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Après une première semaine de mobilisation réussie

Toulouse. Quelles conséquences aurait la fusion des universités ? Comment riposter ?

Cette semaine aura été marquée par le lancement de la mobilisation contre le projet de fusion des universités toulousaines, notamment au Mirail. Avec une première action de blocage du Conseil d'Administration (CA) mardi dernier, la tenue d'une Assemblée Générale ayant réuni 500 étudiants, enseignants et personnels jeudi et un rassemblement devant le rectorat (80 présents), placé sous protection policières, à l'occasion du CA de la COMUE, force est de constater que cette première semaine est une réussite. Alors que la semaine qui vient sera elle aussi rythmée par la mobilisation (AG Mardi au Mirail, qui devrait être suivie d'une manifestation ou de rassemblements), quelles seraient les conséquences de la fusion des universités ? Comment lutter et quelle revendications mettre en avant ? Julian Vadis

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IDEX et fusion des universités dans un « Grand Établissement ». Une course à « l’excellence » dictée par les « besoins économiques »

En soi, l’exemple toulousain est éloquent en ce qui concerne les enjeux de la "reconquête de l’IDEX", perdu par les universités toulousaines au printemps dernier. L’objectif affiché de la fusion des universités toulousaines – qui concerne dans un premier temps l’Université du Mirail et de Paul Sabatier puis, dans un second temps, l’intégration de l’INP et l’INSA – vise a intégrer le top 100 du « classement international de Shanghai ». Le principe est simple, vu que ce classement est déterminé, entre autres, par le nombre de publication scientifiques de chaque site, il s’agit tout simplement de cumuler ces publications au sein d’une même structure. L’enjeu principal annoncé par les directions d’université étant de ré-obtenir les financements liés à l’IDEX, à savoir 25 millions d’euros. Ou pour le dire autrement, un grain de sable, puisque le budget total des universités qui serait intégré dans ce Grand Établissement toulousain culmine a environ... un milliard d’euros !

On l’aura compris, ces financements ne permettront pas de viser "l’excellence" en terme de conditions d’études et de travail pour les personnels. Derrière l’écran de fumée des financements, c’est une toute autre logique qui accompagne le projet de fusion des universités, à Toulouse comme ailleurs. En effet, ce projet entre dans la continuité de la mise en place de loi LRU et Fioraso. Ces dernières, inscrites dans un processus de long terme, ont entre autres considérablement ouvert la voie à la recherche de financements privés pour les universités et au désengagement de l’État, ainsi que renforcé la présence de « personnalités extérieures » dans les conseils (bien souvent des représentants d’entreprises). Avec un CA unique pour l’ensemble de "l’Université de Toulouse", composé de 24 membres dont seulement 12 élus (6 Enseignants-Chercheurs, 3 BIATTS et 3 étudiants) pour... 10 personnalités extérieures, dont 6 issues "d’entreprises à rayonnement national" ou de « pôles de compétitivité », le projet de Grand Établissement constitue un véritable tournant. Dans les faits, "programmes d’excellences" se traduit par filières répondant aux « besoins économiques » régionaux, soit dans le cas toulousain la pharmaceutique et l’aéronautique par exemple. De plus, les compétences de délivrance des diplômes de la future « Université de Toulouse », avec un objectif chiffré de 10000 diplômes par an jusqu’en 2021, ne concerne que les masters et les doctorats. Un chiffre qui n’est pas sans rapport avec la récente mise en place de la sélection en master mais qui a aussi une autre conséquence. Dans les faits, il s’agit d’une dévalorisation totale des cursus de licence, qui ne bénéficieront pas du "label d’excellence". Ce numérus closus de diplômes aura des conséquences sur l’ensemble des filières, de la L1 au doctorat. En effet, pendant que les inscriptions sont croissantes, le nombre de délivrance est officiellement gelé.

