×

25 ANS

Réunification allemande. Rien à fêter, tout à combattre

Il y a 25 ans, le territoire de l’ex-RDA était rattaché à la république fédérale ouest-allemande. L’histoire de la (re)montée en puissance de l’Allemagne réunifiée commençait. La fête nationale du « Jour de l’unité » (Tag der Einheit), se déroule dans un climat de recrudescence des ressentiments nationalistes et xénophobes, patents dans la multiplication des manifestations d’extrême droite. Elles mettent en lumière ce que l’héritage de la « réunification » capitaliste signifie pour les opprimés. Le 3 octobre 1990, hypocritement fêté depuis 25 ans comme « victoire sur la dictature du SED » - le Parti unique est-allemand - fut tout autant un début qu’une fin. Il marque d’un côté la faillite définitive du « socialisme réel », de l’autre, le retour de l’impérialisme allemand sur la scène mondiale. {} Stefan Schneider, Berlin Traduction : Pierre Reip

Facebook Twitter

L’effondrement de la République Démocratique Allemande

La disparation de la RDA stalinienne est due aux aspirations démocratiques d’une large partie de la population mais aussi pour beaucoup à l’offensive politique de l’impérialisme ouest-allemand. La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, fut d’abord le symbole des espoirs démocratiques d’un mouvement de masse né en Allemagne de l’est. Mais rapidement, le processus politique contre la bureaucratie du régime s’est transformé en une « contre révolution démocratique » et une restauration du capitalisme. L’absence d’une force politique qui aurait lié le combat contre la bureaucratie stalinienne à la défense des conquêtes de la planification socialiste a permis à l’impérialisme de prendre le mouvement démocratique sous son aile.

Les jalons d’une restauration capitaliste ont été jetés avant la date officielle de la « réunification », avec les privatisations et les liquidations des entreprises d’État est-allemandes et la mise en place de l’union monétaire et économique dès juillet 1990. En octobre de la même année, en résultait l’annexion d’une région pauvre, (mais ayant tout de même bien des attraits sur le plan économique et industriel) ainsi que son intégration au système capitaliste et au front occidental de l’OTAN.

La « réunification » fut une étape centrale de l’effondrement du bloc de l’est, de la fin de la Guerre froide et de la « fin de l’histoire » (Francis Fukuyama), c’est-à-dire du fameux « there is no alternative » (entendez : il n’y a pas d’alternative au capitalisme). Elle ouvrit simultanément la voie aux attaques contre les conditions de vie et de travail du prolétariat, à l’ouest, et plus encore à l’est : inflation, privatisations, désindustrialisation et chômage ont imprégné cette transition et sont à l’origine des très grandes différences de salaire, pensions et standards de vie entre l’est et l’ouest. Cette véritable déprédation sociale est la cause du renforcement du chauvinisme et du racisme qui, s’il ne se limite pas à l’ex-RDA, y rencontre une base de masse.{{}}

La (re)montée en puissance de l’impérialisme allemand.

Le 3 octobre marque le début du retour de l’impérialisme allemand sur la scène mondiale. Après avoir vu sa puissance économique et politique sérieusement amoindrie par la partition du Reich en 1945, la République Fédérale Allemande (RFA) a été massivement soutenue par ses alliés occidentaux, dans le contexte de la guerre froide. Mais c’est l’annexion de l’ex-RDA qui a permis au capital allemand de recommencer à jouer un rôle de premier plan. « La réunification » a réveillé les ambitions de la bourgeoisie allemande qui, dès les années 1990, joue un rôle prépondérant en Europe, notamment en prenant la direction d’opérations militaires. À partir du lancement de la guerre d’Irak en 2003, l’Allemagne a accru son indépendance à l’égard du « grand frère » états-unien. Depuis l’amorce de la crise de l’euro, elle convoite une domination sans partage de l’Europe.

