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En France, on travaille déjà 39h !

Pourquoi la réduction du temps de travail est une mesure révolutionnaire ?

Le Figaro a publié cette semaine un article sur la question du temps de travail hebdomadaire en France et remarque que le temps moyen effectif travaillé par les salariés à temps complet excède les 35 heures prévues par la loi pour atteindre, en fait, 39,1 heures. Ce fait s’explique par le recours systématique aux heures supplémentaires. L’article en reste pratiquement à ce constat, n’abordant pas politiquement cette question pourtant cruciale de ce point de vue.

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Le Figaro a publié cette semaine un article sur la question du temps de travail hebdomadaire en France et remarque que le temps moyen effectif travaillé par les salariés à temps complet excède les 35 heures prévues par la loi pour atteindre, en fait, 39,1 heures. Ce fait s’explique par le recours systématique aux heures supplémentaires. L’article en reste pratiquement à ce constat, n’abordant pas politiquement cette question pourtant cruciale de ce point de vue.

Mais, comme le silence peut être parfois assourdissant, l’apparent apolitisme peut en fait être politique. On voit où souhaite en venir le quotidien de droite : les travailleurs de France travaillent déjà 39 heures par semaine, et même un peu plus, pourquoi donc devrait-on s’accrocher si désespérément aux 35 heures légales ?

La France doit travailler plus se plaît-t-on a répéter ici et là dans la presse, mais de quoi parle-t-on au juste ? Tout est en effet question de point de vue dans cette question, si le travail était réparti plus équitablement entre tous, la France ne travaillerait-elle pas « plus » ? Le sens de cette injonction politicienne est bien au contraire de ne pas partager le temps de travail mais de l’augmenter encore et toujours et de faire peser de plus en plus la charge de travail sur un nombre réduit de travailleurs en entretenant ainsi le chômage structurel de masse.

Ce n’est pas la France qui doit travailler plus, mais le travailleur individuel. Cette question est d’ordinaire vaguement justifiée par les impératifs de la concurrence mais l’argument ne tient pas (il existe des oligopoles par exemple). On trouve aussi régulièrement une justification morale à cette argumentation : c’est l’argument « de la sueur et des larmes » pour sortir de la crise, argumentaire éminemment tatchérien remis au goût du jour par Fillon aujourd’hui.

Pour comprendre le sens profond de cette position politique de la droite, et pourquoi sans cesse les capitalistes font pression pour l’augmentation du temps de travail individuel, il faut comprendre comment le profit est produit. Cette question n’est pas qu’une simple affaire de comptables ou de bonne volonté. Alors que les chantres de la droite se plaisent régulièrement à qualifier sans vergogne les travailleurs de fainéants, il est important de saisir toute l’ampleur politique d’une telle question et de lui faire quitter ce terrain moral sur lequel la droite s’obstine à le maintenir.

Marx, dans le Capital, analyse au cœur du procès de production l’essence du capitalisme et de son régime, c’est-à-dire la production de la plus-value. La plus-value est cette valeur ajoutée qui constitue le profit pour le capitaliste. Elle est le produit de ce que Marx appelle le surtravail, c’est-à-dire le travail allongé au delà de la durée nécessaire à l’entretien du travailleur.

Le point de départ de cette analyse est la considération de la force de travail en tant que marchandise. Comme toute marchandise cette force, qui appartient au travailleur, a une valeur. Cette valeur est à son tour déterminée par le temps de travail moyen que requiert la production des choses nécessaires à l’entretien des forces du travailleur (nourriture, vêtement, logement etc.). Autrement dit, la force du travailleur vaut ce dont il a besoin pour vivre. Il en va en effet de l’intérêt du capitaliste que le travailleur ne s’affaiblisse pas trop vite. Il doit donc lui donner sous forme d’argent et par jour de quoi acheter le nécessaire pour maintenir et reproduire sa force.

Ce constat implique deux choses : La première c’est que, d’une manière générale, les capitalistes s’efforcent d’abaisser le salaire au niveau du prix des choses strictement nécessaires à l’existence quotidienne, la seconde, qui nous intéresse ici, est qu’ils tendent à allonger autant que possible la durée quotidienne du travail.

