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La politique de l’Etat ? Plutôt « humilitaire » qu’humanitaire !

Témoignage. Houssam du Collectif la Chapelle Debout : ce qui s’est réellement passé à Calais

Crédits @Passeurs d’hospitalités Houssam, du collectif La Chapelle Debout, milite aux côtés des migrants. Il témoigne ici de ce qui lui est parvenu de Calais, de la part d’autres militants, de migrantes et de migrants, d’amis ces derniers jours. Il témoigne de la violence de cette grande supercherie, de cette « opération humanitaire », de ce qui attend les migrants et des rafles à venir. Face à ces rafles, le collectif La Chapelle Debout a mis en place un dispositif permettant d’empêcher les rafles (BAR) ainsi que depuis peu leur propre PAF – patrouille anti-frontières – pour s’opposer aux expulsions.

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« Si j’avais un mauvais jeu de mot je dirais que c’est plutôt « humilitaire » qu’ « humanitaire » »


C. Manchette : Que peux-tu nous dire sur ce qui se passe à Calais depuis lundi, sur cette opération que le gouvernement et les médias dominants présentent comme une opération « humanitaire » ?

Houssam : Avec le collectif, on a essayé d’analyser depuis très longtemps la façon dont les campements de rroms ou de migrants sont expulsés de façon générale. Les pouvoirs publics parlent d’ “évacuation”, terme qui appartient au vocabulaire militaire ou à celui de la déchetterie ; ce qui en dit long sur le statut accordé à des personnes. On leur fait la guerre et/ou on les considère comme des parasites porteurs de maladies. Pour illustrer cela : dans les bus ils mettent des housses en plastique sur les sièges pour éviter que les migrants « contaminent les sièges ». La mairie de Paris l’année dernière parlait d « abcès de fixation » pour désigner les campements... Le discours sur l’ “humanitaire” s’inscrit également dans ce cadre. Calais et ses 10 000 personnes, ça représente une petite ville, mais le protocole est le même. C’est la même logique à la manœuvre : un grand événement médiatique, une parade politique devant les caméras, avec ces associations institutionnelles qui donnent une caution de terrain afin de garder leurs maigres subventions.

Photographie récupérée auprès du Collectif Chapelle Debout

Les migrantes et les migrants, eux sont systématiquement violentés. Personne ne les informe, pas ou peu de traduction, dans le meilleur des cas on leur dit simplement “assis” et souvent ça matraque. On est face à des êtres humains de seconde catégorie ou à des colis qu’on déménage en les ménageant plus ou moins.
Il est à noter que pour ce qui concerne le démantèlement, beaucoup ont tout de même dénoncé ce qui se passait : par exemple, le Secours Catholique a dit le 10 octobre qu’il ne cautionnerait pas ce qui pour lui était une « surenchère politique nauséabonde ». Le Défenseur des droits, par la voix de son président Jacques Toubon (qui a tout même pris des positions très à droite contre les femmes, les homosexuel.les, les femmes voilées ou contre l’abolition de la peine de mort) dénonce régulièrement ce que l’Etat fait aux populations migrantes.
Je crois vraiment que le démantèlement et la façon dont il se fait restera dans l’Histoire. Revenons au dispositif mis en place : c’est d’abord un grand événement médiatique : les scènes seront celles de l’exode, des exilés attendant qu’on les sauve de la « jungle », lieu indigne, comme “on” les a gentiment sauvé de la mer. “On”, c’est l’État.

Rien ne sera fait pour rappeler comment s’est constituée cette jungle, suite à l’expulsion des squats dans la ville notamment, ou ce qui se passe là-bas aussi en termes d’auto organisation et de vie collective. On peut dire ça sans dire pour autant que ce soit idéal comme endroit...

Pour raconter l’histoire de l’expulsion, on a trié les journalistes, on les a accrédités ou pas, pour être sûr qu’ils racontent ce qu’on veut bien qu’ils racontent. C’est-à-dire pour qu’ils relaient la propagande préfectorale. Avant l’expulsion, la préfecture avait déjà mis en scène les choses : elle a choisi ses témoins elle-même. Pour être témoin, il fallait avoir une accréditation. Elle a fait un papier expliquant que les personnes « ayant leur résidence principale au sein de la zone réglementée » – c’est-à-dire seuls les migrants - étaient seules légitimes à être là. On a déjà pu expérimenter cela lorsqu’on y était, lors des assauts de la police contre le bidonville. Tous les non-blancs ne pouvaient plus sortir. En vertu de l’état d’urgence, toutes les autres personnes, non autorisées à être là, étaient passibles de 6 mois de prison et 7 500 euros d’amende. Voilà comme premier élément pour commencer à déconstruire le soi-disant caractère « humanitaire » de ce qui se passe depuis trois jours. Une question surgit spontanément : puisque c’est si génial ce qu’ils font, pourquoi s’en cachent-ils autant ? Pourquoi toute cette comm’ ?

Deuxième élément important, le ministre de l’Intérieur a déclaré hier que les OQTF des personnes arrivants en centre d’accueil et d’orientation seront exécutées. Cela veut dire que l’on va expulser les gens. Opération « humanitaire » ? On est en droit d’en douter. C’est tellement « humanitaire » que le Haut-Commissariat aux Réfugiés a décidé de se retirer, comme il l’a fait en Grèce dans les hot-spot après qu’il a constaté que les privations de libertés illégales étaient récurrentes lors de l’expulsion. Eux aussi, qui pourtant ne sont pas très radicaux, semblent voir la notion d’humanitaire d’une façon différente que le gouvernement.

Enfin, la situation des mineurs est vraiment préoccupante.

