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Vente bloquée d’une entreprise technologique à la Chine

Tournant protectionniste de l’Allemagne contre Pékin

A la surprise générale, le gouvernement allemand ouvre un examen après avoir initié l’approbation de la vente d’Aixtron à la société chinoise Grand Chip Investment. Un geste protectionniste d’une grande signification. Juan Chingo

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Berlin avait initialement approuvé l’acquisition d’Aixtron par l’entreprise chinoise Grand Chip Investment pour 670 millions d’euros (soit 728 millions de dollars). Cependant, la vente du fabriquant allemand d’équipements semi-conducteurs est reconsidérée. En parallèle, l’acquisition du groupe d’agrochimie suisse Syngenta par ChemChina d’un montant de 43 milliards de dollars semble se diriger vers une « deuxième phase » d’examen plus rigoureuse, après que l’acheteur n’ait pas fourni les concessions nécessaires. Après ces deux nouvelles, les investisseurs ont réduis leurs participations à Syngenta et Aixtron d’environ 7% ce lundi, par crainte de régulation ou blocage des ventes des régulateurs européens.

Un geste fort de Berlin


En dépit d’être l’offre plus petite des deux, l’intervention de l’entreprise allemande Aixtron est sans doute la plus importante. Les tensions liées à l’acquisition chinoise n’ont cessé de grimper depuis quelques temps en Allemagne. Le passage sous contrôle chinois d’un joyau du « made in Germany », à savoir le champion des robots industriels Kuka, créés en 1898, standard du savoir-faire allemand en termes de machines-outils hautement sophistiquées, a été un choc national. Immédiatement, Putzmeister, spécialiste des pompes à béton automobile, devenu la firme spécialisée appelée KraussMaffei, un des leaders de machines et installations pour la production du plastique et du caoutchouc, devenu un leader de l’énergie, ont suivi le même parcours. L’entreprise chinoise a annoncé plus de 11 milliards de dollars d’acquisitions allemandes, alors même que les fusions et acquisitions qui fuient en direction opposée restent pratiquement nulles. Et ce mouvement a été accéléré avec l’appétit chinois pour la reprise d’Osram, un pionnier dans le domaine de l’éclairage avec 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 33 000 employés. Une nouvelle acquisition trop large pour ne pas déclencher la gêne du gouvernement allemand. Aixtron a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Berlin a cette tradition de ne pas intervenir directement dans les stratégies industrielles des entreprises privées. Le veto du rachat d’Aixtron est une nouveauté, un signal fort, avec un double objectif. En interne, il est un avertissement aux actionnaires qui se plient trop facilement à vendre au plus offrant. Et vers l’extérieur, l’Allemagne affirme qu’elle n’est pas un terrain de chasse pour les prédateurs technologiques non européens.

Un virage protectionniste contre les investissements chinois en Allemagne


La décision reflète une croissante réaction protectionniste contre les investissements chinois en Allemagne. Sigmar Gabriel, ministre de l’Économie et vice-chancelier, a déjà proposé de restreindre les acquisitions étrangères de l’Union Européenne (UE) si elles impliquent « des technologies clés pour un progrès industriel particulièrement important ».

Sous les règles actuelles, le Ministère de l’Économie peut réviser n’importe quel accord dans lesquels les investisseurs étrangers acquissent au moins 25% des droits de vote d’une entreprise allemande, et le bloquer si « il représente une menace pour l’ordre public de l’Allemagne ou sa sécurité ». Des offres qui impliquent « la sécurité de l’approvisionnement en cas de crise, les télécommunications et l’électricité, ou la prestation de services d’importance stratégique » peuvent être l’objet d’examens approfondis, comme le stipule la page web du ministère.

La nouvelle initiative de Sigmar Gabriel amplifierait énormément la supervision du gouvernement de toutes ces offres. Comme le révèle un document, il propose une législation européenne pour freiner les investissements directs influencés par des politiques industrielles de tiers pays ou bénéficiaires de « subventions de l’Etat ». Cette initiative est appuyée par Günther Oettinger, commissaire de l’économie et du numérique de l’UE et proche de la chancelière Angela Merkel. Dans une interview au début du mois d’octobre, elle disait que l’industrie de la haute technologie de l’UE « ne doit pas être vendue », ajoutant que d’autres États membres de l’UE, comme la France et l’Italie, soutiennent une « politique industrielle plus forte » pour protéger les entreprises de technologie nationales.

