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jeunesse sous contrôle

"Scout toujours, prêt ?" Au service du conservatisme républicain, assurément !

En France, le mouvement des scouts et des guides est très divers et complexe : beaucoup d’associations cohabitent, certaines plus traditionnelles que d’autres, certaines soutenues par l’Etat et reconnue « d’utilité publique ». Certains scouts sont laïques, d’autres chrétiens, juifs, musulmans, bouddhiste… Quelques associations prédominent cependant, avec comme principale association les Scouts et Guides de France (SGdF), qui regroupe actuellement près de 75 000 membres. Si l’association s’affiche comme « progressiste » (participant à la Marche des fiertés, promouvant la mixité, cherchant à s’adresser aux classes populaires des « quartiers), et qu’elle est surement moins réactionnaire que les divers Scouts Unitaires de France et Scouts d’Europe qui ont plus penché pour l’option Manif pour tous, les SGdF restent cependant une institution particulièrement intégrée au projet républicain, tombant par là dans les mêmes contradictions que l’Education nationale par exemple.

Arthur Fontane

9 septembre 2016

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« Aider chacun à devenir des citoyens utiles, actifs, heureux et artisans de paix » ?

C’est le but que se donne le mouvement des scouts et guides de France. Dans l’esprit de la pédagogie scoute, face à un monde violent, un monde en guerre et injuste, aider les enfants et adolescents à devenir des citoyens artisans de paix devient le leitmotiv d’un projet pédagogique particulièrement proche de l’école républicaine. Matériellement, il n’est ainsi pas rare de voir des activités cherchant à promouvoir les activités « citoyennes » avec comme alpha et oméga le vote comme outil pour changer le monde. Les jeunes peuvent voter pour les projets qu’ils vont mener dans l’année, pour ce qu’il vont faire en camp, pour une charte de vie. Sans jamais subvertir le cadre, le jeune apprend ainsi à devenir un citoyen docile attendant les échéances électorales pour changer le monde. Ces activités « citoyennes », qui peuvent prendre forme dans projets artistiques, d’insertion, d’aide sociale, sont censées être ce ciment social pacificateur, ciment qui doit pouvoir lier tous les citoyens et citoyennes, laissant penser qu’une telle situation de paix pourrait être possible dans une société de classes.

Le dit-citoyen ainsi formé apprend à débattre et à accepter les positions des autres ; il apprend à structurer sa pensée dans l’idée que deux idées contradictoires peuvent cohabiter : dans les temps spirituels, les jeunes peuvent débattre et donner leur avis suivant, avec souvent l’idée que « l’idée de chacun est juste, parce que c’est son avis ». Loin de chercher à comprendre la réalité matérielle des choses, les scouts puisent ainsi leur morale dans quelque chose d’indépendant de cette réalité, situé au dessus de cette société, dans une morale absolue déduite des canons de l’Eglise et/ou de la « nature humaine ». Un artisan de paix devrait alors naître, qui doit cohabiter gentiment avec son autre. Cet autre, c’est celui qui a une autre religion, une autre couleur de peau ; en somme, des divisions factices de l’humanité. De cette manière, jamais ne sont abordés quels sont les réels antagonismes sociaux qui structurent la société, un silence nécessaire à créer cette « paix », véritable « paix sociale » qui maintient la masse des opprimés dans des rapports de domination à défaire.

Structurer la morale : tel est peut être l’aspect le plus conservateur du projet éducatif. Car cette morale, vise en dernière instance à soutenir une société dont les objectifs ne sont pas ceux de la majorité. Si cette morale est celle d’une minorité, elle n’en demeure pas moins officielle et les SGdF participent à la construction d’une éthique de vie, d’un ethos conservateur. Cela s’incarne dans un vocabulaire particulier : si on fait de la musique, si on fait du sport, on est scout ou guide ; c’est bien dans cet état que s’exprime le conservatisme que nous combattons.

Aider à être heureux, vraiment ?

On peut aussi questionner la façon dont les SGdF comptent aider les jeunes à devenir « heureux ». Si cet objectif peut en effet être assez flou, la réalité des activités de scoutismes peut être à de nombreux niveaux oppressantes, loin de l’objectif d’être heureux. Alors que l’institution aime à se décrire comme un lieu où l’on « transmet » ses compétences, ses savoirs, cette transmission est aussi exacerbée dans tous les comportements oppressants, discriminants. Matériellement, l’encadrement des jeunes par des chefs de 17 à 22 ans, peu formés sur ces questions, amène à reproduire des comportements autoritaires issus de leur propre éducation et reproduire ainsi une éducation fondée sur la violence. Ainsi, dans les formations BAFA des chefs (tous ne l’ont pas), la réflexion sur ce qu’est la violence et quelles sont les formes qu’elle peut prendre laisse à désirer : sur les questions de violences machistes comme sur les violences raciales, les activités de scoutismes sur surtout des moments de reproduction de ces attitudes oppressantes. Au delà de cela, la formation des « chefs » se fonde essentiellement sur la nécessité d’avoir « autorité » sur le jeune : loin de proposer une éducation émancipée où l’apprentissage se fonde sur la compréhension du monde, et donc sur la compréhension commune de ce qu’il faut faire dans la vie de tous les jours par exemple, l’autorité est plus souvent utilisée pour gérer la vie quotidienne.