Il était question qu’il y ait des solutions pour les mineurs qui avaient leurs parents en Grande-Bretagne, ou ceux qui ont un frère ou une sœur qui y travaille. Eux auraient dû pouvoir passer. On a annoncé qu’il y aurait 200 personnes concernées par le dispositif. Mais les scènes auxquelles on a assisté sont assez dingues. On a des images, des récits, de mineurs qui font la queue pour accéder à un hangar et être redirigés vers les CAOMIE (centre d’accueil et d’orientation pour les mineurs isolés étrangers) avec des tris au faciès pour voir qui est mineur ou majeur. Puis second tri comme on a à Paris, sous la forme d’un entretien de moins de 5 minutes avec un salarié de France Terre d’Asile et un officier britannique pour déterminer s’ils sont mineurs et les orienter. Les mineurs reçus vont dans le camp de containers pour attendre que les autorités britanniques statuent sur leur sort.

Pour mettre ces mineurs dans les conteneurs, il a fallu virer des gens et pour les virer, ils ont envoyé les CRS. Parmi les gens expulsés il y avait des mineurs qui se sont retrouvés sans abri. Des mineurs, une cinquantaine, ont donc dormi par terre dans les parties communes du conteneur. D’autres qui s’étaient déjà présentés ont dû refaire la queue, certains qui avaient été reconnus comme mineurs, ne l’étaient plus face à ce nouveau tri. À la suite de cela certains d’entre eux ont disparu dans la nature. On sait d’ores et déjà qu’il y a des mineurs qui ont beaucoup souffert, j’ai reçu un appel de deux Soudanais de 14 et 16 ans, en larmes parce qu’ils s’étaient faits frapper sur les genoux par les CRS dans le « hangar d’évaluation. »

Après ces quelques illustrations de ce qui se déroule depuis trois jours, si j’avais un mauvais jeu de mot je dirai que c’est plutôt « humilitaire » qu’ « humanitaire ».

L’autre caractère vraiment « militaire » de leur opération « humanitaire », c’est qu’ils ont mis fin à la permission, même sous accréditation, aux journalistes de pénétrer dans la « jungle » le 26 octobre.

La préfecture s’est rendu compte qu’il y a des exilés qui ne veulent pas partir et que leur dispositif a implosé. Les images de migrants heureux de monter dans des bus n’étant plus possibles, il fallait réagir. On a donc viré les caméras. C’était déjà compliqué avant d’obtenir des informations, aujourd’hui ce sont des contacts avec certains migrants qui nous permettent de nous tenir informé.

« Il va y avoir des rafles, des gens placés en centre de rétention – à supposer qu’il y ait encore de la place -, des expulsions. Expulser au maximum »

C. M : La préfète de Calais a annoncé mercredi 26 octobre – que Calais, c’est « fini », insistant sur le fait qu’il s’agit d’une « opération réussie » et que plus de 4000 migrants sont désormais placés en « sécurité »… Or on sait que l’opération continue – officiellement jusqu’à lundi – et la répression qui va avec. Qu’en est-il de ceux qui restent, ceux qui ne sont pas ou n’ont pas pu monter dans les bus, ceux qui veulent aller au Royaume-Uni ? Et qu’adviendra-t-il de ceux qui sont montés dans les bus en direction des centres d’accueil et d’orientation (CAO) ?

H. : J’étais en contact avec une Irakienne de 22 ans qui a fui parce qu’elle veut aller en Angleterre. Elle m’a appelé et a dit : « j’ai fui la guerre, je la retrouve ici ». Quand elle a vu la tension, elle a préféré s’enfuir. Elle et d’autres vont aller dans les villes aux abords de Calais pour continuer à essayer de passer en Angleterre.

Ce qui risque fortement de se passer, c’est ce qui se passe à Paris et se passe puissance 1000 à Calais : il va y avoir encore plus de rafles. On savait qu’aux alentours des gares de Calais, il y avait beaucoup de rafles. Dans la mesure où ils sont censés avoir pris en charge « humainement » les gens, ils vont rafler ceux qui restent pour les faire disparaitre et dire : « regardez, on a sorti tout le monde de la misère ». Leur objectif est d’éviter qu’un campement ne réapparaisse quelque part. Il va y avoir des rafles, des gens placés en centre de rétention – à supposer qu’il y ait encore de la place -, des expulsions. Expulser au maximum.

Dans les CAO, c’est compliqué de savoir ce qui va se passer. La question, c’est surtout qu’il y a des gens qui risquent de se retrouver ailleurs que dans des CAO, dans des lieux qui ne seront pas forcément adaptés aux différentes situations administratives (dublinés notamment) et surtout aux désirs des premiers concernés.

S’ils et elles étaient blancs ou riches, ce dernier point serait central dans le traitement des populations. Du reste, les CAO et les « centres de répit » ont, avant même l’expulsion du bidonville, fait l’objet de rafles (comme à Villeurbanne ou dans le Loiret). Enfin, à Paris, il y a déjà 30 migrants qui sont arrivés mardi et mercredi de Calais et sont actuellement au centre de rétention du Mesnil-Amelot.

En prévision du démantèlement de Calais, des centaines de places ont été réservées dans des centres de rétention en France. En réaction, ce vendredi 28 octobre une manifestation pour la fermeture des CRA et des centres de rétention est appelée à l’initiative de la Coordination 75 des Sans-Papiers dont plusieurs organisations sont signataires. Une manifestation qui se dirigera vers le centre de rétention de PLAISIR dans les Yvelines qui est un des trois centres qui a rouvert pour l’occasion, avec ceux d’Hendaye et de Strasbourg.

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