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Les coulisses du « dialogue social »

Scandale à Dassault-Aviation. Intimidation, répression syndicale et collusion d’intérêts

Intimidation, discrimination syndicale et collusion d'intérets. Après le scandale chez le sous-traitant aéronautique AAA, le cas de Dassault Aviation nous montre encore une fois les méthodes du patronat pour imposer ses intérêts.

Pepe Balanyà

8 février 2021

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Paix sociale : résignation des salariés ou complicité des directions syndicales ?

Face aux multiples attaques patronales et à la vague de licenciements historique que nous traversons, les salariés sont-ils résignés ?

Bien que ce constat soit souvent avancé, la réalité nous montre une toute autre chose : malgré le choc et les difficultés liées à la crise sanitaire et économique, la « paix sociale » est indissociable de la répression systématique vis à vis des militants combatifs et de la ligne conciliatrice des soit-disant « représentants des salariés » qui font tout pour plier les travailleurs aux intérêts du patronat en étouffant la colère dans les cadres du « dialogue social ». Et cela en allant même à l’encontre de l’action des salariés, comme ce fut le cas de FO Derichebourg ou encore chez Daher, où la CGT à annulé une grève à la dernière minute suite aux fausses promesses du patronat et à la pression des autres syndicats.

Si, au niveau national, les directions syndicales ne proposent pas de plan de bataille sérieux et s’assoient à la table de négociations avec le gouvernement tandis que celui-ci renforce son arsenal répressif, dans les entreprises, à petite échelle, « la paix sociale » se construit de la même manière.

Un scandale récent chez AAA (Assistance Aéronautique et Aérospatiale) nous montrait comment la collusion d’intérêts existants, entre les syndicats majoritaires et la direction, avait permis au patron de licencier 567 salariés avec l’appui de la CFE-CGC et de FO. Dans les entreprises, au lieu de préparer les travailleurs à la grève, à s’unir et s’organiser démocratiquement au-delà des étiquettes syndicales, ces « représentants des salariés » devenus représentants du patron et simples bureaucrates syndicaux expliquent que les suppressions d’emploi sont inévitables et qu’il faut négocier le moindre mal.

Suite à la publication du scandale chez le sous-traitant aéronautique AAA, nous avons reçu de nombreux messages témoignant de cette réalité. Parmi eux, le cas de Dassault-Aviation : un cas d’école qui mélange répression syndicale systématique, collusion d’intérêts entre syndicats et direction et enfin formation managériale pour « neutraliser les irritants sociaux ». Voilà l’outillage pour faire régner la volonté d’une poignée d’actionnaires sur la majorité des salariés et maintenir « la paix sociale ».

« Neutraliser les irritants sociaux actuels mais aussi potentiels »

Les pratiques de Dassault-Aviation s’inscrivent dans la droite ligne de la stratégie patronale de « contention de la conflictualité » mise en place dans le secteur aéronautique à partir des années 1969. Cette politique a été initiée par Maurice Papon, placé à cette époque à la tête de Sud Aviation (ancêtre d’Airbus), en lien avec les Renseignements Généraux forts de leur expérience contre les militants du FLN en Algérie. Il a fait de l’usine de Marignane un véritable laboratoire, en détruisant la CGT et les militants combatifs en quelques années, par le harcèlement moral ou la mise au placard, entre autres.

Chez Dassault-Aviation, au travers la « Formation Institut Dassault – Dassault Team Manager », c’est la société Cardinal Sud qui se charge de transmettre ce savoir-faire répressif. Comme l’explique la CGT Dassault : « Pour en savoir plus et compte tenu du fait qu’aucun des élus de la CGT n’a eu droit à cette formation nous sommes allés regarder du côté de la société qui dispense ces formations. Dans l’approche de cette société, les syndicalistes sont alors identifiés comme des potentiels « irritants sociaux » : "Nous identifions vos principaux irritants sociaux et leurs poids réels dans la détérioration du climat social". Ces irritants sociaux sont susceptibles de déclencher des grèves et dans ce cas cette société fournit alors un « criz-kit » qu’il s’agit de mettre en place pour remettre rapidement les salariés au travail. De même, la mise en place de leur méthode permet "d’anticiper les freins au changement et de neutraliser en amont les irritants actuels et potentiels" ».

« Cette idéologie anti-CGT, hors de toute réalité, fut répétée depuis des dizaines d’années, par notre ancien PDG et notre actionnaire majoritaire, Serge Dassault. M. Dassault estimait devant le Sénat que les "délégués syndicaux n’ont rien à faire entre le patron et le salarié" et il qualifiera l’arrivée des syndicats dans les entreprises véritable "boîte de Pandore". Pour finir il dira que la "CGT doit être mise hors d’état de nuire" et que les syndiqués de la CGT sont des "abrutis" et des "terroristes"  ».

Cette politique bien huilée, où se rejoignent le gouvernement, le patronat et la direction générale, n’a pour objectif que de « limiter au maximum la force de la contestation salariale dans l’éternel conflit entre salaires et profits, comme le disait M. Dassault  ».

Intimidations, mépris, sanctions injustifiées, humiliations, insultes, mensonges, menaces de licenciement, propositions de reclassements inadaptées, absence quasi totale d’entretiens individuels : l’entreprise Dassault-Aviation a déjà été condamnée pour discrimination syndicale à l’encontre de dizaines de militants de la CGT en 1998, 2004, 2009, 2012, 2014 et 2016. Aujourd’hui encore, 83 militants de la CGT sont engagés dans des procédures pour discrimination syndicale. Rien qu’à l’établissement de Mérignac, 34 militants retraités sont même en train de monter une procédure au pénal contre le PDG du groupe. Ce 10 février, des salariés et des soutiens se sont encore donné rendez-vous à 13h devant le Conseil de Prud’hommes de Paris pour soutenir 40 militants forcés d’aller en justice pour faire cesser cette répression.

