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Toujours plus massive, toujours plus aveugle

Seb, Brahim, Gaël, Bruno, Olivier...flambée de répression à La Poste ! Interview.

Sébastien Baroux est facteur (chauffeur) dans le 15e arrondissement de Paris. C'est aussi un militant reconnu sur son bureau, animateur d'une section locale Sud PTT combative. Mardi dernier, il était convoqué en entretien disciplinaire, une énième fois. A travers lui comme à travers une série d'autres militantes et militants de terrain aujourd'hui ciblés par la répression, ce sont les collectifs de postiers qui résistent aux réorganisations à répétition, les noyaux de solidarité et de lutte, qui sont attaqués. Nous l'avons rencontré pour un retour sur ce harcèlement disciplinaire, ses cibles, ses motifs toujours plus délirants, et sa fonction au sein d'une entreprise où l'offensive est permanente contre les salariés. Propos recueillis par Loïc Guillaume

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Est-ce que tu peux nous raconter ce qui se passe avec la répression dont tu es à nouveau la cible ?

Depuis plusieurs années, la direction de La Poste cherche à reprendre le contrôle sur l’activité syndicale au sein de la boîte. Pour cela, elle met une énorme pression disciplinaire pour limiter le droit à la parole des militants syndicaux, pour nous empêcher de faire cette chose élémentaire qui consiste à parler aux collègues. Les « prises de parole », c’est une tradition à La Poste, un moment où l’on peut, à la prise de service, avoir une sorte de petite assemblée d’information, un échange entre nous quand on est encore regroupé sur le bureau, avant de partir en tournée. En 2005, la direction a décidé d’interdire cette pratique pour affaiblir les liens entre postiers et diminuer nos capacités de résistance. La particularité de Paris 15 c’est qu’on ne s’est pas plié, on a maintenu les prises de parole, car on estime que le patron a de son côté tous les moyens de communication du monde et qu’il faut bien qu’on garde le nôtre.

C’est donc pour t’être adressé aux collègues comme militant syndical que tu es réprimé ?

Oui, ça a l’air étonnant mais c’est bien ça. Et ce n’est pas la première fois, depuis quatre ans que j’ai réintégré le bureau j’ai déjà reçu plein de blâmes pour cette même raison. La nouveauté c’est que la nouvelle directrice, qui est arrivée après nos 51 jours de grève de mai et juin 2014, est dans la logique de mettre au pas notre bureau, de le « normaliser », c’est à dire pour être clair de casser le collectif qui s’est mis en place.

« Normaliser Paris 15 »...Comment cela se concrétise sur le terrain ?

On le voit au quotidien avec les attaques sur nos conditions locales de travail. Et sur le plan de la répression, je ne suis pas le premier, puisqu’en juillet dernier elle s’en était prise à mon collègue Éric de la CGT Paris 15, lui aussi militant de terrain ici. Il était menacé de 6 mois de mise à pied (et donc de perte de salaire) après la provocation d’un chef contre lui, à laquelle il n’avait pas sur-réagi par ailleurs, du délire ! La mobilisation qui s’est développée sur le bureau en solidarité avec lui a permis de ramener cette peine à un mois, une victoire même si c’est clairement un mois de trop.

Pour quelle prise de parole est-ce que tu es attaqué cette fois ?

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C’était fin novembre dernier, quand les collègues du bureau de Neuilly, qui étaient déjà en grève depuis un petit mois et le sont toujours, sont venus nous voir sur le bureau. Ils se battent contre huit suppressions de poste et une augmentation de la charge de travail, c’est à dire exactement les mêmes difficultés que celles auxquelles on est nous-mêmes confrontés. J’ai donc appelé à se solidariser de leur lutte et à participer à la collecte pour leur caisse de grève, et les collègues se sont largement sentis concernés puisque 450 euros ont été récoltés en moins d’une heure ! Ensuite, on a sorti un tract pour relayer leur combat. Et dans le même temps, on avait une actualité sur le bureau avec l’affaire des plis électoraux pour les régionales, que la direction a décidé de ne plus nous faire distribuer gratuitement cette année ! On avait déjà posé un préavis là-dessus quand on a reçu la visite des grévistes du 92, et leur venue nous a permis d’apprendre que grâce à une lutte menée dans les derniers temps, eux sont payés pour ces enveloppes supplémentaires liées aux élections.