Chaque jour les travailleurs produisent un équivalent marchand de leur valeur ou « reproduisent » cette valeur. Chaque heure qu’un travailleur dépense dans une journée ajoute aux marchandises qu’il produit une valeur équivalente au prix de son salaire divisé par le nombre d’heures socialement nécessaires à la production matérielle de son entretien quotidien. Si trois heures de travail sont en moyenne nécessaires à la société pour produire journellement l’ensemble des choses indispensables pour satisfaire les besoins sociaux et matériels moyens d’une personne, alors chaque heure travaillée ajoutera 1/3 de la valeur du salaire comme valeur à l’ensemble des marchandises produites durant ce laps de temps. A l’issue de ces 3 heures le travailleur aura donc « reproduit » un équivalent de la valeur qu’il consomme chaque jour et commencera à travailler « gratuitement » c’est-à-dire travaillera à la production du profit du capitaliste. Voilà pourquoi le temps de travail est absolument essentiel pour le capital et qu’il est bien plus qu’une question morale.

Dès 2003, remarque l’article du Figaro, les mesures politiques se succèdent pour allonger de nouveau le temps de travail effectif après que sa réduction à 35 heures a été actée pour toutes les entreprises, le 1er janvier 2002. Dans ces mesures on trouve notamment « l’augmentation du contingent annuel d’heures supplémentaires, des dispositifs fiscaux pour en alléger le coût, et une souplesse accrue d’utilisation des comptes épargne-temps ». Plutôt que d’employer plus de monde, le patronat préfère allonger la durée du travail car la production de plus-value repose uniquement sur le prolongement, au delà d’un certain seuil, du travail journalier effectué par une personne.

Comprendre l’origine de la plus-value nous permet de comprendre en quoi cette question du temps de travail est cruciale et constitue non pas un sujet de « dialogue social » mais bien la pierre d’achoppement principale de la lutte des classes. Les intérêts des travailleurs et des capitalistes divergent radicalement sur ce point.

Il suffit de songer au fait que le patronat, qui s’était hypocritement engagé à créer « un million d’emploi » en échange des cadeaux fiscaux du gouvernement Hollande (CICE par exemple), n’en a non seulement pas créé un seul mais en a même détruit, pour avoir sous les yeux une illustration de cette réalité. Les capitalistes ne peuvent pas se passer complètement du travail salarié, car seul le travail humain « ajoute » vraiment une valeur absolue aux biens produits, la valeur produite par les machines ou grâce aux avantages du négoce n’étant, elle, que relative, néanmoins leur but conscient n’est absolument pas d’employer plus de monde mais seulement de faire plus de profit, c’est-à-dire d’exploiter davantage les salariés, ce qui passe notamment par un allongement de la durée du travail.

Pour réduire le chômage, qui pèse en faveur du patronat dans le rapport de force des exploités face à leurs exploiteurs, il faut réduire le temps de travail pour le partager. Or c’est le contraire que prévoient les programmes électoraux de la droite, Fillon en tête avec sa mesure prévoyant la fin des 35 heures pour le secteur privé et le retour aux 39 heures dans le secteur public.

Aujourd’hui, résister face à toutes les tentatives d’augmentation du temps de travail comme chez Peugeot ou Renault qui osaient de mettre en place des « overtime » ou des séances supplémentaires obligatoires de travail journalier, n’est pas qu’une manière de sauvegarder la santé et l’existence des travailleurs. C’est aussi le seul moyen politique de préserver la classe ouvrière de la ruine du chômage de masse.

A l’heure où les candidats de la « gauche » renoncent les uns après les autres à la réduction du temps de travail, il est temps que notre camp s’empare de cette question, l’arrache au terrain électoral et parlementaire pour en faire le fer de lance de la lutte sociale.

A l’heure où, en France, le fanatisme libéral se déchaîne et prône le sacrifice au travail au nom d’un idéal moral, où ce système en bout de course exploite sans répit ni merci, et qu’il cesse même d’abandonner des miettes, rappelons la nécessité de nous libérer par nous-mêmes du joug capitaliste sans la moindre considération pour ces argumentations creuses qui pieusement démontrent l’impossibilité d’échapper à ce sort. Ainsi que Trotsky écrivait dans le programme de transition : « Si le capitalisme est incapable de satisfaire les revendications qui surgissent infailliblement des maux qu’il a lui-même engendrés, qu’il périsse ! »


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