A partir du moment où les encadrants reproduisent des comportements violents, il n’est pas étonnant de voir les enfants faire de même. Le scoutisme peut en effet être un cadre extrêmement difficile à vivre pour certains enfants, qui peuvent être forcés (cela reste une minorité, mais non négligeable chez les plus jeunes) à venir par leurs parents, qui estiment que les scouts sont un bon moyen éducatif pour transmettre leurs « valeurs » conservatrice. Il n’est ainsi pas rare de voir les jeunes adopter collectivement des attitudes de mise à l’écart d’un des leurs, ou de désigner des boucs-émissaires. De telles réalités, qui ne sont parfois pas vues par les chefs, peuvent ainsi devenir, pour quelques jeunes, un cadre oppressant.

« Ce que vous avez fait en devenant scout, d’autres doivent le faire en devant tout simplement citoyen » : l’engagement comme enfermement moral

On pourrait attribuer la citation ci-dessus au fondateur du mouvement scout, Robert Baden Powell, qui se targuait d’avoir inventé la méthode scoute durant la bataille de Mafeking, où il a « fièrement » fait triompher l’impérialisme anglais dans la guerre contre les Boers en intégrant des jeunes de 9 à 15 ans à son appareil militaire. Cependant, cette phrase provient plus simplement du président de la République François Hollande, qu’il a prononcé à l’occasion d’un rassemblement international scout, un « jamboree », cet été à Paris.

En effet, l’Etat, qui reconnaît l’association des SGdF comme étant « d’utilité publique » depuis 50 ans, voit bien en quoi le scoutisme peut être une source de renforcement de l’idéal républicain. Cet idéal, qui tente d’invisibiliser les oppositions entre les classes sociales en créant une Nation, est au cœur du rôle structurel du scoutisme : « [dans un contexte de menace terroriste] il y a ici des jeunes qui viennent porter des valeurs de fraternité, qui viennent partager une solidarité, qui viennent démontrer qu’il est possible de vivre ensemble, qui veulent s’engager pour les autres. […] Ce que vous apportez par votre engagement, c’est la meilleure réponse : vous avez des jeunes qui peuvent être catholiques, protestants, juifs, protestants, et pour beaucoup laïcs, qui partagent les mêmes valeurs même s’ils ne partagent pas les mêmes croyances ou les mêmes dieux » expliquait ainsi le président de la République, qui retranscrit très bien ici les idéaux du mouvement. Ces mêmes valeurs, ce sont celles dont nous parlions plus haut : une morale conservatrice qui tente de nous faire croire qu’un vivre ensemble est possible entre le technicien de surface qui gagne moins que le SMIC et son patron qui, main dans la main avec le gouvernement, cherche à précariser son emploi. Bien qu’affirmant ces valeurs, les groupes scouts se heurtent bien à ces contradictions : rares sont les groupes réellement hétérogènes en termes d’origines sociales, chaque groupe se contentant de reproduire un milieu assez homogène vite excluant pour celui dont la culture est trop éloignée : on finit vite par dire qu’il « n’a pas l’esprit scout ».

Le président de la République, très applaudi par son auditoire et par les cadres du mouvement, continuait ainsi son discours : « il ne peut pas avoir de monde en paix, de solidarité réelle, de lutte contre les injustices s’il n’y a pas un engagement. Ce que vous avez fait en devenant scout, d’autre doivent le faire tout simplement en étant pleinement citoyen. Et c’est ce que nous avons voulu faire en France à travers le service civique. […] C’est consacrer plusieurs mois de sa vie pour accomplir une mission utile à soi-même et aux autres. » Nos lecteurs noterons bien la volonté de notre président à faire la paix (en bombardant la Syrie et envahissant l’Afrique), à organiser la solidarité réelle (en précarisant et éclatant les processus de production) et à lutter contre les injustices. Cela n’est pas qu’une hypocrisie du système incarné par la voix d’Hollande, il s’agit bien là des contradictions dans lesquelles s’enferment cette jeunesse à « l’avant-garde » de la République, « citoyenne et engagée ». Parce que dans les scouts, comme dans le service civique, qui s’en rapproche, les Scouts et Guides de France ne font in fine que construire « le monde » de la loi travaille contre lequel nous luttons et contre lequel nous continuerons de lutter.


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