à seule fin de dénoncer les médias. A travers cet « oubli », c’est une façon pour Jean-Luc Mélenchon de sous-entendre qu’après le temps des luttes sociales par les grèves et les manifestations contre la loi Travail vient maintenant le temps de transformer l’essai sur le terrain purement électoral cette fois-ci. Par l’élection, « la classe ouvrière », entre-autre, serait à même de pouvoir « se défendre avec ses bulletins de vote » pour non seulement abroger la loi Travail mais aussi tourner « la page » de « cette période épouvantable où on a cru qu’en compressant les salaires et en poussant sans arrêt les gens dans le dos, en leur tordant les bras, on ferait décoller, magiquement, l’économie et la production ». Une façon pour Mélenchon de donner corps à la bataille contre « son monde ».

Qu’on puisse être d’accord en partie avec les objectifs est une chose. Mais la question de la stratégie et du programme à même d’atteindre ces objectifs est primordiale pour ne serait-ce que donner corps aux objectifs fixés, qui sinon restent du domaine des idées et de l’abstrait. De ce point de vue stratégique, le candidat de la France Insoumise a tranché. Ce sera sur le terrain des institutions, de ses lois, et par le seul terrain électoral et par « les urnes » qu’il s’agirait de « tourner la page ».

Jean-Luc Mélenchon. Quel programme pour quelle stratégie ?

Dans une folle envolée, Jean-Luc Mélenchon synthétise parfaitement les fondements même du fonctionnement de la société capitaliste. « Le système capitaliste fonctionne sur la gratuité. La gratuité de votre travail. Si vous faites 10h, on va faire rond, ils vous donnent pas la valeur que vous avez produit en 10h. Ils vous donnent 2h ou 3h et tout le reste c’est pour quelqu’un d’autre. Pour payer le matériel, les locaux, les matières premières et les dividendes et l’investissement. Suivant comment vous répartissez cette richesse, ça peut être du temps de libre pour les uns, de l’amélioration des salaires, etc. etc. Nous sommes donc collectivement riches - en oubliant quels sont les rapports de propriété - de 2.000 milliards d’euros par an que produit ce pays. La question qui est posée, c’est exclusivement la question de la répartition et du partage. Comment on partage ça ? », explique-t-il. Les termes du débat sont de prime abord clairement posés. C’est donc « exclusivement la question de la répartition et du partage » qui est mis sur la table. Cela a le mérite de la clarté. Tout en ayant conscience des contradictions qui structurent la société à savoir l’antagonisme capital-travail, Mélenchon défend une stratégie de réforme du système capitaliste. Découle de cela un programme pour arracher des miettes au grand patronat, une meilleure régulation de l’exploitation. Concrètement, il s’agit de transformer les « 2h ou 3h » que le patron veut bien nous donner en « 3h ou 4h ». C’est cette stratégie qui structure ses discours lorsqu’il invoque notamment le patron « partenaire », la loi qui « protège » ou l’impôt universel. De cette stratégie de conquête du pouvoir par la voix électorale, pour obtenir les miettes que les classes dominantes voudront bien nous laisser, découle l’ensemble du programme L’Avenir en Commun.

Notre programme, notre stratégie pour réellement « tourner la page »

Alors que le chômage de masse, la souffrance au travail et la précarité minent nos existences, les prétendants à la présidence d’une cinquième République pourrissante, du PS au FN, comptent préparer une offensive de grande ampleur contre les acquis sociaux du monde du travail et la jeunesse. Une offensive proportionnelle à la crise économique mondiale dans lequel le grand patronat français est englué depuis 2008, mais aussi en rapport avec le retard compétitif qu’il a pris au regard de ses concurrents sur la scène européenne, voire internationale. C’est en ce sens, que face à la détermination de ceux qui nous exploitent et nous font payer leur crise, en témoigne la terrible répression du printemps dernier, c’est bien d’un programme de combat dont nous avons besoin. Loin des propositions de Mélenchon visant à réguler des « droits » sur le terrain même de ceux qui nous exploitent, à savoir un « dialogue social » avec plus de droits pour la défense, comme la proposition de « motion de défiance à l’égard de la direction », ou le très abstrait « droit de véto aux plans de licenciements », il s’agit de formuler un programme de lutte à même d’unifier notre classe sur la base des leçons, malgré la défaite, de la dernière mobilisation d’ampleur. Un programme à même d’apporter une réponse progressiste aux principaux maux de la société pour en terminer avec le chômage de masse, la précarité et la souffrance au travail. Un programme qui loin d’instaurer « un quota maximum de contrats précaires dans les entreprises privées », à savoir « pas plus de 5% de contrats précaires dans les grandes entreprises » comme le propose Mélenchon, vise à exiger la fin du chômage et du précariat, à travers la revendication centrale d’un véritable CDI pour tous, en partageant le temps de travail entre toutes et tous, ce par la baisse du temps de travail, à commencer par la semaine de 32h. Un programme qui, face au chômage de masse qui tue jour après jour, impose des mesures d’urgence comme l’interdiction des licenciements et la hausse du SMIC à 1700 euros net.

Avec la candidature de Philippe Poutou, préparons les combats de classe à venir

Il est souvent objecté que face à l’extrême droite Marine Le Pen, la droite dure Fillon, le social-libéral Macron, il s’agirait d’opter pour le seul candidat qui offre une autre issue au monde du travail et à la jeunesse que les mesures réactionnaires des candidat de gauche et de droite. C’est dans ce contexte polarisé par les élections présidentielles que la candidature Jean-Luc Mélenchon, au travers du programme L’Avenir En Commun, cristallise les aspirations du peuple de gauche qui a rompu avec le PS, notamment après la mobilisation contre la loi Travail. Le programme et la stratégie de Jean-Luc Mélenchon visent à restaurer par les « urnes » un rapport de force au sein de l’État même, face à la finance, pour domestiquer le grand patronat. Pourtant, en période de crise profonde de ce dernier, les classes dominantes ont déjà démontré qu’elles ne sont pas prêtes à lâcher quoique ce soit, sans qu’on entame un combat déterminé par nos propres méthodes de lutte, à savoir la grève et les manifestations, la seule stratégie permettant de taper là où ça fait mal dans les poches du patronat. Dans ce contexte, où les réactionnaires Fillon, Macron, Le Pen fomentent leurs coups, c’est bien la préparation aux combats de demain qui doit primer. Pour cela, alors que la répression préventive tente aujourd’hui de briser nos résistances, regrouper l’avant-garde combative qui fait face à ces coups est une tâche centrale pour unifier nos rangs. C’est pour l’ensemble de ces raisons, que nous pensons, que la candidature de Philippe Poutou pour le NPA, pourrait être un point d’appui pour préparer les combats de la rentrée. Face à une classe politique qui démontre régulièrement, son état de pourrissement, aux Cahuzac, Balkany, Fillon, que le seul candidat ouvrier de l’industrie automobile, militant anticapitaliste, est une nécessité. Cette candidature pourrait constituer un point d’appui pour diffuser largement et populariser un programme de lutte pour en finir avec le chômage, la précarité et la souffrance au travail. C’est à ce titre que Révolution Permanente soutient la candidature de Philippe Poutou pour le NPA et invite ses lecteurs à signer la pétition en ligne pour que le seul candidat qui risque aujourd’hui le licenciement ait le droit démocratique de participer à ces élections, en attendant de pouvoir imposer par les grèves et dans la rue le rapport de force nécessaire pour faire face au prochain gouvernement.


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