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Françafrique, corruption et détournement

Procès des « biens mal acquis » du vice-dictateur guinéen

Teodorin Nguema Obiang, vice-président de Guinée équatoriale, est poursuivi en France dans l'affaire des « biens mal acquis ». Le fils de l’homme fort de Guinée est accusé de blanchiment d'abus de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d'abus de confiance et de corruption : au total, ce seraient plusieurs dizaines de millions d'euros qu'il aurait réussi à détourner ! Ce procès est une première, et a été initié par les associations de lutte contre la corruption Sherpa et Transparency International, qui bataillent depuis 10 ans pour que ce procès ait bel et bien lieu. Mais faut-il s'attendre à ce que la justice française règle le problème de la corruption françafricaine ? Rien n'est moins sûr. Maria Chevtsova

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Il faut dire que Teodorin Nguema Obiang a de qui tenir. Son père - et dictateur - TeodoroObiang Nguema, arrivé au pouvoir en 1979 par un coup d’État, dirige son pays d’une main de fer et est régulièrement dénoncé par les organisations de défense des droits de l’homme pour la répression des opposants et des organisations indépendantes. Au niveau économique, l’exportation du pétrole permet à la Guinée équatoriale d’avoir une croissance à deux chiffres, mais il n’en reste pas moins que plus de 75% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, d’après une étude de la Banque mondiale.

De 1997 à 2012, Teodorin Nguema Obiang occupe le poste de ministre de l’Agriculture et des forêts, puis est nommé deuxième vice-président de Guinée équatoriale, chargé de la défense et de la sécurité nationale, avant d’être nommé par son père en juin dernier, vice-président du pays. Mais à ne pas nous y tromper, ce qui passionne Teodorin n’est pas de gouverner « son » pays, mais de dépenser… et dépenser sans compter, puisque de toute façon, ce n’est pas lui qui paye ! Car Teodorin aime les belles choses. Et ces belles choses ont un prix : 25 millions d’euros pour un hôtel particulier de 4.000m2 qu’il achète en 2005 sur la très chic avenue Foch à Paris, 5,7millions d’euros pour ses voitures de luxe (Porsche, Ferrari, Bentley, Bugatti), 15millions d’euros pour ses œuvres d’art, 10millions d’euros de bijoux achetés Place Vendôme, 580.000 euros pour ses factures d’hôtel (réglées en valises pleines de cash), 100.000euros pour l’équipement high tech de sa salle télé, et 1,8millions d’euros pour un service de couverts de collection qu’il utilise pour manger !

Pour une partie de ses dépenses, Teodorin utilise l’argent de la société Somagui Forestal, la société guinéenne d’exploitation forestière. Pour le reste, il puise directement dans les caisses du Trésor public guinéen. Et dans le lot, une bonne partie doit d’ailleurs être liée aux commissions perçues sur le détournement des revenus pétroliers.

Les associations de lutte contre la corruption ont qualifié ces transactions de « biens mal acquis ». Selon Transparency International France, « les « biens mal acquis », sont l’ensemble des avoirs et biens publics détournés du budget d’un État et placés à l’étranger à des fins personnelles. Il s’agit ainsi d’un enrichissement illicite, c’est-à-dire de l’augmentation substantielle des biens d’un agent public, ou de toute autre personne, que celui-ci ne peut justifier au regard de ses revenus. Et il semble clair que ce n’est pas avec son salaire de ministre de 60.000 euros annuels que Teodorin a pu se bâtir son patrimoine.

Mais la route a été longue pour aboutir au procès qui devait commencer le 2 janvier 2017 à Paris. Tout a commencé en 2007, lorsque le CCFD-Terre solidaire publie son rapport Biens mal acquis profitent trop souvent : La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales qui recense l’ampleur des détournements des dirigeants corrompus et critique le soutien des démocraties occidentales. A la suite de la parution de ce rapport, plusieurs associations déposent plainte contre les familles dirigeantes de l’Angola, du Burkina Faso, du Congo-Brazzaville, de la Guinée équatoriale et du Gabon devant le Procureur de la République de Paris pour « recel de détournement de fonds publics ». Entre 2011 et 2015, les juges ordonnent plusieurs saisies de « biens mal acquis » par Teodorin, parmi lesquels voitures de collection, objets de luxe et mobiliers. En 2012, alors que Teodorin est « élu » vice-président du pays, celui-ci essaye de se couvrir derrière l’immunité diplomatique. Mais la Cour de cassation rejette sa requête puisqu’au moment des faits, Teodorin n’était pas encore vice-président et que ces actes ne relèvent pas de l’exercice de ses fonctions mais de sa vie privée en France. Quatre ans plus tard, en 2016, c’est la Guinée équatoriale qui saisit directement la Cour internationale de justice, demandant la suspension des procédures engagées en France. Mais la requête est renvoyée : le procès s’est ouvert à Paris lundi 2 janvier et devraitr se poursuivre jusqu’au 12 même si lundi les avocats de Teodorin ont demandé le report de l’audience, pour que l’accusé puisse « bénéficier du temps raisonnable pour pouvoir organiser effectivement sa défense ». La décision de reporter ou non le procès doit être annoncée ce mercredi. Il semblerait que la route soit encore longue...

Déjà plus de dix années d’instructionspour le seul procès de Teodorin Nguema Obiang. Mais des procès comme celui-là, il en faudrait des centaines d’autres. Loin de s’attaquer en profondeur au problème de la corruption françafricaine à laquelle participe allégrement les multinationales hexagonales et l’Etat français à travers ses différents ministères et agences de coopération, la justice française s’y attaque en surface en menant actuellement plusieurs enquêtes sur les « biens mal acquis » d’autres dirigeants africains comme Denis Sassou-Nguesso (Congo), le défunt Omar Bongo (Gabon) et l’ancien président François Bozizé (Centrafrique). Il ne peut s’agir que d’une attaque en surface, car la corruption et les détournements ont été instaurés par les gouvernements français successifs, et sont maintenant soutenus par ces mêmes gouvernements, dans le but de conserver leur influence en Afrique et de maintenir leur relation privilégiée avec des pays producteurs de pétrole et riches en matières premières ou considérés comme des partenaires de la France. Corruption et détournements sont les piliers fondateurs des relations entre la France et son pré-carré africain ; c’est pourquoi le gouvernement français n’est pas prêt à s’attaquer en profondeur au système dont il bénéficie directement… et indirectement.


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