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Vos profits, nos mortes

« Schiappa a du sang sur les mains ». Interview de militantes des Collages féministes

Nous avons interviewé deux militantes du groupe qui effectue des collages féministes à Paris. Elles nous parlent de ces femmes qui sont en première ligne : infirmières, aides-soignantes, caissières... mais aussi de celles qui, confinées, subissent des violences au sein de leur foyer.

Cléo Rivierre

18 avril 2020

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 Crédits photo : Facebook Collages Collages Féminicides Paris / @justphotolife 

Nous avons interviewé Karma et Camille, deux militantes du groupe qui effectue des collages féministes à Paris, pour en savoir plus sur la situation des femmes en cette période d’épidémie. Karma est une militante du collectif Collages féministes Paris. Elle précise qu’elle est une militante parmi d’autres, qu’elle n’est pas pas porte-parole et que le mouvement tient à maintenir une structure horizontale. Camille fait elle aussi partie des personnes qui collent à Paris et ce depuis le début de ce mouvement de collages féministes.

Révolution permanente : Dans cette période marquée par la pandémie du coronavirus, comment les femmes sont elles spécifiquement affectées par la situation ?
Karma : Les métiers dits de « première ligne » sont majoritairement occupés par femmes : les aides soignantes, les infirmières sont en majorité des femmes. Chez les médecins, la parité commence à s’appliquer. Les hôtesses de caisse, les femmes de ménage et aides ménagères sont majoritairement des femmes. Par conséquent, les femmes sont plus à risque d’être contaminées. Elles prouvent leur bravoure chaque jour.

Pour celles qui restent à la maison, et notre secrétaire d’État commence à s’en inquiéter publiquement, la charge mentale des femmes à domicile est énorme. Les femmes avec enfants disent elles-mêmes se retrouver avec une charge mentale débordante. Elles télétravaillent et doivent en plus s’occuper de la maison, des courses, de l’hygiène, des enfants et des tâches scolaires. Beaucoup de femmes témoignent du fait que c’est trop, c’est impossible à gérer.

De plus, l’enfermement favorise les violences intra-familiales. La plupart des violences se passent à l’intérieur du domicile, à l’abri des regards. Beaucoup de femmes sont en danger.

RP : Dans le collage virtuel que vous avez fait suite à la mort d’Aïcha, caissière au Carrefour de Saint-Denis, vous avez écrit : "vos profits, nos mortes". Est-ce que vous pouvez revenir sur ce mot d’ordre, ce qu’il signifie ? Avec le Collectif Du Pain et Des Roses, c’est aussi un slogan que nous voulons porter dans la période.
Karma : Macron a fait un mea culpa dans son discours du 13 avril, certes attendu mais qui reste un brillant coup de com’. On se rend compte que les personnes qui font tourner le pays sont les moins bien considérées, et sont pour la grande majorité des femmes. On voit bien que les personnes qui nettoient les surfaces où on va faire nos courses sont des femmes ; celles qui travaillent en caisse sont des femmes ; celles qui achalandent les rayons sont des femmes aussi. Ces gens sont très mal considérés. Parmi ces femmes, beaucoup sont en tiers-temps ou mi temps, ou alors ont des emplois du temps où leur journée est scindée en deux, elles commencent très tôt le matin, ont une grande pause et finissent très tard le soir. C’est le sens du slogan « Vos profits, nos mortes ». Au début de l’épidémie, il n’y avait pas de mesures de sécurité pour protéger les personnes les plus vulnérables, en caisse, à La Poste, partout. Ces mesures de sécurité sanitaire sont arrivées beaucoup trop tard.

RP : Le slogan « Vos profits, nos mortes » permet d’évoquer à la fois la casse de l’hôpital, la précarisation des salariées, etc., et en même temps que le confinement exacerbe le fait que les femmes victimes de violences sont abandonnées à leur sort, avec pour seule réponse un numéro vert, et ni réquisition d’hôtels ni réelles mesures pour les femmes isolées. Qu’est-ce que vous pensez de l’action, ou de l’inaction, du gouvernement par rapport à ces différents problèmes que vous pointez ?
Camille : Avec le confinement, on voit d’autant plus l’inaction du gouvernement et le fait le Grenelle était un acte de communication pour ne pas agir. On a communiqué à tort et à travers sur le 3919, qui est tenu par des associations et qui agit dans la mesure de ses capacités. Au moment du confinement, ce numéro ne fonctionne pas 24h/24, contrairement aux promesses du gouvernement. Les premiers jours, le numéro a même cessé de fonctionner.

Pendant ce temps, le gouvernement maintenait les municipales et Marlène Schiappa était même candidate sur une liste dans la mairie du 14e. Plutôt que de préparer le confinement, de remplir sa tâche et de protéger les victimes de violences conjugales, Marlène Schiappa était en campagne pour son petit pouvoir personnel – soi-disant pour être « en contact avec la population ». Quand on dit que les politiques sont une élite déconnectée de la population, c’est illustré par cette manière de faire, en faisant des violences faites aux femmes un sujet second, quelque chose qu’on peut mettre en pause pour faire campagne. Sans rentrer dans le débat sur le cumul des mandats, cela pose des problèmes sur l’importance qu’on donne à la lutte contre les violences faites aux femmes quand la ministre affiche qu’elle peut se permettre de faire campagne à côté. Il s’agit pour nous d’une grave erreur et Marlène Schiappa a du sang sur les mains, car elle n’a pas préparé le confinement. Pour se justifier, elle finit par nous expliquer que le 3919, un numéro d’appel, ce n’est pas non plus la solution miracle – alors qu’on nous l’a vendu comme ça pendant trois mois.

