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CHEMINOTS, USAGERS, MÊME COMBAT POUR LE SERVICE PUBLIC – PARTIE 15

SNCF. La réforme n’épargne pas les conducteurs

Autrefois le conducteur de train rayonnait partout autour de sa gare d’attache et sur de longs parcours, il était chargé de missions de conduite diverses et variées. La complexité du métier et les grandes responsabilités qu’il implique étaient respectées et valorisées. Depuis quelques années, le métier se transforme, entre déclassement, monotonie et tâches annexes, l’un des plus beaux métiers du monde est en train de se dégrader à grande vitesse… avant de disparaitre purement et simplement ?

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Cours de bonne conduite

La conduite d’un train nécessite quasiment un an de formation (rémunérée). Alternant théorie et pratique elle est sanctionnée par un examen plutôt exigeant. Il faut connaitre la signalisation, le matériel roulant (wagons, voitures), les engins moteurs (fonctionnement normal, préparation, visite et dépannage), les lignes (transitions de vitesses, différents itinéraires, arrêts, formes des autorisations de départs, particularités locales), les appareils de voies et de caténaires et, surtout, la réglementation ferroviaire complexe et ultra cadrée notamment en ce qui concerne les anomalies et les incidents qui nécessitent une application sans failles des procédures d’urgence.

Cette formation visiblement trop coûteuse va bientôt être profondément réformée (annonces du groupe de travail du 5 juin 2019) afin de répondre aux "impératifs économiques" et de préparer dès le départ les stagiaires à faire autre chose que de la conduite, quitte à abaisser le niveau de sécurité.

Le train-train quotidien

Une fois l’examen de conducteur réussit, il s’agit de mettre quotidiennement ses connaissances à profit pour assurer en toute sécurité la conduite. Cette dernière n’est pas aussi automatisée qu’on pourrait le penser. En effet, en dehors du régulateur de vitesse que l’on peut régler comme sur une automobile, les automatismes n’interviennent que lorsque le mécanicien commet une erreur importante (dépassement de vitesse, réaction tardive ou absence de réaction à un signal etc.) en arrêtant purement et simplement le train. Chaque erreur est repérée sur bande graphique ou informatique et remonte immédiatement à la hiérarchie qui sanctionnera le conducteur pouvant aller jusqu’à la radiation (licenciement) en passant par la descente de machine. Le conducteur est extrêmement vigilant et doit réagir rapidement en cas d’anomalie à la caténaire, à la voie ou aux autres circulations. Il est aussi technicien et s’occupe de dépanner rapidement les engins lorsqu’ils tombent en panne. Chaque procédure demande des vérifications et applications de vitesses qui peuvent être lourdes de conséquences si elles sont mal appliquées.

Le métier peut être très différent en fonction du lieu ou de l’activité dans lequel on va l’exercer. Il n’y a pas si longtemps, une journée de service pouvait être composée de train de FRET et de TER. Les agents de conduite étaient tous réunis dans un même dépôt et s’intéressaient donc aux problématiques de chaque agent. Aujourd’hui les entités sont séparées, y compris physiquement dans des locaux géographiquement éloignés. Les agents TER ne connaissent plus les problématiques FRET ou TGV et vice versa, ce qui réduit forcément le rapport de force lors de conflits locaux de plus en plus ciblés. Les journées sont bien plus monotones, avec des roulements dédiés à certaines lignes, sur lesquelles on enquille les allers retours dans ce que les conducteurs appellent des "tournées ping-pong". Enfin les congés sont fréquemment refusés, car le manque de polyvalence entres agents ne permet pas d’assurer facilement les replacements.

Les horaires atypiques, ça pique !

Les journées de services commencent à n’importe quelle heure et se décalent au cours de la semaine, en fonction des heures d’arrivée ou de départ des trains à assurer. Ils doivent fréquemment dormir hors de leur domicile, dans les villes où ils terminent leur service, afin d’être réutilisés au plus tôt le lendemain de ce qu’ils appellent un découché. Ils travaillent de nuit comme de jour, les dimanches et les jours fériés.

