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Correspondances ouvrières

Sous-traitances, filiales : comment la SNCF fait fondre ses effectifs

500 000 avant la guerre, 400 000 juste après pour baisser jusqu’à 147 000 aujourd’hui, on peut se poser la question : où sont donc passés les cheminots disparus ?

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Crédits photo : AFP PHOTO / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT

Sous-traitances et filialisations : la nouvelle réalité des travailleurs du rail

Evidemment, la réponse toute trouvée de la direction pour expliquer la fonte des effectifs, c’est l’essor technologique qui aurait supprimé des postes, ce qui n’est pas entièrement faux. Ainsi, aujourd’hui, les chefs de trains ont disparu sur les transiliens, et il y a beaucoup moins de postes d’aiguillage par exemple (et ça va baisser encore drastiquement avec les commandes centralisées du réseau (CCR), qui vont concentrer les postes d’aiguillage dans de grands centres régionaux).

Mais cela n’explique pas tout et si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que finalement, les 250 000 cheminots en moins depuis 1950 n’ont pas disparu pour tout le monde.

L’exemple le plus évident c’est l’équipement (appelé maintenant INFRAPOLE) avec l’entretien et le renouvellement des voies, qui est presque exclusivement assuré par des entreprises privées, avec des agents SNCF chargés de « surveiller » que tout est fait dans les règles. Le tout avec des temps de travail plus longs, un turn-over plus important, moins de sécurité (donc plus d’accidents mais le sous-traitant se débrouille, souvent en trichant…), moins de formation des salariés, etc. mais C’EST MOINS CHER ! Voilà qu’on retrouve une partie de nos cheminots égarés dans des boites privées, souvent issues de pays d’Europe moins exigeants sur le social…

L’entretien des voies est loin d’être un exemple isolé : prenons l’exemple de la présence en gare. Même si l’affichage est plus performant avec des télés sur les quais et dans les halls, il faut tout de même une présence humaine en gare (même si la SNCF ferme sans scrupules, beaucoup plus qu’avant, les guichets qui accueillent les voyageurs) et notamment en cas de travaux et de transbordement par bus. Tous les voyageurs les ont vus : ce sont les « gilets rouges », qu’ils soient employés par ITIREMIA (ex-EFFIA) ou CITY-ONE. On pourrait les prendre pour des salariés de la SNCF mais ils n’en sont pas. Ils sont salariés de la sous-traitance dans des entreprises de « prestation de service tertiaire ». Ils s’occupent des personnes à mobilité réduite, portent les bagages, assurent l’information lors des transbordements, toutes ces tâches dévolues auparavant aux cheminots au statut. Et vous avez bien sûr compris pourquoi ce ne sont plus des cheminots qui effectuent ces travaux : parce que C’EST MOINS CHER avec une entreprise sous-traitante, où les conditions de travail sont beaucoup plus dures qu’à la SNCF pour des salaires moindres. 

Évidemment, ces boîtes de patrons voyous emploient des étudiants, des précaires, des sans-papiers même… et le scénario est le même pour toutes : pas de contrat de travail, pas de formation (on est balancé comme ça sur le terrain), pas de visite médicale (elle est pourtant exigée 3 fois : le code du travail, la convention collective et le plan de prévention avec la SNCF… peut-être manque-t-il une quatrième fois ? ), pas de planning (un appel ou un SMS c’est bien suffisant), certaines fois pas de fiche de paie, pas de repos pendant des semaines, etc… En réalité, seul le « noyau » administratif de l’entreprise est en CDI (et encore…) et tout le personnel exécutant lui est en CDD, en intérim ou sans contrat…

Comment la SNCF s’auto-liquide par ses filiales

La SNCF, le donneur d’ordre, est bien informé de tout cela, d’autant plus que pour ITIREMIA par exemple, le patron c’est… la SNCF. ITIREMIA fait partie du groupe SNCF, c’est une filiale… D’ailleurs cette année, la Cour d’Appel de Paris a condamné la SNCF pour délit de marchandage et prêt illicite de main-d’œuvre car il est illégal de mettre en concurrence ses propres salariés avec la sous-traitance pour effectuer les mêmes taches… Voilà où sont les cheminots manquants, des cheminots très jeunes, encore à la fac et dont la première expérience du monde du travail est un passage par la mafia du patronat, les prestataires de services tertiaires. C’est le nouveau nom de la camorra…