Une attaque sans précédent sur les droits des étudiants et les conditions de travail des personnels et enseignants

Cette affirmation ne tombe pas du ciel, mais résulte de la prise en compte d’exemple concret des conséquences de la fusion des universités déjà mise en place. Á Paris Dauphine, par exemple, une distinction claire et nette est faite entre les « masters classiques » et les « diplômes de Grand Établissement ». D’une part, on comprend ici que certains masters sont labellisés "excellence" et d’autres dévalorisés, mais cette distinction permet aussi une élitisation de l’enseignement supérieur. En effet, les frais d’inscription pour entrer dans un master "Grand Etablissement" oscille, à Paris Dauphine, entre 1650 et 6050 euros ! Il s’agit là d’une attaque directe envers les droits des étudiants, visant particulièrement la jeunesse issue des classes populaires, qui n’aura de choix que de s’endetter fortement pour payer les frais d’inscription ou abandonner purement et simplement toute idée de faire des études. D’une manière plus générale, la perte de « personnalité juridique et morale » du Mirail et de Paul Sabatier et la mise en route d’un Grand Établissement (c’est à dire que l’« Université » de Toulouse ne sera pas… une université !) entraîne une dérogation au code de l’éducation. En d’autres termes, cela signifie qu’il sera possible, sans aucune limite, d’augmenter les frais d’inscription. Une sélection sociale excluant les enfants d’ouvriers et des classes populaires, couplé à la possibilité d’imposer un plafond au niveau des inscriptions, avec une totale liberté concernant les modalités d’une telle sélection, et ce dès la licence. En bref, universités fusionnées coïncide avec la fin pure et simple d’un enseignement supérieur ouvert à tous.

Le projet de fusion leur permettra aussi de faire des économies sur les "doublons", en les supprimant, ce qui touche là aussi directement étudiants, personnels et enseignants. En effet, il ne sera très certainement plus possible d’assister à des cours de langues à Paul Sabatier, ou a des cours de mathématique au Mirail. Les étudiants devront naviguer entre les différents établissements, ce qui engendre perte de temps et frais en hausse pour les transports, mais touche aussi les emplois. En effet, cette centralisation rime avec les suppressions de postes, notamment permises par les « économies d’échelle ». Déjà, en début d’année universitaire, 250 emplois ont été sacrifié à Paul Sabatier sur l’autel de l’austérité.. BIATSS, personnel administratif et enseignants seront ainsi d’autant plus pressurisés, elles et eux qui connaissent déjà des conditions de travail inhumaines, comme l’a dénoncé la grève de l’UFR de Psychologie en septembre dernier (où 100 enseignants et 24 personnels administratifs géraient 5000 étudiants !) Des conditions d’études fortement dégradées, ainsi qu’une surcharge de travail pour les enseignants et personnels qui a poussé le CHSCT à tirer la sonnette d’alarme, craignant une explosion des cas de burn-out à de tels rythmes de travail et d’exploitation.

Une question démocratique. Coups de pression et muselage des voix contestataires

Sur une autre volet, la question de la fusion pose le problème de la démocratie au sein de la communauté universitaire. Recentrer les décisions au sein d’un CA réduit pour des centaines de milliers d’étudiants, personnels et enseignants revient à opérer un véritable lissage de l’opinion, afin de permettre d’assurer une gouvernance au sein de laquelle les personnalités extérieures, et notamment les représentants d’entreprises, ont un poids démesuré. L’exemple de l’université d’Aix-Marseille est en ce sens frappant. EDF siège à la gouvernance, ce qui a immédiatement conduit à l’ouverture de masters de « mode´lisation et expe´rimentation des mate´riaux pour le nucle´aire » ou bien encore de « ge´nie des proce´de´s applique´s au nucle´aire ». De tel intitulé en disent long sur l’intérêt pour de telles entreprises de siéger dans les CA. En effet, il est certain que ces filières bénéficient de la part du conseil où siège l’entreprise de financements prioritaires puisque fournissant une main d’œuvre qualifiée... au détriment des fillières non rentable. Á Toulouse, la présence de seulement 3 étudiants au conseil (pour 70 000 inscrits) en dit long non sur le pouvoir de décision qui leur sera accordé, eux qui n’ont déjà pas voix au chapitre dans les conseils tels qu’ils sont aujourd’hui.