Un exemple concret pour comprendre : l’agent « embauche » à 14h32 le dimanche il termine 20h48 en gare de Strasbourg où il dormira. Il reprendra le service à 4h52 pour terminer le service dans son dépôt de Metz à 15h38. Les semaines, dites « grande période de travail », durent jusqu’à 6 jours et sont suivies d’un à trois jours de repos (116 repos par an avec un minimum de 12 week-end en repos par an).
Ce rythme de vie très particulier a depuis longtemps été reconnu comme nuisible à la santé. Si bien que les conducteurs bénéficient au bout de 20 ans de conduite d’une bonification de 5 années pour leur départ à la retraite (qui se fait aujourd’hui en moyenne autour de 54 ans mais qui se fera bien plus tard, même sans autre réforme, pour les jeunes conducteurs actuels pour un taux plein). Evidemment d’autres professions, à la SNCF comme ailleurs, engagent la santé des travailleurs et cet acquis des conducteurs devraient leur profiter à eux aussi.

Le salaire des « barons »

Un conducteur gagne environ 2000 euros net en traitement de base. Et ses primes de traction (en fonction, globalement, des kilomètres parcourus) et autres éléments variables de soldes (déplacements pour découchés) peuvent, les gros mois de travail atteindre les 1000 euros. Ce sont là des chiffres médians qui peuvent varier en fonction de l’ancienneté et de la résidence d’emploi.

Ce salaire est inhabituellement élevé pour le collège exécution (voir cet article sur les 13 salaires qui ne vous feront pas rêver à la SNCF) ce qui leur vaut depuis de nombreuses années le sobriquet de « barons du rail ». Pour autant les barons sont relativement dépendant de leurs primes et la « descente de machine » pour raison médicale, notamment, est synonyme d’une perte importante de salaire. Une proportion importante de conducteurs se voit ainsi mettre en inaptitude avant l’âge de la retraite au cours de la visite d’aptitude sécurité. Elle a lieu tous les trois ans, depuis la mise en place de la licence de conduite européenne et elle est incroyablement exigeante (plus drastique que pour les pilotes dans l’aérien) au point que la SNCF ne sait plus où les reclasser. Cela pose vraiment la question du recul de l’âge de départ à la retraite lorsque les yeux, les oreilles ou le cœur doivent être au top pour assurer les missions de conduite. A défaut de reclassement, on proposera quoi aux agents qui se sont ruiné la santé pendant 15 ans ? La porte ?

Travailler moins (diversifié), pour gagner moins

Haut niveau de compétences techniques et réglementaires, hauts critères psychologiques et médicaux, hautes rémunérations depuis de nombreuses années, la Direction de la SNCF cherche à déclassifier ce métier si exigent. Au FRET, par exemple, elle a donné la possibilité aux conducteurs de manœuvre d’assurer des trains de lignes limités en distance et en vitesse. Avec une formation plus rapide car moins dense et des salaires bien moins élevés, l’entreprise a fait un transfert de charge plutôt intéressant pour elle. Plus récemment elle a tenté de créer le grade de conducteur junior pour la ligne Belfort-Delle qui a rouvert en 2018. Commençant leur carrière sur un niveau de rémunération bien plus bas, ces conducteurs ne devaient être formés que pour ses 22km avec un seul engin de base et une réglementation uniquement consacrée aux situations pouvant y être rencontrée. C’est donc des conducteurs incapables de rouler ailleurs, ne pouvant aspirer à un déroulement de carrière qui les auraient faits progresser dans leur métier, tout en étant moins bien rémunérés. Une belle levée de boucliers a pu empêcher temporairement la création d’un précédent dangereux pour toute la profession. Mais ce n’est que partie remise…

Des tâches en plus, des collègues en moins

L’entreprise cherche encore et toujours à descendre le nombre de cheminots dans l’entreprise. Une de ses méthodes est de faire assumer au conducteur les tâches assignées aux collègues pour pouvoir ensuite supprimer leurs postes. En Alsace, l’EAS (Equipement Agent Seul) a fait son entrée en 2008, les contrôleurs sur la base du volontariat, on put choisir de travailler en brigade LAF (Lutte Anti-Fraude) avec une carotte au bout ; ils ont été bien peu nombreux à résister en restant sur du contrôle classique. Le métier en LAF est pourtant purement répressif et se soucie bien peu du service à bord et de l’accueil. Mais l’un des changements majeurs s’est fait pour les agents de conduite se retrouvant seul à bord, à devoir gérer la fermeture des portes, les montées et descentes, les questions des usagers, les annonces à faire. En situation perturbée, le conducteur se retrouve avec une problématique supplémentaire, et pas des moindres, celle de la gestion des usagers. Au-delà de la baisse en qualité de service, l’EAS emmène avec lui une baisse de la sûreté (lorsque deux engins sont accrochés ensemble, les usagers sont totalement livrés à eux même dans le second élément) et une baisse de la sécurité (descente en pleine voie, temps supplémentaire assigné aux annonces voyageurs y compris en cas d’urgence).

