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Partir ou rester, telle est la question

Royaume-Uni. L’extrême-gauche face au « Brexit »

Une grande tension règne dans le climat politique britannique à plusieurs jours du référendum qui devrait décider de l'avenir du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Rester ou partir ? Telle est la question... Alejandra Rios, correspondant

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L’avenir du Royaume-Uni dans l’Union européenne se décidera jeudi 24 juin lors du référendum organisé par le gouvernement conservateur de David Cameron. Cette politique a été mise en œuvre par Cameron, de manière assez artificielle, au lendemain des élections générales de mai 2015 avec un seul et unique objectif : apaiser l’aile eurosceptique de son propre parti et éviter que certains députés conservateurs partent à l’UKIP (Parti indépendant du Royaume-Uni, extrême-droite).

Dans les derniers jours, la discussion sur les conséquences économiques d’une éventuelle sortie du pays de l’UE s’est vue supplantée par un débat plus général sur l’immigration. Cette tendance n’a fait que se renforcer après le tremblement de terre politique constitué par l’assassinat de la jeune députée travailliste Jo Cox et la révélation que son assassin entretenait des liens étroits avec des groupes d’extrême-droite, nationalistes et anti-immigrés. Pour sa part, l’UKIP a poursuivi sa politique anti-immigré en révélant une affiche de campagne clairement inspirée d’une affiche de propagande nazi, éveillant la peur et anticipant le discours xénophobe qui se renforcera sûrement si les partisans du départ de l’UE remportent le référendum.

Les sondages publiés dans les dernières semaines révélant un avantage de plusieurs points pour les pro-Brexit – même si les nouvelles enquêtes d’opinion semblent prédire une avance légère pour les anti-Brexit – et sur fond de la chute de la bourse à Londres, Cameron et la caste médiatique et politique ont intensifié leur campagne avec une série de déclarations alarmistes sur l’avenir du pays. Selon eux la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne signifierait l’écroulement de l’économie nationale, une baisse de recettes due à la suppression des transferts d’argent de l’UE, l’absence d’instances communautaires pour négocier les quotas d’immigrés avec les compétences nécessaires pour s’intégrer au marché du travail.

Le débat politique polarisé ainsi par le référendum a sans aucun doute renforcé les secteurs les plus nationalistes qui n’hésitent pas à rendre les migrants responsables pour tous les maux du pays, de la faillite du système de santé national à la crise économique en passant par le manque de développement industriel. Ces manifestations de polarisation politique et le niveau de rivalité politique – qu’on n’a pas vus depuis des décennies – remettent en question le jugement de Cameron.

Pourquoi choisir entre Cameron ou Farage ?

La quasi-totalité des groupes de l’extrême-gauche britannique sont malheureusement piégés dans une des deux options de la question référendaire : Faut-il que le Royaume-Uni continue à faire partie de l’Union européenne ou qu’il en sorte ? Il n’y aurait que deux réponses possibles : Remain a member (rester) ou Leave (sortir).

La lutte pour les droits des travailleurs, des migrants, des couches précarisées de la société ne se joue dans aucun des deux camps du référendum et la première réponse de l’extrême-gauche devrait être de dénoncer le référendum pour ce qu’il est réellement : une manœuvre politicienne de la part du Premier ministre britannique Cameron pour régler la contestation interne à son propre parti.

Le Socialist Workers’ Party (SWP) fait partie de la plate-forme « #Lexit : la campagne pour une sortie à gauche de l’Union européenne » avec d’autres organisations politiques de gauche radicale. Dans leur présentation, ils disent avec raison que les électeurs méritent plus qu’un choix entre la position européiste de Cameron (ou le rêve illusoire d’une « Europe sociale ») d’un côté, et, de l’autre, la campagne eurosceptique réactionnaire de l’UKIP et de l’aile droite du Parti conservateur. Pour faire face à ces deux fausses alternatives ils ont lancé la campagne #Lexit (acronyme de « gauche » et de « sortie » en anglais) avec l’objectif de mener une campagne « principiste, anti-raciste et internationaliste engagée avec la démocratie, la justice sociale et la durabilité environnementale. » Ce mot d’ordre est également soutenu par Counterfire, le Parti communiste de Grande-Bretagne et Antarsya (en Grèce).

