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#AvecLesCheminots

Quelle stratégie pour la bataille du rail ?

A la veille de la mobilisation de la fonction publique et des cheminots le 22 mars, on sent déjà les prémisses de la bataille du rail et une colère qui gronde. Mais une discussion s’impose : quelle est la meilleure stratégie pour gagner et faire avaler ce pacte ferroviaire au gouvernement Macron et à Pepy ?

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D’un côté, des centaines de cheminots venus faire entendre un autre son de cloche à Gare de Lyon le lundi 12 mars, lors de l’anniversaire des 80 ans de la SNCF, et de l’autre, un gouvernement « droit dans ses bottes », prêt à utiliser les ordonnances pour privatiser le chemin de fer. Entre les deux, des directions syndicales qui affichent une relative unité contre la réforme ferroviaire de Macron, mais qui sont en désaccord sur les modalités de la grève. La CGT Cheminots, la CFDT et l’UNSA appellent à une « grève perlée », c’est-à-dire deux jours de grève par semaine à partir du 3 avril. Sud-rail propose de laisser les cheminots grévistes, réunis en Assemblées Générales, décider s’ils veulent ou non poursuivre la grève à partir du 5 avril, tout en mettant en avant la nécessité d’une grève reconductible sans interruption.

Une Intersyndicale…

Le fait est trop rare pour ne pas être souligné : CGT-cheminots, UNSA, Sud-rail, CFDT-cheminots affichent une unité de mobilisation contre la réforme ferroviaire. C’est donc une très bonne nouvelle qui annonce une grande bataille du rail au printemps. Il faut dire que le gouvernement Macron y va fort : casse du service public ferroviaire « à l’anglaise », fin du statut cheminot, affaiblissement de la représentativité des syndicats, et pour couronner le tout, procédure par ordonnance sans même passer par les habituelles concertations avec les syndicats afin d’endormir la colère. Pas étonnant que la CFDT n’y trouve pas son compte et se montre plus « radicale » qu’à son habitude, alors qu’elle a jusqu’alors accompagné fièrement tout le processus de démantèlement de la SNCF avec la réforme ferroviaire de 2014 ainsi que le décret socle en 2016, sans parler de son rôle majeur dans les lois travail 1 et 2 qui exposent les cheminots à une précarité salariale sans précédent dans le cadre de la privatisation de morceaux de rail à venir. De même on se demande à quoi joue Philippe Martinez lorsqu’il demande à rencontrer le Premier Ministre la semaine dernière, permettant ainsi au gouvernement d’afficher en façade qu’il est ouvert au dialogue. La réalité est qu’il n’y a rien à négocier ou à « concerter » avec ce gouvernement qui affirme d’ores et déjà que, de son côté, il ne compte reculer sur aucune de ses propositions. D’autant plus qu’il y a énormément de cheminots à la base, tous syndicats confondus, mais aussi des non-syndiqués, le personnel à l’exécution ainsi que de nombreux cadres, qui n’ont pas forcément l’habitude de se mobiliser, qui comptent bien faire grève le 22 mars et participer à la manifestation nationale qui aura lieu à Paris.

Brutalité de la méthode et de la réforme du gouvernement d’un côté, colère certaine qui gronde chez les cheminots de l’autre, voilà ce qui pousse à cette unité syndicale rare, qui, nous le redisons, est une bonne nouvelle pour lancer la bataille du rail, mais qui ne suffira pas pour faire reculer le gouvernement si le plan de bataille qui l’accompagne n’est pas à la hauteur des attaques.

qui a la responsabilité de proposer un vrai plan de bataille aux cheminots

Les cheminots se demandent aujourd’hui quelle est la meilleure stratégie à mettre en place. A la base, les avis divergent, certes, mais une chose est sûre : après les expériences des mobilisations de ces dernières années, on sait à quel point les journées saute-mouton ne servent qu’à épuiser les forces des grévistes et ne permettent pas de créer le rapport de force nécessaire pour faire plier le gouvernement. On sait que les deux jours de grève par semaine, que la CGT-Cheminots proposait déjà durant la mobilisation contre la loi travail, permettaient à la direction de s’organiser pour assurer la circulation des trains. Aujourd’hui, avec un calendrier précis connu à l’avance, l’entreprise est déjà en train de prendre des mesures pour assurer la circulation des trains. Par exemple, elle a d’ores et déjà suspendu la réservation de billets pour les jours de grève, elle mettra certainement en priorité les non-grévistes sur les jours de grève, et les cheminots qui ont l’habitude de faire en grève en repos ces mêmes jours. Au-delà même de la SNCF, les entreprises privées sont en train d’organiser les déplacements de leurs employés pour les jours où il y a grève à la SNCF.