Un processus de transformation profonde de l’ESR toulousain est donc en marche. Le Mirail, et ses filières de Philosophie, Sciences humaines, Arts etc... ne semble pas concorder avec la vision "d’excellence" des futurs décideurs, et tout particulièrement chez les représentants des entreprises à rayonnement national. Un choix simple s’ouvrira à ces filières : adapter leur contenu aux volontés de la gouvernance, ou se voir asphyxier et disparaître à petit feu.

Autre aspect, tout aussi anti-démocratique. La feuille de route sur la fusion a été transmise le 5 janvier dernier à la communauté universitaire... et votée le 16 janvier à Paul Sabatier ! S’il n’a pas eu lieu au Mirail du fait de la mobilisation, le vote était prévu le 24 janvier. Des délais extrêmement courts, alors que le document déborde d’information, qui vise à imposer rapidement et sans voix contradictoire le projet d’« Université Toulouse ». De plus, le CNRS – favorable au projet – n’a pas hésité à menacer de quitter la région si la feuille de route n’était pas votée. Le ministère et le jury international n’ont quant à eux pas hésité à mener une politique de chantage aux financements, là aussi pour imposer la feuille de route. Malgré ces contraintes, plusieurs conseils et UFR ont déjà manifesté leur opposition au projet. De plus, sur le Mirail, le nouveau président Daniel Lacroix avait promis, lors de sa campagne, de ne pas accepter de projet de fusion. Le voici aujourd’hui qui tente de l’imposer comme en témoigne son communiqué suite à l’envahissement du CA. S’il promet une prise en compte de l’opinion générale, sa ligne cherche surtout à diviser la très large intersyndicale qui s’est mobilisé ce 24 janvier, entre une aile « négociatrice » et une aile « retrait total » afin d’endiguer un potentiel mouvement contre ce projet. Mais ce communiqué démontre aussi une certaine situation de faiblesse pour le président, dont le syndicat est contre le projet de fusion, tout comme un certain effet de surprise face à l’ampleur de la mobilisation. Ainsi, le CA de la COMUE de ce vendredi a été délocalisé à la hâte au rectorat et placé sous protection policière (ce qui n’a pas empéché une mobilisation importante), lui qui devait entériner le projet après un succès du vote au Mirail, tandis que l’inauguration de la rue entre le métro et l’université, qui devait se tenir vendredi dernier en présence du préfet et du maire de Toulouse après une victoire de la fusion, a été annulé.

Retrait sans condition du projet de fusion ! Structurons et amplifions la mobilisation !

C’est ainsi qu’après cette première semaine de mobilisation réussie, l’objectif est aujourd’hui de structurer et massifier le mouvement, pour l’ancrer sur le moyen-long terme, et imposer un rapport de force à même de mettre en échec le projet, dont le calendrier de lancée s’étale jusqu’à décembre 2017. La mise en place d’un comité de mobilisation, décidé lors de l’assemblée générale de jeudi dernier, est en ce sens un point positif. En effet, la structuration d’un tel cadre, réunissant l’ensemble des acteurs souhaitant s’impliquer dans la mobilisation (syndiqués ou non) et mettre en application les décisions prises collectivement est un appui important en vue d’une massification effective de la mobilisation. L’arc de force inter-syndical, très large, constitue également un élément extrêmement positif, qui doit servir de base pour passer à l’étape supérieure. L’exemple de la mobilisation de 2015 à Rennes 2, ou un collectif s’est mis en place, regroupant enseignants, personnels, étudiants ainsi que leurs organisations (l’ensemble de l’intersyndicale contre la fusion), doit en ce sens inspirer la mobilisation toulousaine.

