×

Sur les pas d'un blogueur masculiniste

Rassemblements pro-viol annulés. Que se cache-t-il derrière Roosh V ?

Samedi 6 février, des rassemblements étaient organisés à Paris et à Nantes ainsi que dans 43 pays différents par le blogueur Roosh V (de son vrai nom Daryush Valizadeh), militant américain néo-masculiniste qui défend notamment la légalisation des viols ayant lieu dans l'espace privé. Grâce à la réaction des réseaux sociaux féministes et le lancement d'une pétition, ces rassemblements ont été annulé. Mais que se cache-t-il derrière ce Roosh V ? Retour sur une idéologie réactionnaire. Sarah Macna

Facebook Twitter

Sexisme, homophobie, transphobie et racisme... le cocktail réactionnaire de la mouvance masculiniste

Relativement peu connu en France, le courant masculiniste est plus développé et plus ancien de l’autre côté de l’Atlantique. En 1989 au Québec, un militant masculiniste nommé Marc Lépine était allé jusqu’à commettre une attaque féminicide dans l’école Polytechnique de Montréal, tirant sur 28 personnes et assassinant 14 d’entre elles, dont 10 femmes qui étaient spécifiquement visé par cette attaque : « Vous êtes des femmes, vous allez devenir ingénieures. Vous n’êtes toutes qu’un tas de féministes, je vous hais. ». En France, ce mouvement s’est fait connaître dans des actions moins violentes mais tout aussi réactionnaires, notamment par le biais de l’association SOS Papa qui lutte contre le « lobby lesbio-féministe » qui imposerait son pouvoir sur les hommes par les lois sur le divorce ou la garde d’enfant.

De la même manière, d’après Roosh V [1], nous vivons dans « une époque, unique dans l’histoire de l’humanité, qui est institutionnellement oppressive pour les hommes ». Il regrette en ce sens le temps où « Les hommes pouvaient subvenir aux besoins grâce à leur travail tandis que les femmes pouvaient nourrir et éduquer les enfants au sein d’un imparfait mais harmonieux système familial. » Son analyse se base évidemment sur le fait que pour lui, être un homme ou une femme découle du sexe biologique « naturel » de chacun, qui conduit à des besoins et des aptitudes correspondantes : les hommes sont donc « naturellement » (grâce à la testostérone) caractérisés par « leur capacité à dominer, leur indépendance, leur intelligence et leur pensée rationnelle et analytique ». Les femmes, quant à elles, sont caractérisées par leur « capacité à se soumettre, leur dépendance, leur nature émotionnelle, leur intuition rapide et leur capacité à partager ». Adieu, analyse des normes de genre, de la socialisation, adieu, décennies de mouvements féministes et d’analyse sociologique : tout est bon pour revenir aux pensées réactionnaires les plus brutales... et ainsi justifier les comportements les plus sexistes.

En effet, à partir de cette analyse machiste brutale, Roosh V se présente alors comme le conseiller des hommes qui souhaitent « le retour des rois », comme se nomme l’un des sites de sa machosphère. Il donne donc une série de conseils sur comment satisfaire aux « besoins » des hommes qui ont un « besoin biologique de sexe » : comment approcher et « choper » des filles, le « secret » pour coucher, quelles sont les meilleures villes pour les hommes, etc. Tout ce discours se situe dans un cadre de pensée où il s’agit non seulement de coucher – pour assouvir ses « besoins sexuels » - mais aussi de trouver une femme pour se marier, une femme qui respectera les valeurs de la féminité – entendez par là, sera soumise et dépendante – et qui reproduira la descendance de ces « rois ». Une descendance qui pourra lutter contre le « multiculturalisme » et « l’immigration du Tiers-Monde » qui vient pervertir la société américaine et ses citoyens. Sexisme et racisme font ici excellent ménage...

Brave homme, Roosh V se dévoue même à donner des conseils aux femmes, pour qu’elles acceptent et comprennent le rôle « naturel » qui leur est dédié. Pour les femmes des sociétés occidentales deviennent attirantes, elles doivent donc perdre du poids (jusqu’à un ratio calculé entre la taille et la poitrine de 0,7), faire pousser leurs cheveux jusqu’à la taille, avoir un visage symétrique, n’avoir ni tatoos ni piercing, mais aussi parler 80% de moins (conseil illustré par une image d’un homme qui frappe une femme en lui disant « shut up ») ou encore « arrêter de gâcher les moments intimes » : « Cessez de me dire « Je n’ai pas l’habitude de faire ça ». Cessez de me dire « Nous ne coucherons pas ensemble ». ».