Certes c’est historique que la CFDT et l’UNSA appellent à autant de journées de grèves (et même, pour ce qui est de la CFDT, appelle à la grève tout court), mais la grève reconductible, sans interruption, semble être la meilleure option pour imposer un rapport de force à la hauteur de l’attaque et du mépris de ce gouvernement envers les travailleurs. C’est la meilleure manière de montrer au reste de la population, et aux autres secteurs qui ont envie de se battre, du pouvoir de frappe qu’ont les cheminots quand ils sont déterminés. Les cheminots ont la capacité de devenir le véritable fer de lance contre l’ensemble de la politique du gouvernement.

L’importance de gagner l’opinion publique et de l’alliance avec les usagers

L’une des techniques du gouvernement, de la direction de la SNCF et des médias dominants, consiste à nous rabâcher à longueur de journée depuis des semaines que cette réforme est bonne pour les usagers, que les cheminots sont des privilégiés, tout en ressortant l’ignoble discours de la « prise d’otage » à venir dans le but de diviser cheminots et usagers. Une véritable bataille pour l’opinion publique a d’ores et déjà lieu dans l’ensemble de la société. Là où cela est possible, il est important de chercher la mise en place et le développement de collectifs d’usagers en soutien aux cheminots et aux services publics. Les expériences de privatisation du rail en Grande Bretagne et en Italie ont conduit à l’augmentation du prix des billets, à une segmentation des lignes rachetées par des entreprises en concurrence entre elles, qui fait qu’il faut souvent acheter plusieurs billets à des prix différents pour réaliser un trajet, sans parler de l’explosion du nombre d’incidents et d’accidents mortels. Les usagers ont donc tout intérêt à se battre, aujourd’hui, aux côtés des cheminots, contre la mort définitive du service public ferroviaire.

Ainsi, tout ce qui peut contribuer à unifier les usagers et les cheminots permet de briser le cordon sanitaire que les médias essaient de mettre autour des cheminots et de construire un rapport de force plus important face à Macron. Des syndicats CGT et Sud-rail organisent des diffusions de tracts à destination des usagers, comme à Toulouse mercredi dernier avec des étudiants en lutte de l’université du Mirail, mais il faut que cette orientation soit ouvertement intégrée dans le plan de bataille de l’Intersyndicale pour qu’elle puisse influencer des millions d’usagers, en lien avec les collectifs d’usagers existants.

De plus, si Macron parvient à faire passer cette réforme chez les cheminots qui incarnent l’un des secteurs les plus combatifs, ce sera un précédent pour qu’il poursuive ses attaques contre l’ensemble des travailleurs du pays. C’est pourquoi la convergence avec les autres secteurs de l’économie est un objectif à se fixer pour aller vers un « Tous ensemble » en même temps, et non en décalé avec des secteurs qui se mettent grève les uns à la suite des autres comme pendant la mobilisation contre la loi travail en 2016. Le 22 mars peut marquer le début de cette convergence avec la fonction publique, la RATP, les salariés de Peugeot, et ceux d’Air France en grève le lendemain. Là aussi l’Intersyndicale cheminote a une responsabilité d’appeler ouvertement à cette convergence, ce qui n’est malheureusement pas encore le cas.

La garantie de l’unité passe par respecter les décisions des grévistes réunis en Assemblée Générale

Le plus important, pour que la grève soit suivie massivement par les cheminots, c’est que ce soient les grévistes, syndiqués ou non, réunis en assemblée générale qui décident des suites et des modalités de leur grève. Et ce sont aux directions syndicales de respecter le vote des Assemblées Générales, tout en essayant de convaincre sur ce que chacune considère comme étant la meilleure stratégie pour gagner. C’est la seule garantie de maintenir l’unité dans l’action de tous les grévistes.