Le rattachement des régions est-allemandes à l’espace économique ouest-allemand, avec leurs marchés et les possibilités d’investissements afférentes, a généré des profits faramineux. Il a aussi ouvert la voie à une restructuration complète de l’économie allemande dont le chancelier chrétien-démocrate Helmut Kohl (CDU)n’eût qu’à tracer les grandes lignes. Les privatisations expresses et à bas coût des entreprises d’État et coopératives, ainsi que l’apparition simultanée d’un immense vivier de salariés sous-payés, ont permis de maintenir le prix de la marchandise que constitue la force de travail à un très bas niveau en comparaison à ses concurrents internationaux. Les bases pour une économie d’exportation étaient jetées. Cette politique a été portée à des sommets avec l’agenda 2010 et les suites de la crise économique mondiale.

L’impérialisme allemand n’est cependant pas sans contractions : il y a toujours plus de conflits entre l’opportunité d’un marché commun européen aux conditions avantageuses pour le capital allemand et ses prétentions dirigeantes explicites, qui enterrent toute relation « partenariale » avec les autres puissances impérialistes du continent.

La crise mondiale de 2008 a permis à la bourgeoisie allemande de se rapprocher de ses objectifs comme jamais auparavant, tout en révélant le manque de clarté d’un projet européen sous leadership allemand. L’Union Européenne, qui a offert tant d’avantages au capital allemand, menace aujourd’hui de se disloquer. Ce danger s’est considérablement accru avec la vague nationaliste autour de la prétendue « crise des migrants ».{{}}

Le nouveau chauvinisme allemand

La fable d’un leadership allemand qui ne souffrirait aucune contestation en Europe est très prégnante dans l’opinion publique allemande et ce, depuis des années. La morale en est que les « pays en crise » devraient se conformer au « modèle allemand ». C’est ainsi que sont justifiées les mesures d’austérité draconiennes qui plongent les habitants du sud de l’Europe dans la misère. La première pierre du renforcement du chauvinisme allemand est posée.

Les conséquences de ce retour se discernent parfaitement dans l’épisode récent de la « crise des migrants » : la xénophobie prolifère dans la population à mesure que se répand toujours plus le racisme d’Etat. Tandis qu’il y a de cela quelques semaines, on s’extasiait devant un « été de la solidarité » qu’incarnerait la nouvelle Allemagne « ouverte au monde », on ne peut aujourd’hui échapper à la gueule hideuse et raciste du nationalisme allemand qui montre partout le bout de son groin.

Depuis des années, les gouvernements successifs s’attaquent à un droit d’asile déjà très restrictif et qui depuis la grande vague raciste de 1992-1993 est chaque année un peu plus rogné. Telle fut la réponse au combatif mouvement des réfugiés des trois dernières années, écrasé par la plus brutale des répressions.

Avec la vague migratoire des derniers mois, cette politique restrictive atteint des sommets, ce qui n’est pas sans contradictions. Le capital allemand convoite des forces de travail jeunes, qualifiées et peu chères, c’est pourquoi ses représentants réclament une intégration rapide des réfugiés au marché du travail allemand, bien entendu dans les conditions les plus misérables. Cependant, ceux-ci ne veulent en aucun cas participer au financement de leur insertion dans la société. Pour cela, le gouvernement allemand s’appuie sur la solidarité de larges couches de la population, alors que les structures publiques sont toujours plus attaquées, quand elles n’ont pas déjà été privatisées. En parallèle, il renforce les lois racistes et excite la vermine xénophobe qui compte déjà à son actif des centaines d’attaques contre les réfugiés et leurs lieux d’hébergement. Alors que toujours plus de gens manifestent contre les « demandeurs d’asiles », le gouvernement valide, avec sa politique de reconduite à la frontière, un cercle vicieux raciste.