De son côté, Gabriel a déclaré que « l’UE doit tenir une position claire devant la Chine » et ne pas se laisser intimider. Un an avant les élections nationales, le président du Parti Social-Démocrate (SPD), possible candidat à la chancellerie, a pour thème de campagne la défense du « Made in Germany ».
Mais pour un pays tant dépendant des exportations, la décision de Berlin fait l’objet de controverses dans le monde des entreprises. « Qu’un pays dépende du fait que d’autres pays ouvrent leurs marchés n’aide pas à établir une barrière commerciale simultanément » juge le Président de la Fédération des Chambres du Commerce et de l’Industrie (DIHK), Eric Schweitzer. Ce dernier vient de vendre les actions de son entreprise de recyclage, Alba, à un groupe chinois. Volker Treier, directeur exécutif adjoint de l’Association des Chambres du Commerce et de l’Industrie d’Allemagne, croit cependant que le gouvernement ne devrait pas faire pression. « L’Allemagne a rarement reçu des investissements directes à l’étranger, et les investissements directs allemands en Chine augmentent la valeur ajoutée pour les fournisseurs allemands », dit-il. « Donc, au-delà de l’opinion politique, il convient de noter que le succès de l’Allemagne repose sur des marchés ouverts, et nous allons nous tirer une balle dans le pied si nous allons à une limitation de notre propre la situation d’accès ». Plus de 5 000 entreprises allemandes sont actuellement en Chine et le commerce bilatéral entre les deux pays a atteint les 175 milliards de dollars l’année dernière.

L’évolution des conditions politiques de la mondialisation fait fortement obstacle aux ambitions de Pékin

Dans les dernières décennies, quand a commencé la restauration économique et l’industrialisation, la Chine a été le pays qui a le plus bénéficié de la délocalisation d’importants segments de la production industrielles des firmes multinationales, pour de la main d’œuvre à bas prix. Plus tard, une fois que son économie a commencé à mûrir, elle admet le caractère ouvert de l’économie mondiale pour étendre les investissements directs dans la recherche de matière premières, de marchés et l’accroissement technologique. Ce dernier est central pour la transition de son modèle basé principalement sur la mobilisation de ressources (accroissement des actifs et investissements pour une économie moderne) à un modèle basé sur l’efficacité des ressources (ou la maximisation des taux de profits).
Dans ce contexte, le changement significatif du climat politique et géopolitique qu’accompagne la dernière vague de mondialisation du capital affecte les objectifs de Pékin et son exportation croissante de capitaux.

Parce que les États-Unis ont bloqué toute acquisition chinoise trop ambitieuse, comme l’atteste récemment l’interdiction d’acquisition de la filiale éclairage du groupe Phillips par le groupe financier pékinois GO Scale, les investisseurs chinois ont priorisé l’Europe. De fait, Go Scale est l’un des prétendants à l’achat d’Osram, ancienne filiale d’éclairage Siemens, en concurrence avec San’an. Le tournant protectionniste de Berlin est un coup dur pour les ambitions chinoises. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’acceptent aucune offre. Mais il est raisonnable de supposer qu’après la récente intervention de Berlin, les offres des promoteurs chinois pour les objectifs européens seront négociées avec plus de zèle. Il est possible qu’un grand nombre de transactions entre la Chine et l’UE ne se concrétisent plus. L’Allemagne, en particulier, a la puissance nécessaire pour tenter de parvenir à un accord plus « équitable » entre les deux économies, soit plus en fonction des intérêts à long terme de l’impérialisme allemand.

