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Mobilisation contre la loi Travail et débat au sein de l'extrême gauche

Réponse à Alternative Libertaire. Nos divergences sur la question des syndicats et leurs directions

En cette fin d’été, Alternative Libertaire (AL) vient de publier sur son site web un article consacré à Révolution Permanente qui, malgré ses critiques quelque peu bancales, a au moins le mérite de revenir sur un des grands débats de l’extrême gauche : le rapport aux syndicats, aux directions syndicales et à l’auto-organisation. Alors que de nombreux jeunes et travailleurs mobilisés contre la Loi travail au printemps se préparent à reprendre la lutte le 15 septembre, revenir sur ce débat fondamental permet de tirer le bilan de ces quatre mois de lutte et d'avancer dans la recomposition d’une extrême gauche combative en France. Sarah Macna

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Pour commencer, et avant de rentrer dans le vif du sujet, nous ne pouvons que nous réjouir des « critiques » que nous formulent les camarades d’Alternative Libertaire. Si Révolution Permanente a en effet, comme ils le disent, « fait preuve d’un activisme sans relâche, d’une lutte à l’autre, faisant parfois d’un fait divers un fait politique », nous ne pouvons que nous en féliciter, car cela témoigne de la réussite de notre projet de média « du bon côté de la barricade », donnant la voix aux exploités et aux opprimés que les médias dominants cherchent tant à faire taire.

L’une des critiques que semblent vouloir faire les signataires du texte à Révolution Permanente est que ce média soit « la vitrine du CCR », le Courant Communiste Révolutionnaire. Que ce média soit un média engagé, impulsé par des militants organisés, revendiquant l’héritage du marxisme révolutionnaire et du trotskisme, nous ne l’avons jamais caché, et il ne s’agit donc pas là d’une révélation. Néanmoins, tout en ne camouflant jamais nos objectifs et notre programme, nous faisons en sorte que Révolution Permanente ne soit pas une simple « vitrine », mais réellement un lieu de débat, de confrontation d’analyses au sein de l’extrême gauche ou plus largement de la gauche radicale. Ceci notamment par le biais des « tribunes libres » que nous publions régulièrement, mais aussi de nombreux témoignages ou compte-rendus de mobilisation, qui cherchent à donner la parole aux luttes, aux exploités et aux opprimés de ce système. Et nous espérons que, loin de s’arrêter aux fausses critiques formulées dans cet article, les camarades d’Alternative Libertaire profiteront de cet outil, que ce soit pour visibiliser les combats auxquels ils prennent part ou pour mener le débat politique et théorique au sein de l’extrême gauche. C’est en ce sens que, malgré nos désaccords évidents sur la caractérisation des directions syndicales et de leur rôle dans la mobilisation contre la loi Travail, nous avons tenu à leur répondre.

Les camarades d’AL nous reprochent par ailleurs un article dans lequel nous retranscrivions – comme le faisaient déjà de nombreux médias – un communiqué de la préfecture de police affirmant l’existence d’un accord entre les forces de l’ordre et les services d’ordre des organisations syndicales. Nous reprochant notre absence de sens critique, les signataires de l’article « omettent » de rappeler le contexte politique préalable à la sortie de l’article, qui poussait pourtant à prendre ce communiqué au sérieux. La veille même de la rédaction de l’article, la CGT Police, avec le soutien de Martinez, annonçait en effet participer à la manifestation « anti-haine des flics » du 18 mai, aux côtés d’Alliance, l’un des syndicats les plus à droite au sein de la police nationale. La dénonciation de la violente répression policière par les directions syndicales se faisait par ailleurs attendre dans un silence assourdissant. Ainsi, dans le contexte d’une très forte pression du gouvernement, et d’une répression policière sans précédent, il semblait tout à fait légitime de prendre acte de la situation et d’interpeller les directions syndicales pour éviter qu’un accord de ce type ne survienne, car cet accord entérinait dans les faits la division que voulait imposer le gouvernement entre le cortège syndical et le secteur autonome. Nous considérons – et à n’en point douter, les camarades d’AL aussi – un tel accord comme néfaste pour l’unité du mouvement social. Sans doute aurions-nous pu nous protéger davantage en multipliant les points d’interrogation et les conditionnels ; la suite des événements témoigne cependant du fait que nos inquiétudes n’étaient pas totalement infondées. On se rappelle notamment la manifestation du 17 mai où, par-delà les forces de répression, les services d’ordre des organisations syndicales semblaient s’être donné le mot pour contrôler étroitement le déroulement de la manifestation. Dans ce contexte, les camarades d’AL maintiendront-ils que la reprise sans distance d’un communiqué préfectoral est vraiment le fond du problème ?

Quand Alternative Libertaire confond syndicalisme et indulgence vis-à-vis des directions syndicales

Selon les signataires de l’article, Révolution Permanente fait de « la rupture avec les directions syndicales [...] un axe politique central, un leitmotiv », ce qui les conduit à dire que nous mépriserions la forme syndicale en tant que telle. Certes, ces derniers mois nous avons publié de nombreux articles dans lesquels nous avons critiqué la politique des directions syndicales, et en premier lieu celle de la direction de la CGT, en les interpellant sur la nécessité de construire un vrai plan de bataille pour la mobilisation, ou de se positionner face à la répression qui touchait notamment la mobilisation de la jeunesse. Mais nous sommes loin d’avoir été les seuls, comme en témoignent les nombreuses prises de position de sections syndicales critiquant les orientations prises par leur direction confédérale, dont nous avons pu relayer certaines sur notre site. Il ne s‘agit donc pas d’un quelconque mépris de la forme syndicale, qui est un acquis fondamental pour l’organisation de la classe, mais d’un débat légitime et indispensable sur la meilleure orientation pour gagner. Si Révolution Permanente était le « torchon antisyndical » que voudraient peindre les auteurs de l’article, il faudrait leur demander comment ils expliquent que de si nombreux syndicalistes combatifs, notamment de la CGT, aient tenu à apporter des messages de soutien lors de son premier anniversaire.