Comme nous l’expliquait l’un des salariés de l’entreprise, « ils veulent détruire la CGT parce que on ne veut pas participer au grand théâtre du dialogue social. Dassault est seulement gentil avec les "représentants des salariés" qui vont dans le sens des intérêts de la direction ».

« On fait peur, ensuite on discute » : la bureaucratie syndicale marche au pas de la carotte et du bâton

Pour la direction, la répression et l’intimidation ne suffisent pas : il faut s’entourer d’un corps de délégués syndicaux qui soient les relais et les porte-paroles de la direction parmi les salariés et qui remplacent, dans leur méthode d’action, la grève et l’organisation démocratique des salariés par les négociations. « Les représentants de la CGC et de la CFDT de Dassault-Aviation ont pris pour habitude de « négocier » en multipliant les commissions de suivi, les réunions, les courriers, etc. Tout ça afin, selon nous, de justifier auprès des salariés l’existence de négociations objectives (ce que nous n’avons de cesse de contester), pour au final signer triomphalement la quasi-totalité des accords qui leurs sont proposés, quitte à supprimer des dizaines de milliers de jours de congés à l’ensemble des salariés »

Cette stratégie syndicale, résumée par « négociation-compromis-signature », qui vise a désarmer les salariés, a été bien évidement saluée par le patronat et le gouvernement dans les cas récent de Bridgestone ou de Daher. Sans surprise, Serge Dassault, actionnaire majoritaire du groupe, a aussi approuvé et encouragé ces méthodes à d’autres occasions. « En effet, Serge Dassault, au travers de son organe de presse (le Figaro) salue le « courage », le « réformisme » et surtout la « modération » de cette méthode. Le Medef et la CFDT iront même jusqu’à signer une déclaration commune appelant alors aux mêmes injonctions libérales de « performance économique » et de « compétitivité ». Des principes qui justifient évidemment toutes sortes d’attaques à l’emploi et qui subordonnent les intérêts des salariés à ceux du patronat.

Cette politique syndicale, taillée pour la direction, trouve ses assises dans le rapprochement (par des méthodes légales ou illégales) d’une partie des salariés au niveau de vie et aux intérêts du patronat. « Depuis sa création en 1976, la CGC de Dassault-Aviation est « tenue », ou plutôt bridée, par des chefs d’unités qui se sont syndiqués à la CGC de Dassault-Aviation et qui se gardent bien de créer un rapport de force avec la direction, puisqu’eux-mêmes en font partie. Pour n’en citer qu’un seul, on peut nommer M. Lherm, qui est maintenant Directeur général et membre du comité de direction de Dassault-Aviation. À la CGC, la confusion est totale entre représentant du personnel et représentant de la Direction Générale » En effet, en élevant le niveau de vie de certains syndicalistes et en les séparant ainsi des intérêts du reste des travailleurs, la direction réussit avec ces magouilles à ce que certains « représentants des salariés » deviennent des bureaucrates et des « représentants des actionnaires ». Sans aucune honte, Pierre Lacombe, syndiqué CGC, avait expliqué au Journaldunet que les « cadres supérieurs syndiqués ont eu de très belles carrières »

Face au piège du dialogue social, faire vivre la méthode des raffineurs de Grandpuits !

Comme nous l’expliquait l’un des salariés de Dassault-Aviation : « Toutes ces pratiques de la direction prouvent qu’ils savent que la seule force qui peut s’opposer à ses plans, ce sont les salariés en grève ». « En effet, au début des NAO 2020, les représentants de la Direction Générales nous ont affirmés que "les augmentations exceptionnelles de salaire de l’année dernière sont dues au climat social tendu au niveau national", c’est-à-dire au mouvement des Gilets jaunes. Mouvement intégralement extérieur à la salle de réunion de Saint-Cloud. »

En effet, cet état de choses imposé par le gouvernement, le patronat et accompagné par les directions syndicales, n’est pas immuable mais plutôt précaire. Une démonstration de radicalité, telle que celle portée par le mouvement des Gilets jaunes, ou l’émergence d’un conflit porteur d’une stratégie de lutte intransigeante peut changer l’équilibre de l’état des choses actuel. Cette crainte, du coté du gouvernement, explique par exemple le blackout médiatique autour de la grève des raffineurs des Grandpuits : une grève qui rompt avec la politique du « dialogue social » et qui peut inspirer les travailleurs qui se trouvent aujourd’hui sous le coup de la vague de licenciements, par laquelle le patronat cherche à leur faire payer la crise.

Comme l’expliquait un salarié de l’aéronautique à propos de Grandpuits : « La combativité des travailleuses et des travailleurs est exemplaire. Ils refusent de rentrer dans le piège du dialogue social et luttent par la grève pour imposer 0 suppression d’emploi. La grève est organisée par les grévistes eux-mêmes, démocratiquement, avec des assemblées générales où chaque ouvrier, syndiqué ou non, peut donner son avis et voter. Les équipes syndicales, au lieu d’être divisées doivent exposer leur avis à l’assemblée et se mettre au service des décisions majoritaires. Cette unité face au patronat, et la possibilité d’impliquer tous les salariés dans la lutte, est essentielle pour défendre et imposer nos intérêts. La volonté des grévistes de Grandpuits pour faire front avec des organisations écologistes et pour se coordonner avec d’autres secteurs en lutte afin de sortir de la frontière de l’usine pour amplifier le rapport de forces est aussi exemplaire. Son expérience de combat est très riche en leçons, et montre la voie à suivre pour défendre nos emplois et assurer un avenir aux jeunes, s’ils gagnent on gagne tous ! ».


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