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Il n’avait pas toutes ses annuités, et pourtant…

Retraite anticipée pour François Chérèque

Un saint. Ou presque. La CFDT a beau avoir acté sa déconfessionnalisation en 1964, François Chérèque a eu droit à une canonisation en bonne et due forme dès lors que son décès, à 60 ans, a été rendu public, lundi 2 janvier. Dans un bel unanimisme, Laurent Berger, son successeur à la tête de la Centrale, mais également les responsables politiques de tout bord, de gauche comme de droite, en passant par la CGPME et le Medef, tous on tenu à rendre un hommage appuyé à « un grand homme ». Quand on sait la trajectoire de celui qui a été à la tête de la CFDT de 2002 à 2012, on comprend pourquoi.

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Chérèque, en effet, était à l’écoute. Du patronat et des gouvernements en place, notamment. Et quand il faisait la grosse voix, poussé par la base cédétiste, celui que ses amis qualifient de « pragmatique » doué d’un « sens aigu du dialogue » et du « compromis », savait aussi se radoucir aussi sec. C’était cela, aussi, la marque de fabrique de Chérèque.

Responsable local et second couteau pendant une vingtaine d’années, l’éducateur spécialisé avait pour lui deux beaux atouts : c’était avant tout le « fils de son père », Jacques Chérèque, ex-ministre de Mitterrand et numéro deux de la centrale sous Edmond Maire, celui qui avait piloté le « tournant réaliste » de la CFDT après le Congrès de Brest, en 1982, remisant aux antiquités les tendances les plus soixante-huitardes et « autogestionnaires » de la centrale. L’autre carte de Chérèque-fils, c’était Nicole Notat, celle qui avait appuyé la réforme Juppé en 1995. Elle avait repéré en lui le parfait apparatchik capable de « finir le boulot », à savoir le recentrage définitif de la confédération dans le giron du social-libéralisme et de la troisième-voie. Elle en fait son dauphin et c’est sous sa houlette que Chérèque a gravi à toute vitesse tous les échelons de la centrale, en dirigeant tout d’abord la fédération de la santé entre 1996 et 2002 pour finir par être propulsé à la tête de la confédération.

Dès le début, il sait se montrer compréhensif. En décembre 2002, il signe le protocole d’accord sur la réforme de l’Unedic, un véritable coup de poignard dans le dos pour les chômeurs. Un an plus tard, alors que les fonctionnaires sont vent debout contre la réforme Fillon des retraites qui vise à faire passer le temps de cotisations de 37,5 annuités à 40,5 en l’alignant sur le privé, par souci « d’équité », Chérèque fait des ronds de jambes auprès de Raffarin. Après quelques séances de « dialogue », il qualifie l’accord « d’acceptable ». Il appuie, donc, ce nouveau coup de matraque qui ouvrira la voie aux contre-réformes successives, en 2010, sous Sarkozy, puis sous Hollande.

Face à la bronca de certaines fédérations ou unions locales qui quitteront, pour certains, le navire, en 2006, comme d’autres avant elles en 1988 (Sud PTT) ou après 1995, Chérèque se rend compte qu’il faudra la jouer finaud s’il veut rester aux manettes. Au sein de la centrale, ses opposants lui on collé quelques sobriquets assez caustiques : "François Félon", ou encore "le collabo". C’est alors qu’il inaugure un nouveau numéro d’équilibriste que reprendra, au printemps dernier, son successeur, Laurent Berger : il s’agit de faire les gros yeux, dans un premier temps, dire que « l’on est pas contre le changement, mais qu’il faut pas exagérer », pour mieux tourner casaque, dans un second temps, et valider « une solution de compromis ». C’est ce qui aura lieu, par exemple, en 2010, sous Sarkozy. Et lorsque la direction de la CFDT ne peut pas faire machine arrière, à moins de se couper définitivement de ce qui reste de ses attaches au syndicalisme, comme en 2006, lors de la lutte contre le CPE, Chérèque envoie les siens pour éteindre l’incendie : dans le mouvement étudiant, la Cé (Conféderation Etudiante), officine cédétiste sur les facs, agissait ainsi en pompier pour mieux démobiliser là où cela était possible. On retrouve aujourd’hui plusieurs de ses responsables au sein des JAM… les « Jeunes Avec Macron ».

Bon conseil, reçu à plusieurs reprises, officiellement ou non, par Sarkozy, tout au long de son quinquennat, Chérèque n’allait pas rester inactif lorsqu’il a quitté la tête de la CFDT. Ayant « le cœur à gauche », comme il aimait à le rappeler, n’ayant pas toutes ses annuités à son compteur de salarié du patronat, on su lui trouver quelques pantouflages bien payés : l’Inspection générale des Affaires Sociales, tout d’abord. Pour 7257,55 euros net par mois, Chérèque était chargé du plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté, en janvier 2013, avec le succès que l’on sait. Son successeur, lui aussi, affectionne la première classe. Habité par le démon de « l’engagement », Chérèque est allé par la suite prêcher la bonne parole auprès des jeunes en tant que président de l’Agence du service civique. Enfin, pour ne pas s’ennuyer, Chérèque avait accepté la présidence de Terra Nova, le think-tank social-libéral qui a définitivement détrôné la vieille Fondation Jean Jaurès, la boîte à (mauvaises) idées de la SFIO puis du PS.

En quittant la CFDT, en 2012, Chérèque s’était fixé deux engagements : « pas de politique et pas de Légion d’honneur ». La promesse a été tenue, dans le second cas. Pour ce qui est de la première, Chérèque a été quelque peu jésuite. Il en a fait toute sa vie, de la politique : au service du social-libéralisme, du « dialogue » social et des mauvais coups dans le dos des travailleurs. Mais il est sûr que le Bon Dieu ne tiendra pas rigueur pour cet ancien élève du Lycée Notre-Dame Saint-Sigisbert de Nancy qui s’en va sans toutes ses annuités. Il est sûr, également, que nous ne le pleurerons pas.


  
      
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