Ce dernier élément, sur la question des relations sexuelles, est celui sur lequel se sont attardés les médias autour de ce rassemblement pro-viol et sur lequel nous reviendrons plus loin. Mais en réalité, l’idéologie réactionnaire de Roosh V, on l’a vu, ne s’arrête pas à cette question et les rassemblements organisés en France et dans le monde visait plus en général à rassembler des « tribus » (« tribes » en anglais) d’hommes qui partagent ces idées et souhaitent revivre les bons vieux temps où les hommes pouvaient boire un whisky et fumer un cigare pendant que les femmes faisaient la vaisselle. Une joyeuse fraternité où l’on peut deviser gaiement sur le nombre de femmes avec qui on a couché ou bien le ratio poitrine-taille de sa nouvelle conquête, ou encore raconter la dernière fois où celle-ci a cru pouvoir dire non alors que, c’est bien naturel, le plaisir de l’homme est sacré. Par ailleurs, cette brave bande de réactionnaires se prépare à des temps plus difficiles : « Chacune des tribus sert aujourd’hui une fonction masculine, mais si l’effondrement de l’économie, le déclin et l’immigration massive s’accélèrent, affectant de manière négative la qualité de vie de ses membres, elles seront d’autant plus utiles. À des moments critiques, j’espère que les tribus seront capables de faire contre-poids aux difficultés traversées par ses membres en leur donnant les moyens de prendre les mesures appropriées pour se défendre, ainsi que leur famille et leur ville. » Autrement dit, derrière ces rassemblements prévus ne se cachaient pas seulement des revendications de promotion du viol, mais aussi la création d’embryon de milices fascisantes. À croire que la date choisie, anniversaire de la manifestation d’extrême-droite du 6 février 1934, n’était pas due au hasard...

Culture du viol

Au sein de toute cette idéologie réactionnaire, la question du viol tient une importante place. C’est en effet notamment par son article ironiquement appelé « Comment en finir avec le viol » que Roosh V s’est fait connaître. Pour cela, rien de plus simple : il suffit de... le légaliser. Car contrairement aux campagnes contre la culture du viol qui se sont développés aux États-Unis ces dernières années, ce qu’il faut faire d’après lui pour lutter contre le viol, ce n’est pas d’apprendre aux hommes à ne pas violer – ce qui reviendrait à remettre en cause leur besoins « sacrés » - mais apprendre aux femmes à ne pas être violées. En conséquence, pour leur apprendre, il faudrait leur faire comprendre qu’elles ne seront pas protégées par la loi si elles se mettent dans certaines situations. Dans un autre article, Roosh V explique en effet : « Si une fille accepte de venir jusqu’à chez moi, elle va [avoir une relation sexuelle], peu importe à quel point elle est saoule. » Logique qu’il poursuit encore dans un autre article, intitulé « Quand non veut dire oui », où il donne des exemples précistels que « “Non” quand tu es en train d’essayer d’enlever son pantalon ou son tee-shirt signifie...“Tu dois continuer à m’exciter encore un peu” ». Dans cette logique, Roosh et ses acolytes masculinistes demandent de légaliser le viol dans la sphère privée. Un bon vieux retour aux temps du « devoir conjugal » contre lesquels le mouvement féministe a lutté, notamment en France où est désormais reconnu le viol conjugal, car qu’importe les situations, non, c’est non.

En réalité, ce qu’il y a peut-être de plus terrible dans cette idéologie machiste qui se développe sur la toile, c’est à quel point elle peut ressembler à ce que vivent des millions de femmes à travers le monde chaque jour et à quoi tout jeune adolescent, homme ou femme, est socialisé et normé en ce qui concerne les relations sexuelles et amoureuses. Si Roosh V tire en effet le trait jusqu’à la caricature, jusqu’à donner la nausée, le dessin qu’il fait de ce que doivent être selon lui les normes de genre et les relations interpersonnelles ne sont pas si loin de la réalité de cette société patriarcale.