Depuis peu, l’entreprise veut faire assurer le vidage de la rame à l’arrivée. Cette tâche qui consiste à vérifier que personne ne reste à bord du train qui doit être manœuvré est aujourd’hui assurée par des agents d’escale (agent sur le quai). Dès juillet, après une simple information, c’est l’agent de conduite qui devra s’assurer à l’aide d’une procédure bancale que tout le monde est descendu et que personne n’est monté. Et puisqu’en parallèle, la Direction supprime l’autorisation de départ donnée aujourd’hui par les agents d’escale (tâche de sécurité lourde de responsabilité) et demande au conducteur d’assumer seul la décision de démarrer, on peut se douter que l’agent d’escale est dans le viseur de la SNCF et qu’il faut craindre une désertification encore plus grande des gares à l’avenir.
Aujourd’hui l’entreprise compte en demander encore plus au conducteur, il devra tracer son parcours, faire les pleins, faire ses essais freins seuls et nettoyer la rame après l’avoir vidée...

Ligne à vendre (engins moteurs et travailleurs inclus)

La défaite des cheminots l’an passé a entériné le transfert de personnel obligatoire dans le cas ou une autre entreprise que la SNCF (comme par exemple une de ses filiales) emporterait le marché. S’il y a bien une catégorie du personnel qui se sent aujourd’hui concerné, c’est bien les conducteurs. En effet ils sont la cible principale de cette mesure, car aucune entreprise ne pourrait aujourd’hui former elle-même ses propres conducteurs à son entrée dans le marché français. Soudain les écoles de conduite tant attendue sont devenues légion. Tous ces conducteurs formés en masses (50000 euros par agent environ) seront, par la suite, cédés gratuitement au privé. Un vrai détournement d’argent public !

Après leur transfert, ils garderont leur réglementation du travail, dont chaque article s’est écrit dans le sang et la sueur depuis de nombreuses années, pendant un maximum de 15 mois. Car c’est bien l’accord d’entreprise du nouvel arrivant qui s’appliquera ensuite. On peut facilement comprendre que lorsqu’on doit réduire les coûts au maximum pour emporter un appel d’offre, la marge de manœuvre se fait sur le dos des salariés. C’est ce que l’on appelle communément le dumping social. Il aurait pu être évité en inscrivant simplement dans la convention de branche du ferroviaire les conditions de travail des 160000 cheminots de la SNCF actuellement en poste (contre même pas 5000 dans les autres). Mais il faut croire qu’en fin de compte cette capacité à niveler au plus bas les conditions de tous les travailleurs du rail était exactement le but recherché lors de la réforme de 2016.

Le train autonome : jamais fatigué, jamais malade, jamais en grève

Puisque, malgré tout ce qui est écrit plus haut, aucun salarié ne sera jamais assez rentable, la SNCF investit dans la recherche pour mettre au point le train autonome dont le déploiement est prévu pour 2021 au FRET, 2023 au Transilien et 2025 pour les TGV et TER, nous ne sommes pas dans la science-fiction, c’est une menace à court termes pour le métier de conducteur. L’entreprise commence déjà à appeler les conducteurs, qui resteront en cabine pour surveiller que la machine exécute bien le travail qu’ils pratiquaient avant, « opérateurs ». En particulier à Saint-Denis dans l’espace collaboratif (moquette et meuble design) du projet TECH’RAIL qui prévoit un investissement de 57 millions d’euros pour parvenir enfin à cette merveille de technologie.

Au même titre qu’un grand nombre d’automatisation dans le monde du travail, c’est évidemment la question d’une « société autonome » de demain que l’on s’évertue à construire qui se pose. Car tant que les chômeurs seront traités avec mépris et privés de presque tout parce qu’ils sont privés d’emploi, on a du mal à concevoir l’intérêt de détruire avec un tel acharnement les métiers qu’ils pourraient occuper. Et l’on se dit qu’au lieu de développer un système automatique bancal que l’on voit déjà voué aux pannes et autres cybers attaques de tout genre, la SNCF ferait mieux d’investir dans le développement du rail afin de désengorger les routes et diminuer les émissions de carbone.

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