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Retour sur quinze années de gouvernement bolivarien

Qui était Hugo Chávez ?

Alors que la crise perdure au Venezuela et que la droite et l’impérialisme poursuivent sur la voie du putschisme et de l’ingérence, la question du chavisme et de l’héritage d’Hugo Chávez Frías refait surface. Qu’est-ce qu’a réellement été le bolivarisme, sous la présidence Chávez, entre 1999 et 2013 ? Pouvait-on réellement parler de « socialisme bolivarien » à l’époque ? Maduro a-t-il trahi l’héritage du « Comandante » ? Pour répondre à ces questions et alors que certains continuent à vouloir parer Maduro des vertus du socialisme, nous republions l’article nécrologique écrit, en mars 2013, quelques jours après le décès de Chávez et qui garde, aujourd’hui, toute son actualité.

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Dès l’annonce officielle de la mort du président Hugo Chávez ce sont des centaines de milliers de Vénézuéliennes et de Vénézuéliens qui sont descendus dans les rues des principales villes du pays pour dire à la fois leur douleur, leur tristesse et leur inquiétude. Au même moment, c’était la fête dans les quartiers chics de Caracas, là où l’on peut trouver les principaux soutiens de l’opposition la plus réactionnaire et pro-impérialiste, là où l’on a soutenu toutes les menées déstabilisatrices contre le gouvernement bolivarien, ã commencer par le coup d’Etat d’avril 2002.

Pour les masses vénézuéliennes qui sont descendues dans la rue et ont commencé aujourd’hui ã défiler devant son cercueil, Chávez incarnait ce gouvernement qui leur avait permis de réduire, du moins en partie, la pauvreté. Dans un pays riche en hydrocarbures sur lequel s’était nourri les pires dictateurs au service des « Majors » [les multinationales pétrolières], et qui avait par la suite alimenté le régime corrompu COPEI-AN, le chavisme a profité des cours élevés du brut afin de redistribuer, au bénéfice des classes populaire, une partie de cette rente pétrolière. L’amélioration relative des conditions de vie et de travail (logement, emploi, éducation, santé, etc.) pour des millions de Vénézuéliens sous le chavisme sont sans doute les plus grandes avancées que des millions d’exploités du pays ont obtenues depuis les années 1970. Et ça, c’était déjà énorme pour eux. C’est ce que symbolise Chavez pour des millions de personnes. C’est ce qu’ils pleurent aujourd’hui.
Et pourtant, le « socialisme du XXI siècle » ou « socialisme bolivarien », promis par Chávez en 2005, n’a de socialiste que le nom. Le chavisme a su garantir, tout au long de ces années, les principaux ressorts du système capitaliste vénézuélien, la propriété privée des moyens de production, y compris des multinationales, tout en offrant, à travers l’ensemble des rouages de « l’Etat bolivarien », ses syndicats et le PSUV [le parti lié au gouvernement], une soupape de sécurité et un instrument de canalisation du mouvement ouvrier et populaire.

Hugo Chávez a en effet représenté l’une des clefs d’un processus politique de conciliation de classe et de reconstruction de l’Etat bourgeois vénézuélien et d’un de ses piliers fondamentaux, les forces armées. Son rôle a été de contenir la révolte et le profond mécontentement des masses exploitées et opprimées et de dévier la lutte des classes populaires afin de construire un nouveau paradigme de gouvernabilité : avec une fraction de l’armée, dont Chávez était issu, et surtout avec la « bolibourgeoisie », la « bourgeoisie bolivarienne », « nationale », favorable à un changement du régime de « Punto Fijo » [système d’alternance « électorale » entre COPEI et AD ayant fonctionné entre 1958 et la fin des années 1980], tout en préservant le régime bourgeois. Le chavisme est, en ce sens, l’expression institutionnalisée de la colère qui avait éclaté lors de la grande révolte du « Caracazo », noyée dans le sang en 1989, mais aussi l’instrument de sa contention, de façon à garantir le capitalisme vénézuélien contre toute explosion incontrôlée des masses ouvrières, paysannes et populaires, et contre tout processus d’auto-organisation pouvant aboutir à une remise en cause du caractère semi-colonial et corrompu d’un système économique, politique et social alimenté par la rente pétrolière.