Un autre exemple se trouve dans les trains. Les ASCT (chefs de train) ont quasiment disparu avec le nouveau matériel roulant mais il convient d’assurer une présence humaine dans certain trains, le soir ou la nuit. Enfin, la SNCF le fait quand elle n’a pas le choix à cause de trop nombreuses agressions. Là aussi, la sous-traitance est moins chère et la SNCF a recours à des sociétés de gardiennage qui assurent un accompagnement des trains demandés (enfin, quand le contrat est respecté). Et là encore, on n’a pas affaire à des philanthropes : cela s’est remarqué en 2009 avec les maîtres-chiens sans-papiers et encore au quotidien avec des conditions de travail désastreuses et dont la SNCF est complice. En effet, si un cheminot réclame un local correct avec eau courante, électricité et chauffage/climatisation, la SNCF fournit sans aucun problème des locaux totalement insalubres à ces salariés du gardiennage, ou de nettoyage des gares. Voilà encore une partie des cheminots manquants et pour le coup, le voyageur perd au change car les ASCT avaient aussi une formation et des missions liées à la sécurité des circulations, ce qui n’est pas le cas avec le gardiennage.

Le dernier exemple est moins évident, mais mérite qu’on s’y attarde. Depuis 1950 et ses 400 000 cheminots, le transport de marchandises, le fret, n’a pas baissé, bien au contraire. Avec le capitalisme à outrance, les échanges de marchandises ont explosé. Mais pourtant, le fret ferroviaire, lui, a dépéri au profit de la route. Et qui est le 1er transporteur routier de France ? Vous le saviez ou l’avez deviné : la SNCF. Le groupe SNCF et sa plate-forme de fret GEODIS, qui regroupe Bourget-Montreuil, Calberson, etc. est le premier transporteur de France.

Et il suffit de se pencher sur les salariés de GEODIS pour comprendre. Prenons exemple sur la plate-forme de Gennevilliers :

  • 150 chauffeurs poids lourd, dont seulement 6 embauchés. Le reste est auto-entrepreneur, sous-traitant…
  • 200 manutentionnaires environ dont plus de 130 intérimaires…

Voilà encore une partie de nos cheminots évaporés et surtout PRÉCARISÉS, et par la « maison mère », la SNCF !!!

Car c’est bien ce qu’il faut retenir de la situation, c’est que les cheminots n’ont pas disparu, ils ne sont pas 147 000, ils sont toujours proches des 400 000 comme il y a plus de 50 ans. La seule différence : ils sont précarisés, déchus de leurs droits, volés et mis en danger par un patronat voyou (pléonasme ?), exploités sans les entraves d’un statut fort qui permet plus qu’ailleurs le respect des droits et une présence syndicale forte.

C’est bien pour cela que la bataille du Rail du printemps dernier, et qui doit se poursuivre, contre le pacte ferroviaire et ses conséquences n’est pas une affaire des seuls cheminots, mais bel et bien une affaire qui nous concerne tous : cheminots, usagers, même combat !
Pour tous ceux qui estiment que la fin du statut et de la SNCF est une bonne chose pour la société française et les usagers, il suffit de comprendre que nous assistons notamment à une destruction des droits et à une conversion d’emplois stables et qualifiés en emplois dangereux et précaires qui seront les seuls disponibles pour leurs enfants et les nôtres.

D’autre part, aucune entreprise privée ne formera ses salariés comme le fait la SNCF aujourd’hui (environs 90 000€ pour un conducteur, 40 à 50 000 pour un contrôleur ou un aiguilleur). Il n’y a qu’à voir l’exemple ITIREMIA/City-One, qui jamais ne fera passer la sécurité avant le profit en arrêtant les circulations au moindre risque comme c’est encore le cas avec la SNCF.

Les cheminots et usagers doivent se prononcer contre une destruction préméditée du service public avec des prestations de plus en plus dégradées où la sécurité des salariés, des usagers et des circulations n’est clairement pas la priorité. 


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