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5 leçons à tirer de la grève des Arc en Ciel

Sous-traitance à l’université : pourquoi soutenir la grève des travailleurs du nettoyage de Tolbiac ?

Utilisation massive de la sous-traitance, salariés ultra précaire surexploités (en grande majorité issus de l’immigration), etc. : en grève depuis le 7 novembre les travailleurs d’Arc en Ciel de Tolbiac mettent sous le feu des projecteurs les misères de l’université publique. Leur combat nous pose une question essentielle. A savoir : quelle université nous voulons ?

Augustin Tagèl

24 novembre 2022

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En plus de deux semaines de grève, les travailleurs et les travailleuses du nettoyage de Tolbiac ont eu le temps de raconter leurs conditions de travail, leurs souffrances, leur vie de « petite main invisible » passée à entretenir, dans l’ombre, l’un des centres de la « prestigieuse » université Paris 1 Panthéon Sorbonne. En grève depuis le 7 novembre, ils se battent pour la réintégration de leur cheffe d’équipe, pour de meilleures conditions de travail et pour la dignité.

Pour l’heure, la société sous-traitante Arc en Ciel, mise sur le pourrissement du conflit et la précarité des grévistes, choisissant délibérément de les ignorer en refusant par exemple de se présenter à la réunion de négociation du 9 novembre dernier. De son côté, la présidence de Paris 1 a fait tout ce qu’elle a pu pour tenter d’invisibiliser au maximum leur lutte. Volonté de faire sortir le piquet de grève du hall de Tolbiac, interdiction de tracter leurs revendications aux étudiants et professeurs, pression sur les personnels affichant leur soutien aux grévistes : rien ne leur a été épargné. L’autoproclamée « université sensible aux questions sociales » se dresse en réalité aux côtés d’Arc en Ciel, pour tenter de faire taire les exploités.

Son unique proposition aux grévistes, lors d’une réunion à Tolbiac avec ces derniers a été de mettre sur la table la rupture du contrat avec Arc en Ciel, au profit d’une autre société sous-traitante. Un procédé, qui, d’une part, n’offre aucune garantie aux grévistes et ne répond absolument pas à leurs revendications, et qui, d’autre part, permet à Paris 1 de poursuivre son recours au système de la sous-traitance et de se déresponsabiliser de la situation des travailleurs dans l’université.

Travail essentiel, conditions déplorables

La seule chose lumineuse dans la sous-traitance Arc en Ciel, c’est le nom de la boîte. La réalité des conditions de travail des salariés qu’elle emploie est terrible. Ces travailleurs de l’ombre, dont les horaires croisent si peu ceux des étudiants, des professeurs, des usagers de la fac, exercent un métier dur, pénible du début à la fin de la journée, contraint pour certains de cumuler des postes dans plusieurs centres pour arriver à boucler le mois. A Tolbiac, c’est très tôt le matin que commence la première équipe de la journée, et c’est à 22h, que la dernière équipe quitte les lieux.

Sur place, tout manque. Le matériel n’est pas renouvelé par Arc en Ciel et les locaux fournis par Paris 1 pour entreposer les outils sont trop petits ou mal positionnés, obligeant les travailleurs à faire de nombreux aller-retour inutiles. Les salariés sont parfois obligés d’utiliser du matériel laissé par Challencin, l’ancien prestataire. Quant aux locaux attribués par Paris 1 pour servir de vestiaires et de salles de repos, leur état d’insalubrité est indigne. Situé dans le parking du centre PMF, ceux-ci prennent l’humidité, ne sont équipés d’aucune commodité et depuis peu, les travailleurs n’ont même plus accès à des toilettes près de leur local, fermées par l’université. Les travailleurs de l’ombre au sous-sol : tout un programme pour Paris 1.

Le droit du travail est également le cadet des soucis du sous-traitant : travailleurs sans contrat, heures supplémentaires non payées, primes non versées. L’université a beau jeu ensuite de fermer les yeux sur les pratiques de patron voyou dont se rend coupable Arc en Ciel.

Pourtant, difficile parmi les personnels travaillant sur le centre, de faire métier plus essentiel que celui du nettoyage d’un lieu public qui voie passer des milliers d’étudiants par jour. Sans ces petites mains invisibles, méprisées de la présidence, l’université « d’élite » ne serait qu’un vaste marigot de détritus et de toilettes bouchées. Un véritable deux poids deux mesures entre leur rôle essentiel dans les universités et les conditions de travail à peine imaginables de ces salarié.e.s du nettoyage précaires.

Racisme et (sur)exploitation

Lorsqu’une université signe un contrat de sous-traitance avec n’importe quelle société, du nettoyage notamment, elle n’engage pas seulement une société à faire travailler ses salariés dans des conditions inhumaine pour un salaire de misère, non, elle cautionne également l’exploitation raciste dont ces derniers sont victimes.