Pour renforcer son assise politique et sociale et répondre à cette colère, le chavisme a dû recourir à une démagogie soi-disant « anti-impérialiste », bien rôdée, en prenant notamment quelques mesures nationalistes comme la nationalisation (avec rachat) de certaines entreprises étrangères ou vénézuéliennes (dans le secteur des hydrocarbures ou de la métallurgie, dans le cas de Sidor par exemple) mais aussi en faisant quelques concessions aux masses. Le chômage, la pauvreté et l’analphabétisme ont ainsi reculé partiellement au Venezuela, mais c’est surtout l’effet de la redistribution de la rente pétrolière par l’Etat bolivarien. Ce n’est pas pour autant que les travailleurs au Venezuela sont aujourd’hui moins exploités et opprimés. De ce point de vue, Chávez est l’expression relativement timorée, au XXI siècle, de ce qu’ont pu représenter, à d’autres époques, des expériences nationalistes bourgeoises ou de « bonapartisme sui generis » en Amérique latine. Si on compare le régime bolivarien à ces autres expériences, par ailleurs, Chávez s’est davantage appuyé sur les pauvres et les forces armées que sur le mouvement ouvrier organisé, comme avaient pu le faire un Cárdenas au Mexique ou un Perón en Argentine dans les années 1930 et 1940.

Il n’en reste pas moins que, tapie dans l’ombre ou alors se manifestant ouvertement comme lors des dernières élections, la bourgeoisie réactionnaire et ses tuteurs impérialistes sont prêts à reprendre tout ce qui a été concédé aux classes populaires depuis 1999. Dans ce cadre, le chavisme, à travers ses courroies de transmission politiques et syndicales, n’est aucunement une garantie contre ce retour en arrière. D’où l’inquiétude palpable chez les masses dans les manifestations de mardi soir, à la suite de l’annonce du décès de Chávez.

A l’encontre de ceux qui, sur sa gauche, ont pu vouloir poursuivre les mobilisations contre l’ordre bourgeois et l’impérialisme, contre les multinationales et la grande propriété foncière, le régime n’a jamais fait cesser la répression. C’est sous Chávez que des dirigeants syndicaux et de mouvements sociaux ont été assassinés par les « sicarios » à la solde des multinationales, et ces crimes sont toujours restés impunis. Le dernier en date a eu lieu moins de quarante-huit heures avant la disparition de Chávez. Dimanche 3 mars le représentant du peuple originaire Yukpa, Sabino Romero, a été assassiné par des hommes de main à la solde de latifundistes.
Sur le versant extérieur, Chávez a pu s’opposer à la politique militaire agressive de l’impérialisme nord-américain, notamment en matière d’interventions militaires directes, comme en Irak en 2003, en Haïti en 2004 ou au cours à l’occasion des différentes offensives sionistes contre les Palestiniens ou le Liban. Cependant, « l’intégration latino-américaine » promise par Chávez n’a jamais été un instrument pour mener une lutte conséquente contre l’impérialisme étasunien et les impérialistes européens et leurs multinationales. Et surtout, alors que nous rentrons dans la troisième année des « printemps arabes », Chávez a été l’un des principaux soutiens des pires dictatures de la région, comme en témoigne sa solidarité sans faille avec Kadhafi ou Al-Assad.

Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, à première vue, aujourd’hui, l’impérialisme manifeste aussi son inquiétude. Les analystes les plus lucides savent, en effet, que Chávez disparu, aucun de ses « dauphins » plus ou moins désignés et qui se déchirent déjà pour prendre le contrôle des principaux leviers de pouvoir ne serait à même d’être aussi efficace, en termes de consensus et de canalisation de la colère sociale, que ne l’a été Chávez.

La douleur manifestée par la grande majorité des travailleurs, de la jeunesse et des masses du Venezuela est aussi le reflet de la grande souffrance que le peuple vénézuélien endure depuis des décennies et que le chavisme a certes fait reculer sans jamais remettre en cause les bases mêmes de ce système. C’est ce dont témoigne le fait que la répartition de la richesse au niveau national entre capital et travail n’a pas été foncièrement modifiée ou qu’aucun développement économique et industriel sérieux n’a vu le jour depuis la fin des années 1990, Chávez maintenant le caractère fondamentalement rentier de l’économie vénézuélienne qui l’a caractérisé depuis les premières décennies du XX siècle. L’expérience chaviste montre à nouveau combien la bourgeoisie nationale et toutes ses variantes ou expressions est incapable de rompre avec les mécanismes-mêmes qui génèrent cette souffrance : la domination impérialiste et, par conséquent, le caractère semi-colonial de l’Etat capitaliste vénézuélien.

En tant qu’internationalistes, le meilleur hommage que nous pouvons rendre aux masses vénézuéliennes, dans ce moment de deuil, c’est de défendre le drapeau du socialisme, la nécessité d’une révolution ouvrière, la seule qui puisse permettre d’en finir avec les problèmes structurels auxquels ont ã faire face les masses vénézuéliennes. C’est en ce sens que le Courant Communiste Révolutionnaire appuie le combat des marxistes révolutionnaires vénézuéliens qui œuvrent à la construction d’une alternative de classe et socialiste au chavisme et au PSUV.

Publié à l’origine sur ccr4.org le 06/03/2013


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