Dans leur article cependant, les camarades d’Alternative Libertaire évacuent d’un revers de main la responsabilité de ces directions syndicales, estimant que « la principale difficulté n’est pas tant l’obstruction des directions syndicales que le manque d’équipes syndicales combatives et la résignation des salarié-e-s ». Il est évident que la mobilisation a rencontré une limite dans le manque d’expériences de lutte accumulées dans certains secteurs, et dans sa massification (parler de « résignation » nous semble d’ailleurs assez dur, vu la combativité qu’on a vu naître dans les secteurs de travail les plus mobilisés). Mais il est évident aussi – ou alors nous demandons aux camarades d’AL de nous démontrer le contraire – que la politique de la direction de la CGT n’a pas été celle d’œuvrer à la connexion du mouvement étudiant et lycéen avec le mouvement ouvrier ; de développer un programme non corporatiste capable d’unifier l’ensemble de notre classe, jusqu’aux plus précaires, aux chômeurs, aux habitants des quartiers ; d’œuvrer à ce que tous les secteurs en lutte marchent ensemble et frappent au même moment. Et si c’était dès le mois de mars, quand étudiants et lycéens étaient dans la rue, que les grands bastions de la CGT (dockers, raffineurs, cheminots...) avaient bloqué le pays comme ils l’ont fait deux mois plus tard ? Nul doute que la situation aurait été bien différente, comme l’analysent par ailleurs des articles publiés sur le site d’Alternative Libertaire.

Mais le fond du problème, dans l’article publié par Alternative Libertaire, est la confusion entre les syndicats et leurs directions.

En faisant cette confusion, assimilant les syndiqués à la politique de leurs dirigeants, les signataires de l’article en viennent au mieux à une indulgence envers les directions syndicales, et ce après les ravages produits par la politique du « dialogue social » en termes de résignation et d’acceptation des lois impulsées par le patronat. Cette logique conduit en plus à ne donner aucun plan de bataille collectif concret aux travailleurs syndiqués qui voudraient, avec raison, reprendre en main l’outil (le syndicat) qui devrait être le leur. Loin de nous opposer à la forme syndicale, nous sommes pour que celle-ci soit un véritable outil de lutte et d’organisation collective et démocratique, pour tous les travailleurs et travailleuses.

Les syndicats : front unique ou « syndicats rouges » ?

La deuxième contradiction de cet article a trait à la caractérisation même de ce que doivent être les syndicats. Les signataires de l’article expliquent en effet qu’ils défendent le modèle du syndicalisme révolutionnaire, et dans le même temps affirment que les syndicats doivent être l’outil pour l’unité de la classe. Mais on se retrouve alors face à une impasse : soit l’ensemble des militants d’un syndicat partagent la stratégie du syndicalisme révolutionnaire, et dans ce cas le syndicat exclut de fait une partie des travailleurs et travailleuses qui ne partagent pas cette stratégie ; soit les syndicats sont en effet « un outil pour l’unité de la classe », et donc composés de militants partageant diverses stratégies, philosophies, convictions politiques, sensibilités (qui peuvent, par la suite, se constituer en tendance s’ils le souhaitent). Sinon, que faire des syndiqués militant dans d’autres organisations, ou simplement adhérant à d’autres stratégies, et principalement la stratégie réformiste, encore convaincus que la méthode pour gagner sera celle de la conciliation avec le gouvernement et les patrons ? On notera d’ailleurs avec ironie que c’est ce type d’argumentation qui a été utilisé dans certaines sections de la fédération Solidaires, par des militants d’Alternative Libertaire, pour exclure d’autres militants. Des syndicats « pour l’unité de la classe », donc... sauf pour ceux et celles qui ne partagent pas la stratégie politique d’Alternative Libertaire...

Mais c’est quand on lie la caractérisation que font les deux signataires de l’article des directions syndicales avec cette contradiction que le problème devient plus évident encore. Car si le but était en effet de construire des syndicats révolutionnaires, alors on s’étonne de l’indulgence que les camarades d’AL accordent à Philippe Martinez et aux autres dirigeants syndicaux ! Des belles heures du syndicalisme révolutionnaire, il semblerait qu’il n’en reste plus que le nom...

Nous partageons cependant avec les signataires de l’article l’idée que la rupture qui est faite aujourd’hui entre d’un côté les luttes proprement « syndicales » et de l’autre les luttes « politiques » est un aspect problématique du syndicalisme français : elle tend à restreindre la conscience des travailleurs et travailleuses et leurs luttes aux seules questions purement « économiques » (salaires, conditions de travail, etc.) tandis que c’est à eux et elles, qui produisent et font tourner la société au quotidien, que devraient revenir les décisions sur l’ensemble des questions politiques. Au contraire, les syndicats doivent être des lieux de débats, d’échange démocratique, et de lutte collective sur toutes les questions, du combat pour les salaires à la lutte contre les oppressions, et tant d’autres choses. Et c’est notamment pour cela, pour que ces cadres soient de réels cadres d’élaboration et de combats collectifs, que nous ne pouvons avoir aucune indulgence envers les directions syndicales, dont l’intégration au système « démocratique » bourgeois est depuis bien longtemps prouvée, et ce même si elles sont parfois poussées à aller plus loin qu’elles ne le voudraient, comme elles l’ont fait, poussées par la combativité qui s’est exprimée pendant près de quatre mois, au cours de la mobilisation contre la loi Travail.


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