Comme en témoignait les récent portraits des grévistes réalisé par le Poing Levé, en grande majorité ces travailleurs sont issus de l’immigration et dans des situations extrêmement précaires. Les patrons du secteur n’ont ensuite aucun mal à les maintenir dans cette précarité et à l’utiliser contre eux pour faire pressions sur les salaires ou les conditions de travail. Comme le rappelait le communiqué de soutien aux grévistes publié par le collectif féministe Du Pain et et Roses « Si les patrons du nettoyage se permettent les pires horreurs, c’est parce que la main d’œuvre dans ce secteur est largement issue de l’immigration, racisée et féminisée. Les patrons le savent et en profitent, ce n’est d’ailleurs pas un hasard que les métiers les plus pénibles et les moins bien payés soient systématiquement occupés par des étrangers ou personnes racisées, et en grande partie par des femmes : c’est une division raciste et sexiste consciente du travail par les patrons pour maximiser ainsi leurs profits ».

En faisant appel à la sous-traitance pour des activités pourtant classiques et consubstantielles au fonctionnement même d’une université, les présidences savent pertinemment dans quoi elles mettent les pieds, à quelles société prédatrices usant d’exploitation raciste de leurs travailleurs elles confient l’entretien de leurs centres. Mais, complices, elles choisissent de fermer les yeux, et d’étouffer les salariés lorsque qu’ils tentent de relever la tête, faisant primer sur toute choses des logiques financières morbides. Le cas Tolbiac étant loin d’être isolé.

Une lutte contre la sous-traitance

Ce que cette grève a permis notamment de mettre en pleine lumière, c’est la situation de sous-traitance généralisée qui sévit dans l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) en particulier. De plus en plus de fonctions de l’université sont déléguées via des contrats de sous-traitance, en premier lieu le nettoyage et la sécurité, mais aussi l’alimentation.

Face à la misère et aux mauvaises conditions de travail un certain nombre de luttes ont émergées ces derniers mois, dépassant le seul cadre de la sous-traitance et illustrant les défaillances graves de l’ESR. Travailleurs du Crous en grève pour les salaires et des embauches ou encore salarié.e.s d’Arc en Ciel à Jussieu, en lutte pour le respect et la dignité.

Aujourd’hui à Tolbiac, c’est aussi une remise en cause du système de sous-traitance qu’opèrent les grévistes, en exigeant de l’université Paris 1 leur internalisation parmi le personnel de l’université. Pas de fac sans profs, mais pas de fac sans agents d’entretien non plus ! Les pratiques de l’ESR et la logique comptable qui dominent l’ensemble des réflexions sur l’université et des actions mises en place par les gouvernements et les présidences de fac successives appellent à penser et à poser un autre projet d’université.

La question de fond : quelle université voulons-nous ?

La situation de la grève de Tolbiac pose la question, au-delà de la sous-traitance, de quelle université défendre et de quelle université vouloir. Nous défendons, et avons toujours défendu une université ouverte à toutes et tous, de masse, opposée à la sélection, qui ne laisse pas à la porte les enfants des classes populaires. Une université émancipée des oppressions patriarcales, raciales, anti-LGBTI+. Une université qui refuse de véhiculer des idées et des discours réactionnaires et discriminant pour une partie de la population. Un tel projet ne peut évidemment se faire au seul profit des étudiants et des professeurs, en ignorant le sort des travailleurs et des personnels.

Si nous refusons que l’université ne soit réservée qu’à une minorité, nous refusons également que celle-ci fonctionne sur la misère et la surexploitation de milliers de travailleurs via la sous-traitance. L’université émancipée doit l’être pour les étudiants comme pour les travailleurs. C’est pourquoi nous militons et nous défendons aux côtés des grévistes leur revendication d’internalisation, pour commencer à briser la logique permanente de précarisation de l’ensembles des acteurs de la fac. Files devant les banques alimentaires, job étudiant sous-payé : la misère des salariés du nettoyage n’est qu’une facette des misères de l’université, tout entière transformée en une immense boîte à douleurs. Une caisse de résonnance d’une université publique dégradée.

Etudiants – travailleurs : tous solidaires

La grève des travailleurs de Tolbiac rappelle l’importance de la solidarité et des liens créés entre étudiants et travailleurs. C’est cette solidarité qui a permis de rapporter plus de 12 000 euros à la caisse de grève, donnant de la force aux grévistes pour poursuivre leur lutte. Ces liens sont d’autant plus importants qu’ils vont à l’encontre du projet de la présidence et du ministère pour l’université. Alors que ceux-ci souhaitent diviser, invisibiliser les travailleurs, pour pouvoir d’un côté profiter de leur exploitation à bas prix et de l’autre poursuivre la casse de l’université sur le dos des étudiants, ils voient d’un mauvais œil que les deux groupes se solidarisent.

C’est pourquoi la présidence a fait ce qu’elle a pu pour tenter de dénouer ces liens, de faire en sorte que la rencontre entre étudiants et travailleurs ne se réalise pas, car elle sait le potentiel explosif que celle-ci peut avoir. Voilà, une leçon de plus à tirer de cette grève des travailleurs du nettoyage de Tolbiac, une leçon à petite échelle certes mais d’une importance capitale : c’est la jonction des travailleurs et des étudiants qui est susceptible d’ouvrir un autre horizon des possibles, d’abord à l’université, mais aussi partout ailleurs.

Pour soutenir les travailleurs d’Arc en Ciel dans leur lutte, donnez à la caisse de grève en ligne !


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