Pour justifier leur appel à voter pour une sortie de l’Union européenne, ils emploient plusieurs arguments. D’abord, selon eux, l’UE continue à exécuter un programme politique pro-patronal à travers notamment les négociations secrètes de l’Association transatlantique pour le Commerce et l’Investissement et les plans d’austérité imposés en Grèce, en Chypre, en Irlande et au Portugal. Deuxièmement, l’UE est ingouvernable avec ses institutions hyper-bureaucratiques comme la Commission européenne ou la Banque centrale européenne (BCE). Troisièmement, l’idée que l’UE défend ou protège les droits des travailleurs est un mythe, tous nos acquis étant le fruit de la lutte de classes. Quatrièmement, l’UE est une forteresse impliquée dans les programmes de déportation massive, la libre circulation des travailleurs s’appliquant uniquement aux membres « communautaires ». Enfin, ils affirment qu’une sortie de l’UE ne se traduirait pas automatiquement sur le plan politique en un virage à droite. Une sortie de l’UE pourrait déclencher, selon eux, une grave crise pour la classe dominante.

Ils expliquent que l’assassinat de Jo Cox est le pur produit du climat raciste et islamophobe qui s’installe dans le pays et dans lequel les migrants et les réfugiés sont le bouc émissaire par excellence. Personne au sein de l’extrême-gauche ne nierait le libéralisme de l’UE ni ses aspects réactionnaires ; mais des groupes de solidarité avec le mouvement des migrants croient qu’une victoire pour le « out » augmentera considérablement le racisme.

La position du SWP s’avère dangereuse d’autant que la campagne pour la sortie de l’UE est associée avec Nigel Farage de l’UKIP et l’extrême-droite. Comment un Farage encouragé par une victoire du « out » pourrait-il représenter une meilleure situation pour la lutte et plus favorable pour les masses ?

Le Parti socialiste (appartenant au Comité pour une Internationale ouvrière) a choisi lui aussi de soutenir une sortie de l’UE. Dans ses tracts, ils disent qu’une telle sortie doit se faire sur des bases de classe et internationalistes. Selon eux, il s’agirait d’une opportunité pour les travailleurs d’exprimer leur opposition au gouvernement conservateur en particulier et à la classe capitaliste plus en général. Quant à l’assassinat de Jo Cox, ils estiment que si une campagne d’indépendance de classe autour du référendum qui unifie l’anti-austérite et l’anti-racisme dans un seul et même cri de guerre n’est pas menée, une augmentation du nombre d’attaques contre les migrants et les personnes d’origine étrangère ne sera pas à exclure.

Pour sa part, tant Socialist Resistance (organisation sœur du NPA en France) que Left Unity (formation politique comptant sur le soutien du cinéaste Ken Loach) ont, eux, choisi de soutenir l’autre camp. Dans leur brochure « L’Union européenne et le référendum : pour un vote critique en faveur de « rester » contre la xénophobie », ils dénoncent la nature anti-démocratique et néo-libérale de l’UE, de ses institutions et du référendum. Ils estiment que la campagne pour sortir de l’UE est un projet de la droite xénophobe et sa victoire ne fera qu’alimenter le sentiment anti-immigré et raciste au Royaume-Uni et en Europe. Ils rejettent l’idée de s’abstenir sur toute la ligne.

Left Unity essaie d’établir un dialogue avec les personnes qui croient que rester dans l’UE est plus progressiste mais son point faible est d’embellir le projet européiste. Ils tapent fort contre le gouvernement conservateur et sa politique d’austérité mais pour discuter avec l’extrême-gauche pro-brexit, ils déclarent que la victoire du brexit renforcerait le pouvoir et la crédibilité de l’extrême-droite et le sentiment anti-immigrés.

L’extrême-gauche est donc divisée devant la position à adopter face à une éventuelle sortie de l’UE à l’issue du référendum du 23 juin. Alors même qu’elle aurait pu se saisir de ce référendum pour dénoncer ensemble et de manière militante le fait qu’il s’agit d’une dispute bourgeoise et pour refuser d’y prendre part. Après tout, le débat est dominé entièrement par les deux camps bourgeois : celui de Cameron avec un discours pro-patronal et néolibéral et celui de Farage avec un discours populiste de droite.

Les jeunes mécontents avec la caste politicienne et économique qui se sont mobilisés pour la candidature de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste restent actifs dans d’autres phénomènes politiques. Ils vont vers les centres de rétention des migrants, travaillent comme bénévoles à Calais et se mobilisent contre le racisme et pour les droits des migrants, se prononcent majoritairement en faveur de l’appartenance du pays à l’UE.

Devant le risque d’un renforcement de l’idéologie réactionnaire dans le contexte d’absence total d’une alternative indépendante des travailleurs, des couches précarisées de la société, des femmes, des migrants, des personnes LGBTQI et des jeunes révoltés, rester dans l’UE se dessine comme un moindre mal. Mais il est nécessaire d’expliquer patiemment en quoi cela ne constitue en aucun cas une alternative. La lutte contre le nationalisme xénophobe et raciste sera nécessairement associée à la lutte contre l’Union européenne du capital avec une perspective internationaliste et de classe.

Traduit par I.M.


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