En général lors des grèves cheminotes, des assemblées générales se mettent place, ce qui est un bon réflexe, mais de manière inégale selon les sites, les villes et les services. L’AG est le lieu où tous les cheminots, syndiqués et non syndiqués, statutaires, contractuels et aussi les sous-traitants, également concernés par cette réforme, peuvent se retrouver pour débattre et décider ensemble de la reconduite de la grève et des actions à mener. Autrement dit, c’est un organe de démocratie de base. Malheureusement ce n’est pas la conception de la plupart des organisations syndicales qui considèrent que ce sont leurs mandats syndicaux qui incarnent la volonté des cheminots, et opposent ainsi syndicats et AG d’une manière qui n’a pas lieu d’être. Conséquence : ces organisations boycottent les assemblées générales, ou bien elles organisent leurs réunions d’adhérents dans leur coin, en même temps que les assemblées générales de grévistes, empêchant de fait leurs adhérents de participer aux discussions avec les grévistes syndiqués ailleurs, ou encore avec les non-syndiqués. Les syndicats ont toute leur place dans les AG, en tant que force significative pour proposer leurs orientations et mettre leur savoir-faire, leurs expériences et leurs moyens au service du mouvement, sans s’y substituer pour autant. Le meilleur moyen de garantir ce fonctionnement démocratique est d’organiser des Assemblées Générales inter-services et d’élire un comité de grève au sein de chaque AG, composé de cheminots syndiqués et non syndiqués. Ces Assemblées Générales sont censées se prononcer également sur les revendications portées par les grévistes, par exemple « le retrait du pacte ferroviaire », et qui devraient être la base du mandat porté par les organisations syndicales.

Par ailleurs, la mobilisation s’effectuant à l’échelle du pays sur plusieurs sites en même temps, si des AG se mettent en place sur différents sites et régions, il deviendra nécessaire de se coordonner. Le mouvement cheminot a déjà connu ce type d’organisations démocratiques à la base en 1986, même si de manière embryonnaire. Du 18 décembre 1986 au 15 janvier 87 a eu lieu une des grèves cheminotes les plus importantes de tout le XXème siècle. Une grève offensive, sous un gouvernement « de gauche », s’attaquant au blocage des salaires imposé depuis 1982 par les gouvernements successifs, dans le public comme dans le privé. Mais elle a été bien plus qu’une grève pour les salaires. On entend souvent parler de 1995 et du rôle très important que les cheminots ont joué dans le bras de fer entamé avec le gouvernement Juppé et sa réforme. Mais la grève de 1986, pourtant beaucoup moins connue, même chez les cheminots, est une grève qui mérite notre attention et celle de tous ceux qui veulent apprendre des meilleures expériences de lutte de notre classe. La grève de 1986 a été clairement à l’initiative des cheminots à la base et non des directions syndicales. Le développement de l’auto-organisation a été important avec la construction partout de comités de grèves, d’assemblées générales et de coordinations nationales. Se rappeler de ces expériences permet de ne pas repartir de zéro.

Autre exemple, le mouvement étudiant en France a l’habitude de fonctionner ainsi : des AG, des comités de mobilisation élus, et des coordinations nationales regroupant les représentants mandatés par les différentes AG. Garantir la mise en place d’AG démocratiques c’est garantir que les cheminots gardent le contrôle de leur mobilisation sans que certains permanents ou directions syndicales décident à leur place et gardent la main sur le mouvement, comme on l’a déjà vu trop de fois. C’est pourquoi il est important de construire ces AG démocratiques dès le début là où c’est possible.

Les grévistes d’Onet ont montré la voie

Il y a quelques mois, les collègues d’Onet en région parisienne ont remporté une victoire historique, dans ce secteur où la précarité est la règle, contre leur direction qui voulait dégrader leurs conditions de travail encore plus. Cette victoire au bout de 45 jours de grève acharnée avec occupation jour et nuit des gares pour empêcher la direction de vider les poubelles, est le fruit d’une détermination sans faille des grévistes, et d’une politique et une orientation qui leur a permis de tenir et de gagner. C’étaient véritablement les AG quotidiennes des grévistes qui décidaient de la grève, au sein desquelles participait une intersyndicale unie regroupant Sud-rail, CFDT et FO, contrôlée par les grévistes et qui portait les mandats décidés en AG. Mais cette grève marque une différence qui fait souvent défaut aux cheminots : les Onet ont recherché activement et ont gagné un large soutien extérieur avec un collectif allant de LO et NPA jusqu’aux Verts et à la France Insoumise, en passant par des personnalités politiques, syndicales, intellectuelles, et militantes comme Assa Traoré, militante reconnue contre les violences policières, la comédienne Audrey Vernon, la dessinatrice Emma ou encore les féministes du mouvement #MeToo.

La victoire des cheminots tient à une combinaison de ces différents ingrédients, à l’image de celle des Onet victorieux.


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