Lorsqu’il parle du « non » qui voudrait dire « oui », comment ne pas penser à l’ensemble de ces films ou livres qui valorisent les hommes qui savent « insister » et gagner le cœur des femmes qui résistent ? Lorsqu’il donne ses conseils pour la femme parfaite, comment ne pas repenser à toutes ces publicités où le corps des femmes est utilisé comme un simple objet, à partir du moment où il remplit les standards de beauté ? Lorsqu’il parle des « besoins sexuels et sacrés » des hommes, comment ne pas y voir le miroir de tout ce qui est appris dès le plus jeune âge aux garçons, que l’on valorise d’être des « tombeurs » ? Lorsqu’il explique que les femmes ne doivent pas « gâcher les moments intimes », comment ne pas faire le lien avec l’ensemble des tabous qui entourent la sexualité des femmes ? Et enfin, lorsqu’il argumente sur le fait que c’est aux femmes de se protéger du viol, et non aux hommes de ne pas violer, comment ne pas entendre à nouveau toutes ces voix, entendues dès notre plus jeune âge, répétant de « ne pas mettre cette jupe trop courte », ou de « ne pas sortir trop tard » ? À laquelle s’ajoutent toutes ces voix, qui viennent d’ailleurs bien souvent des forces de l’ordre supposées chargées nous protéger : « vous auriez pu faire attention ».

La naissance de tel groupe de masculinistes n’est ainsi malheureusement pas le fait de « fous » ou simplement d’une frange radicalisée de l’extrême-droite, de la même manière que le viol n’est pas simplement le fait de « malades » au coin d’une rue : l’un comme l’autre, ils sont le reflet d’une société patriarcale. Celle-ci s’incarne dans les rôles de genre qui sont imposés dès la naissance, dont souffrent en premier lieu et chaque jour les personnes assignées femmes et les personnes trans. Elle s’incarne aussi dans les rôles imposés aux personnes assignées hommes, et même si ceux-ci en acquièrent un certain nombre de privilèges. La pression à la virilité et à la sexualité en est un exemple, dont Roosh V se fait l’incarnation la plus complète.

C’est donc bien à la fois contre l’idéologie réactionnaire de l’extrême-droite et contre les rôles imposés et les violences de cette société patriarcale que nous devons nous battre. Pour une société où chacun et chacune puisse définir son identité, sa sexualité, sa propre manière de vivre sa vie, et où la sexualité puisse être un plaisir consenti par chacun et chacune, au sein de relations personnelles détachées des pressions patriarcales.


Facebook Twitter
Education sexuelle à l'école : le nouveau terrain de jeu de l'extrême-droite

Education sexuelle à l’école : le nouveau terrain de jeu de l’extrême-droite


MeToo Hôpital. Des travailleuses de la santé dénoncent les violences sexistes et sexuelles au travail

MeToo Hôpital. Des travailleuses de la santé dénoncent les violences sexistes et sexuelles au travail

« Chicken for KFC » : Israël et ses soutiens veulent opposer les femmes et les LGBT aux Palestiniens

« Chicken for KFC » : Israël et ses soutiens veulent opposer les femmes et les LGBT aux Palestiniens


Les conséquences désastreuses de la politique de l'enfant unique

Les conséquences désastreuses de la politique de l’enfant unique

Tribune. Les soutiens d'un État génocidaire n'ont pas leur place dans nos luttes féministes !

Tribune. Les soutiens d’un État génocidaire n’ont pas leur place dans nos luttes féministes !

Acharnement : l'État porte plainte contre une lycéenne qui avait dénoncé une agression islamophobe

Acharnement : l’État porte plainte contre une lycéenne qui avait dénoncé une agression islamophobe

Affection de longue durée : l'offensive du gouvernement menace les personnes trans et séropositives

Affection de longue durée : l’offensive du gouvernement menace les personnes trans et séropositives

Une victime de VSS et le syndicaliste qui la défend réprimés par la SNCF : 200 personnes réunies en soutien

Une victime de VSS et le syndicaliste qui la défend réprimés par la SNCF : 200 personnes réunies en soutien