De plus, on nous dit que s’il y a vraiment une urgence, il faut appeler le 17, la police, où les femmes se prennent toujours les mêmes réponses. Par exemple, en ces temps de confinement, on leur dit que leur conjoint violent n’aura nulle part où aller et cela justifie de ne rien faire. Rien n’est fait, les associations ne sont pas écoutées. On voit pourtant dans cette période de crise sanitaire que les budgets, c’est une question de volonté politique.

Karma : Le 3919, il faut savoir que ça a été le grand résultat mis en avant par le Grenelle des violences faites aux femmes, un numéro qui était censé être ouvert 24h/24, soirs et weekends, etc. C’était le seul élément qui était ressorti du Grenelle : un numéro de téléphone. Et finalement, on s’est rendu compte au début du confinement que ce numéro n’était plus effectif. Si les associations et mouvements féministes n’avaient pas gueulé, le numéro serait resté lettre morte encore plus longtemps. La considération envers les femmes a aussi été bafouée du côté des accouchements : il a fallu que les différents mouvements féministes comme le nôtre dénoncent le fait que les femmes soient obligées d’accoucher seules à l’hôpital pour que finalement les hôpitaux mettent en place des mesures pour que les futures mères puissent être accompagnées – évidemment, en respectant des mesures sanitaires strictes. Pareil pour les IVG, il a fallu que les mouvements féministes s’en mêlent pour que la pilule abortive soit autorisée deux semaines de plus à domicile.

RP : Vous avez décidé de mettre en place des « collages virtuels » pour continuer à dénoncer les violences faites aux femmes et vous recevez aussi des collages faits par des femmes qui témoignent des violences qu’elles ont subies, est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
Camille : On a mis en place trois modes d’actions : premièrement, la mise à disposition des PDF pour celles qui souhaitent imprimer et accrocher un collage à leur fenêtre ; deuxièmement, les collages virtuels, et troisièmement, les témoignages. Le gouvernement a décidé de lancer un numéro d’appel pour les conjoints violents, financé par le budget pour lutter contre les violences faites aux femmes. Face à cette mesure, qui en plus d’être profondément inefficace et bête, retire de l’argent aux femmes victimes de violences alors que les associations manquent déjà de budget, on a décidé de recueillir et diffuser ces témoignages.

Ces témoignages ont pour vocation de montrer la psychologie des agresseurs. Un numéro d’appel sera totalement vain car si il y a quelques hommes qui reconnaissent leurs torts et veulent s’en sortir, dans la plupart des cas, il y a un aspect de manipulation de la victime dans la psychologie des conjoints violents, qui fait que ce numéro est totalement inutile. Au-delà de ça, un numéro vert ce n’est absolument pas suffisant pour un accompagnement psychologique des conjoints violents. Sans cet accompagnement, il n’y aura pas d’évolution. Cela étant dit, la priorité c’est de mettre les femmes en sécurité. Une fois qu’on a mis la femme et les éventuels enfants victimes de violence en sécurité, il faut en effet un travail d’accompagnement psychologique du conjoint violent, mais un numéro vert ne saurait en aucun cas être suffisant pour accompagnement de fond.

Les témoignages que nous diffusons montrent que les conjoints et la société entière renvoient les femmes au silence. On ne nous croit pas, on refuse de voir la vérité en face. Le travail qu’on fait avec les collages, c’est pour montrer que la peur et la honte doivent changer de camp. Marlène Schiappa fait des hommes violents des sauveteurs de leur famille si ils appellent le numéro, même si ils ont des envies de meurtre, même si ils le font après avoir tabassé leur femme et leurs enfants ! On ne devrait pas être dans un discours de dédramatisation alors qu’une femme est assassinée tous les deux jours.

RP : Est-ce qu’il y a d’autres revendications que vous voulez mettre en avant dans la période ?
Karma : Quand il ya des réunions à l’Élysée, des réunions de conseil sanitaire, on voit bien sur les belles photos de tour de table, qu’il y a très peu de femmes. Il y a des gens qui réfléchissent au « monde d’après » et ce sont majoritairement des hommes. Et même quand quelques femmes sont présentes, elles restent les grandes absentes du « monde d’après » dans les réfléxions. Par exemple, les femmes sont les grandes oubliées de la réforme des retraites. Avec la crise, je suis très inquiète de la situation économique des femmes après le confinement. Sans vigilance, ça peut être de pire en pire. Déjà qu’on est pas favorisées à l’embauche, comment ça va être dans le monde de demain où les embauches risquent d’être encore plus rares ?

Camille : Les femmes sont en première ligne et elles ne sont pas protégées. Bien sûr, il y a aussi des hommes sur le terrain, par exemple il y a des métiers à majorité masculine comme les éboueurs. La société ne peut pas fonctionner sans nous, on est essentielles. On exige beaucoup de choses de nous, mais le peu qu’on exige de l’État – ne pas mourir sous les coups de nos conjoints – ce n’est pas respecté. L’oppression des femmes est très ancrée et profonde, ce système est à détruire. J’espère que cette pandémie permettra de voir le monde avec un nouveau regard pour dénoncer et faire disparaître ces discriminations.


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