À la totale opacité des prises de décisions dans les conseils concernant le projet de fusion, nous devons exiger une ouverture de tous les conseils, nous devons opposer la lutte pour un fonctionnement transparent, pour que l’ensemble des étudiants et travailleurs de la fac sachent se qu’on leur réserve. Également, on ne peut pas continuer à laisser des « personnalités extérieures », bien souvent des représentants de grandes entreprises, décider pour l’avenir de nos conditions de vie, d’étude et de travail ; celles-ci doivent être exclues des centres décisionnels. Enfin, les élus ne doivent pas pouvoir agir de manière contraire à ce pour quoi ils ont été votés, c’est à dire être responsables et révocables. L’exemple du SNESUP-FSU est frappant au Mirail, où alors que le syndicat est contre la fusion, les élus qui siègent en conseil d’administration votent pour.

Autre revendication allant de pair, celle d’un refinancement public massif des universités, passant par l’abrogation des loi LRU et Fioraso, pour que les personnels et enseignants puissent travailler dans des conditions optimales sans devoir céder au chantage à l’investissement privé, mais aussi pour mettre un frein à la dégradation des conditions d’études. L’embauche d’enseignants et personnels, pour éviter la surcharge des cours, est en ce sens indispensable, mais aussi la titularisation de tout les précaires, qui travaillent dans des conditions intenables et dans la permanente incertitude de recevoir leur salaire et de se faire renouveler leurs contrats.

Dans l’immédiat, le mouvement doit se souder autour du mot d’ordre de retrait total du projet de fusion, qui n’est ni amendable, ni négociable. Les personnes mobilisées ont maintenant pour tâche d’élargir les rangs de la mobilisation en s’adressant à l’ensemble des travailleurs et étudiants de la fac pour les inviter aux cadres larges de discussions et d’organisation de la lutte, les Assemblées Générales et Comités de Mobilisation en leur faisant comprendre des notions phares, la fusion c’est :

  •  - La sélection et l’augmentation des frais d’inscriptions sans limites (jusqu’à 6050€ l’année à Paris Dauphine !)
  •  -L’asphyxie de budgets dans les filières non rentables (notamment en Sciences Humaines et en Lettres), la suppression de filières, les suppressions de postes, l’aggravation des conditions de travail et d’étude.
  •  - Un Grand Établissement dirigé de manière totalement opaque par un conseil où siègent 3 étudiants, 3 personnels non enseignants et 6 représentants « d’entreprises à rayonnement national » ou de « pôles de compétitivité » pour 70000 étudiants. C’est un tel conseil qui décidera de où iront les financements, du contenu des formations et de la recherche, etc. Faisant ainsi des universités des services de sous-traitance de la formation et de la recherche de grandes entreprises comme Airbus.

    La priorité est d’empêcher le vote de la feuille de route par le CA du Mirail du projet de fusion, ce qui bloque la mise en place de la fusion, comme nous l’avons fait mardi 24/01. Même si c’est une nécessité absolue, il est très probable que la présidence décide d’en tenir un très prochainement sous protection policière, comme ils l’ont fait vendredi 27/01 pour celui de l’Université Fédérale de Toulouse. Nous devons donc nous fixer des objectifs plus grands en termes de rapport de force, notamment à l’échelle de la ville, où une mobilisation coude à coude avec les autres universités concernées par la fusion est déterminante. En ce sens, la multiplication des initiatives communes doit être une boussole (rassemblements, manifestations, envahissements coordonnés des Conseils d’Administration, etc.). Mais l’attaque n’est pas que locale, et d’autres universités du pays sont actuellement en lutte contre la fusion. Il est donc primordial de nous coordonner avec celles-ci, et celles qui l’ont été / seront concerné par de tels projet (notamment Lille, Paris, etc.). Face à une attaque d’envergure nationale, nous devons être déterminés à construire un rapport de force à même échelle, qui devra notamment passer par des appels à manifestation, comme ça a été évoqué en AG jeudi. En ce sens, Toulouse et le Mirail, qui connaissent la mobilisation la plus importante à ce jour contre un projet de fusion, face à une présidence en difficulté, peuvent infliger un revers important à ces politiques gouvernementales, ce qui serait un appui pour des victoires dans les autres villes.


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