La palme du chauvinisme revient au ministre de l’intérieur Thomas de Maizière, dont les propos révèlent avec clarté la tartuferie de la « culture d’accueil » allemande à l’égard des réfugiés. Dans une émission de télévision de la ZDF, le politicien chrétien-démocrate déclarait : « jusqu’à cet été les réfugiés nous remerciaient de les avoir accueilli chez nous. Ils demandaient où était la police, où était l’office fédéral des migrations et des réfugiés, où ils allaient être répartis ». Cela aurait changé depuis. « aujourd’hui, il y a beaucoup de réfugiés qui croient qu’ils peuvent aller où bon leur semble […] À ceux-là nous devons dire clairement que quiconque vient en Allemagne doit se laisser transférer là où nous l’emmenons, se soumettre à une procédure loyale et reconnaître notre État de droit. »

Ces propos sont particulièrement cyniques quand on sait que des restrictions scandaleuses de la liberté des migrants sont exigées et instaurées alors que l’on fête les 25 ans de la « victoire sur une dictature » qui fut tristement célèbre pour ses restrictions du droit de circulation et de la liberté d’expression. Tandis que la république fédérale allemande se présente comme le phare des droits de l’homme dans sa « fête de l’unité » elle foule aux pieds les droits de centaines de milliers d’hommes et de femmes.

Parallèlement à ce déferlement de haine raciste à l’échelle nationale, le chauvinisme ne cesse de croître en Europe, dans le contexte de la « crise des réfugiés ». Tandis que l’Union Européenne a été fêtée par beaucoup comme le dépassement des États nations, les marxistes ont toujours rappelé la prépondérance des impérialismes nationaux. Il est clair aujourd’hui que l’UE est plus fragile que ce que les euro-philes voudraient bien nous faire croire. L’Union Européenne n’est pas une « Europe de la solidarité », mais un regroupement de bourgeoisies nationales pour la sécurisation de leurs intérêts. Il est encore peu clair si l’UE pourra survivre à cette crise. La vague nationaliste en Europe, et son épicentre en Allemagne peut en tout cas être le premier clou de son cercueil.

Il n’y a rien à fêter dans le ressac de cette vague raciste. Les travailleurs, les jeunes, les femmes, les migrant-e-s et tous les opprimé-e-s n’ont pas le droit d’être happés par le tourbillon de flammes craché par la classe dominante et ses médias. Que le chauvinisme propre sur soi des dominants et les cohortes d’extrême droite avancent au même pas se montre aussi symboliquement par le fait que les célébrations du 3 octobre sont accompagnées par des manifestations populistes et d’extrême droite dans toute l’Allemagne.

Au lieu de fêter la tartuferie de l’Allemagne « démocratique » des « droits de l’homme », il convient de se mettre en ordre de bataille contre le racisme rampant et les attaques xénophobes. « L’unité » pour laquelle nous devons combatte n’est pas celle du peuple ou de la nation servile du capital, mais bien celle des opprimés – quelle que soit leur origine, nationalité, genre ou orientation sexuelle. Pour une Europe des travailleur-ses et des opprimés, contre l’Europe du capital !


Facebook Twitter
« La pensée de Lénine et son actualité » : Inscris-toi au cycle de formation de Révolution Permanente

« La pensée de Lénine et son actualité » : Inscris-toi au cycle de formation de Révolution Permanente

L'actualité du parti léniniste

L’actualité du parti léniniste

Défaire le mythe de la transition énergétique

Défaire le mythe de la transition énergétique

La collaboration Hitler-Staline

La collaboration Hitler-Staline

Notes sur la bataille idéologique et l'actualité de la théorie de la révolution permanente

Notes sur la bataille idéologique et l’actualité de la théorie de la révolution permanente

Servir la révolution par les moyens de l'art. Il était une fois la FIARI

Servir la révolution par les moyens de l’art. Il était une fois la FIARI

La lutte pour recréer l'internationalisme révolutionnaire

La lutte pour recréer l’internationalisme révolutionnaire

Pacifiste, mais pas trop. La France insoumise et la guerre

Pacifiste, mais pas trop. La France insoumise et la guerre