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Quatrième semaine du procès de France Télécom

Alors que la 4ème semaine du procès de France Télécom est entamée, où 7 dirigeants sont jugés dans les 39 cas de suicides et de dépression pour l’instant recensés par la justice dans la période 2006-2009. Nous relayons l’appel d'un syndicaliste Sud-PTT qui encourage tous les témoins, famille des victimes, salariés et anciens salariés à rejoindre les 168 personnes qui se sont portées partie civile, et invite également les syndicats du groupe à faire un front d’indemnisation afin que le procès couvre également la période antérieure à 2006.

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Crédit photo : Lionel Bonaventure/AFP

La « trajectoire des effectifs » est le débat en cours. L’expression figure sur les documents internes datant de 2008, présentés devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Ils affichent des objectifs clairs, dans la lignée du plan social entamé en 2004 qui prévoyait la suppression de 22 000 postes en moins de trois ans : 2 500 mobilités internes vers des secteurs prioritaires et 4 900 mobilités externes, ce qui signifie pour ces cas le changement d’employeur, si ce n’est l’arrêt forcé du travail pour les personnes en fin de carrière. Alors que 168 témoins, famille et anciens salariés, se sont portés partie civile, et que de nombreux rapports des délégués CHSCT, des syndicats, de l’inspection du travail et agents de tout grade ciblent les objectifs de cette politique comme la cause directe des suicides et des dépressions, la défense de France Télécom plaide sans sourciller devant la Cour que « vous allez retrouver exactement les mêmes fonctionnements » dans les autres groupes. Et de fait son concurrent, SFR, est également en train d’acter la suppression de 30 % de ses effectifs. Une façon de discréditer la détresse des 39 salariés, comme s’il s’agissait de matériaux jetables, et de nier la responsabilité de la direction et de leur politique managériale par les effets de la concurrence tout en faisant semblant d’en être les victimes.

L’entreprise, malgré un taux d’endettement inégalé à échelle mondiale en 2001, à hauteur de 70 milliards, n’est pourtant pas restée en manque sur le salaire de sa direction. Indexée sur les bénéfices, au moins 50 % de leur rémunération pouvait varier si les objectifs étaient atteints, ce qui se traduit par un salaire moyen de 464 000 euros pour les cadres dirigeants et 1 368 000 euros pour Lombard, l’ex-PDG du groupe. Cette rémunération complémentaire, allouée en fonction du chiffre d’affaire, pouvait même être plus élevée sous le simple fait d’avoir été formé aux Etats-Unis aux méthodes du privé. Lombard plaide ainsi qu’il a eu le mérite de « ramener tout le monde dans une grille homogène », et sa défense, composée d’une armada d’avocats bien graissés, appuie que les 6 chaînes de TV créées à ce moment là ont permis d’embaucher 260 personnes tout en restant dans les budgets prévus. Des chiffres ridicules, puisque sur 20 ans on estime que 100 000 personnels ont quitté la boîte, soit une moyenne de 5 000 par année.

« Même si une entité a très bien travaillé, mais qu’elle ne rapporte pas à l’ensemble du collectif, elle sera pénalisée. »

Ce qui leur sert de principal point d’appui est l’enfumage autour des attentes autour des départs dits « naturels » par rapport au taux de recrutement. La feuille de route de la direction impose à ses effectifs le plan « réalisation transformation effectifs », qui s’est traduit par la mise en place du plan NExT (pour Nouvelle Expérience Technologique, ce qui a donné le nom à la formation d’une école privée financée par le groupe pour apprendre à licencier) et son corollaire dans les ressources humaines, le plan AcT. La rémunération des exécutants était donc « variable » et dépendait du respect de ces objectifs, c’est-à-dire 6 % de suppression d’emplois en 2008, soit 73 en moyenne par plate-forme. Un « contrat de performances » était ainsi signé pour que les managers l’appliquent, ce qui déterminait 15%de leur salaire. La défense de France Télécom a piètrement prétendu réduire ce chiffre à 7 %, mais tout en affirmant paradoxalement que « ça n’a rien à voir » avec le plan social. Mais en réalité, les départs « naturels » ne concernent qu’une minorité qui part « naturellement » à l’âge de la retraite, alors que le reste a bien subi les effets des directives de la présidence de l’entreprise : « conduire la transformation, prendre des risques, être courageux », c’est-à-dire harceler et licencier sans état d’âme. Avec une « évaluation individuelle sur le leadership » permanente, « se concentrer sur le client et sur la marche » au détriment de la santé des salariés était visiblement leur crédo, puisque devant la barre ce « modèle de leadership adapté à chaque pays » est estimé comme « qualitatif » par Lombard, qui aurait souhaité « reconnaître la performance individuelle » de ses employés. Des propos qu’il nuance très rapidement, en toute conscience et avec une nonchalance odieuse : « même si une entité a très bien travaillé, mais qu’elle ne rapporte pas à l’ensemble du collectif, elle sera pénalisée. »