Est-ce que tu sais ce que tu risques maintenant comme sanction ?

C’est difficile à savoir précisément, mais ce qui est sûr c’est que la nouvelle direction m’a bien fait comprendre que ça irait au-delà du blâme cette fois, c’est-à-dire que j’aurais de la mise à pied. Je vais perdre des mois de salaire pour avoir assuré un aspect essentiel de ce que veut dire militer dans le monde du travail : causer aux collègues, créer la solidarité avec les luttes qui se mènent. Une chose à noter aussi, c’est que le statut des fonctionnaires est horrible pour les questions disciplinaires, car contrairement aux autres contrats il n’y a aucun délai de prescription, ni interdiction pour l’employeur de réattaquer sur une chose pour laquelle il a déjà perdu. Tout peut donc arriver, je peux me retrouver avec x griefs sur x années. Et en espérant que la sanction n’aille pas plus loin que ça, car si on y pense, c’est pour le même genre de motif que Yann Le Merer, facteur lui aussi, a été révoqué il y a un an, première mesure du genre depuis 1953 !

La répression est en train de se multiplier au-delà de Paris 15 ?

Oui, c’est clairement pas un truc propre au bureau. On fait face à une vraie offensive, avec des sanctions de plus en plus lourdes, et des motifs de plus en plus aberrants. Pour donner quelques exemples en Ile de France, les collègues du 92 sont à nouveau attaqués, toujours sans motif sérieux, simplement pour leur résistance. Gaël Quirante, responsable SUD PTT du département, est en mise à pied pour deux mois, et vient d’être reconvoqué pour trois mois supplémentaires. La raison ? Des « intrusions » dans les bureaux du département, c’est-à-dire son travail de permanent syndical combatif pour informer et coordonner les luttes. Et avec lui, Brahim Ibrahimi, un autre militant reconnu du département, vient d’être appelé pour un entretien le 19 janvier ! Sans compter encore Olivier Rosay, de SUD postaux Paris, qui est dans une situation hallucinante puisque la boite, qui voulait lui mettre deux mois de mise à pied, a perdu devant la commission administrative paritaire, mais applique quand même la sanction sous forme de mise à pied conservatoire (avec salaire). C’est un acharnement qui dure depuis des années.

Et le tour d’horizon ne s’arrête pas là. Depuis quelques semaines, on est face à un cas qui ferait rire si ce n’était pas sérieux. Bruno Bernardin, un collègue du bureau Europe PPDC, dans le 8e arrondissement, est menacé carrément de licenciement pour des motifs aussi incroyables les uns que les autres. D’abord, on l’accuse de non port de la ceinture de sécurité, ce qui est non seulement dérisoire mais en plus permis pas notre convention collective, et même précisé dans le code de la route ! La direction ferait mieux de se renseigner sur notre métier à ce niveau-là. Ensuite, on lui dit qu’il est parti 10 minutes en retard en tournée... un jour où il était en entretien avec la responsable des ressources humaines, entretien qui a duré plus longtemps que prévu bien malgré lui. Et ça continue comme ça. Du délire pur.

Tout ça est très ciblé visiblement...

Oui, ce sont clairement les militantes et militants combatifs qui sont ciblés, dans un contexte où la colère est là, et où souvent il suffit de peu de choses, d’informer, de discuter, de mettre en lien, pour que ça pète. Mais attention, il faut avoir aussi en tête que les procédures disciplinaires qui nous visent ne sont en quelques sortes que la partie émergée de l’iceberg. Car à La Poste, les salariés sont la cible de centaines, ou plutôt de milliers de procédures en permanence. On en entend des échos, mais cette répression contre les collègues est souvent invisible du fait de la faiblesse du maillage militant, et de l’isolement des facteurs. Quelques fois c’est médiatisé, et ça fait scandale, comme cette affaire des 3 collègues du Var licenciés pour s’être filmés en train de danser devant une voiture de la boîte, comme si c’était un délit de se détendre. Des collègues avec 15 ans de boite ! Mais le plus souvent, La Poste s’arrange pour que ça ne fasse pas de bruit. Le phénomène est si massif que l’on peut affirmer que ces procédures à la pelle sont prévues et quantifiées consciemment pour accompagner les réductions de postes voulues par la direction. Plus de 80 000 emplois supprimés en 10 ans, c’est beaucoup, donc ils utilisent tous les moyens possibles.


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