Afin de situer quelques éléments de contexte, il faut savoir que France Télécom a été privatisée dès 1990 sous l’impulsion du gouvernement Mitterrand, où le rapport Prévost préconisait l’éclatement des PTT alors que l’État se chargeait de l’administration des services publics, ce qui a conduit, petit à petit, à la privatisation de la Poste et des secteurs de télécommunications, et donc à l’ingérence des politiques du privé sur la fonction publique. Depuis la restauration bourgeoise en Europe dans les années 70 où le libéralisme s’est développé à travers les marchés financiers, et dont les Etats-Unis ont été les précurseurs mais dont la politique a été appliquée plus tardivement en France, notamment grâce à la résistance des travailleurs contre la casse des services publics, les différents gouvernements n’ont eu de cesse de se plier à l’impulsion de la concurrence. Comme exemple, un nom discrètement mentionné pendant le procès : Bruno Lasserre, l’un des principaux acteurs de cette privatisation des télécommunications en France, avait été promu à la suite par le ministre des Affaires Étrangères et le ministre de l’Industrie afin de valoriser cette politique à l’internationale auprès des autres gouvernements. Service pour lequel l’État l’a remercié non seulement par la Légion d’Honneur, mais aussi depuis 2009 par le poste de président de l’Autorité de la Concurrence, une administration d’Etat en charge du fonctionnement de la concurrence sur les marchés « pour la sauvegarde de l´ordre public économique. ». En fonction au sein de l’Etat ou dans les entreprises, les bourgeois servent avant tout leurs intérêts.

Depuis les ordonnances Macron qui ont acté la destruction des CHSCT et des instances de représentation des délégués du personnel, les salariés ont moins de possibilités de mener des expertises sur leur lieu de travail et se trouvent pénalisés pour faire des recours en justice, comme c’est aujourd’hui possible dans le cas de France Télécom. Car le procès, inédit pour une firme du CAC40, porte entre autres comme enjeux de convaincre le jury, mais aussi les sociologues et des personnalités éminentes qui peuvent être un point d’appui pour attester de la souffrance au travail. Et même avec cela un groupe peut toujours contester une de ces expertises, mais elles laissent néanmoins des traces devant les tribunaux. La défense de Lombard ne manque d’ailleurs pas de faire appel aux décisions de justice antérieures dans la boîte pour appuyer le non-lieu sur la politique managériale, dans un contexte où même l’inspection du travail se retrouve avec peu de poids depuis les lois « Travaille ! ».

Cela a des répercussions dramatiques quand il s’agit de faire valoir la détresse des salariés, car cela biaise également toute étude scientifique sur la souffrance au travail et donne prétexte à individualiser le problème, comme a tenté de le faire Lombard en décrivant les suicides comme un « effet à la mode Werther » (en référence à la présumée vague de suicides suite à la publication des Souffrances du jeune Werther de Goethe qui a donné nom dans les années 1970 à une théorie "l’effet Werther" sur les suicides en chaîne lors de leurs médiatisations). Une bataille avait été remportée précédemment contre France Télécom avec la reconnaissance du préjudice d’anxiété, annulé puis rétabli par justice, au terme d’un procès entre la direction et les secteurs minier et automobile du groupe à cause de l’exposition à l’amiante, et dont on estime le nombre de victimes potentielles à 20 000. En 2008, le cas d’un suicide d’un salarié de France Télécom « en direct » avait suscité un tollé dans la presse française, et la famille, depuis retrouvée par les syndicats, confirme que France Télécom n’avait fourni aucune explication, se lavant les mains derrière leur plan social. De même, lorsqu’un autre salarié s’était décidé à sauter du toit du 18ème étage d’une plate-forme (mais ayant été retenu par ses collègues), la direction avait estimé que les outils qu’ils avaient apporté pour dévisser la fenêtre lui aurait servi, pour son loisir, à faire du bricolage… Ainsi un médecin psychiatre, convoqué à l’audience, relate à ce titre que « 20 % des français déclarent avoir déjà pensé au suicide », et dont « 42 % des personnes qui se sentent harcelées ont des pensées de suicide ». Tout en pointant le fait que l’on ne demande pas, dans ces études, si les pensées suicidaires sont dues au harcèlement, le médecin a fait également le lien avec le taux de chômage actuel et le besoin pour l’humain d’exercer une activité.

Aujourd’hui les lois sont faites pour que le délais de prescription s’applique à 3 ans avant le premier dépôt de plainte, dont le premier a été effectué fin 2010 par le syndicat Sud-PTT, mais cependant la loi sur le harcèlement moral institutionnel permet d’obtenir des indemnisations qui ne sont pas plafonnées. Les chances de gagner vont dans le sens des salariés, qui bénéficient du soutien de la part des grands médias (difficile d’être en faveur de France Télécom !) et de l’opinion publique. C’est pourquoi P. Ackerman, le délégué Sud-PTT, appelle aujourd’hui les autres syndicats de France Télécom à faire un front d’indemnisation pour aller au-delà de la période 2007 et encourage les anciens salariés, les familles, les associations de victimes et tous les témoins à se porter partie civile, car il est évident que les chiffres retenus par la justice sont bien en deçà de la réalité, et qu’il serait un moindre retour que d’obtenir une indemnisation financière, élargie à l’ensemble des salariés et des familles victimes des politiques de management inhumaines. Pour ce faire, le site procès Lombard permet de rentrer en contact avec le syndicat, qui relaie régulièrement les suites de l’affaire, et sur lequel on peut voir les différents soutiens se manifester, et qui sont constitués de profils aussi divers qu’un groupe de Rap ou un prof de droit de Nanterre.

Interview d’un syndicaliste Sud-PTT


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