Le saut de la modernisation industrielle de la Chine remis en cause


Pour Pékin, le changement d’humeur de son allié stratégique allemand est une mauvaise nouvelle. Disons que seulement avec Berlin, la Chine tient une réunion annuelle de cabinets gouvernementaux, chose qu’elle ne fait pas avec les Etats-Unis. A son tour, la bureaucratie du Parti Communiste Chinois (PCC), qui dirige le pays, cherche à lier sa chance industrielle à l’Allemagne. L’économie de ce dernier a mis en marche ces dernières années la devise de « l’industrie 4.0 ». Ceci consiste, selon ses dires, à gérer la quatrième révolution industrielle (après celle de la mécanique et de la vapeur, de l’automatisation et de l’électricité et celle de l’électronique et internet). Celle-ci, basée sur l’intelligence artificielle est caractérisée par l’interconnexion des machines, afin d’adapter en temps réel la production non seulement des commandes, mais aussi d’utiliser des données transmises par les objets eux-mêmes. Cette révolution en cours est vitale pour l’Allemagne, qui a construit sa prospérité dans la production d’équipements industriels. Dans ce contexte, l’Allemagne est le partenaire privilégié de la Chine pour la numérisation industrielle, avec laquelle les dirigeants du PCC espéreraient restructurer leur économie sous la pression des réalités, les jours de la Chine comme pays de la main d’œuvre pas chère étant comptés, et pour pouvoir faire face technologiquement aux économies du monde entier.

Au delà des rêves des dirigeants chinois, la réalité est que le niveau technologique de l’industrie chinoise est considérablement plus bas que celui des autres leaders (Etats-Unis, Allemagne, Japon). La fabrication intelligente n’est clairement pas encore adapté à l’industrie de la Chine, qui actuellement n’est qu’à la transition d’une « industrie 2.0 » à une « industrie 3.0 » pour utiliser les différentes étapes décrites ci-dessus ; usines entièrement automatisées sont des exceptions absolues chez le géant asiatique. En général, la fabrication chinoise est automatisée que dans un nombre limité de secteurs. Seulement 60% des entreprises utilisent des logiciels industriels tels que la planification des ressources d’entreprise et des systèmes d’exécution de fabrication.

Sans aucun doute, la Chine a fait des progrès technologiques rapides, mais elle est encore loin d’être chef de file dans ce domaine. Beaucoup affirment qu’il est encore trop tôt pour définir le succès industriel de la Chine et de ses entreprises, et ce n’est seulement une question de temps pour le succès international sur le continent du Japon et de la Corée. La comparaison avec le Japon donne raison d’en douter. Au début des années 1970, le PIB par habitant du Japon, ajusté au pouvoir d’achat, est environ le même que la Chine aujourd’hui. D’ici là, le Japon avait déjà un grand nombre d’entreprises ayant des positions significatives sur les marchés internationaux pour les produits technologiquement exigeants. Cannon et Nikon dans les appareils photo, Seiko dans les montres, Sony et Panasonic dans l’électronique grand public et Nec dans les semi-conducteurs. La Chine manque non seulement d’une compagnie de ce type, pire encore, n’a pas de potentielles entreprises capables d’avoir ce genre de prééminence mondiale.

Le fait est que, dans le meilleur des cas, malgré tous leurs efforts, l’industrie chinoise a besoin de quelques décennies pour atteindre le niveau qu’ont aujourd’hui les industries allemandes, américaines ou japonaises. Les petites et moyennes entreprises chinoises sont à un niveau beaucoup plus bas que leur capacité de production. Environ la moitié de ces entreprises n’ont jamais investi dans des technologies d’automatisation et d’informatisation tels que des robots. Même les industries vitales telles que le secteur automobile sont loin des niveaux internationaux d’efficacité et de productivité. Cela ne signifie pas que la Chine ne peut théoriquement atteindre le style de la Corée du Sud, en créant une concurrence sérieuse dans certaines régions par le biais de « champions nationaux » dans les marchés internationaux. C’est principalement de ce danger que tentent de se protéger les puissances impérialistes. Mais la Corée n’étant pas un pays impérialiste, à la différence du Japon, elle a réussi à faire une avancée considérable, grâce à la bonne volonté des Etats-Unis pour son développement dans le contexte de la guerre froide. Dans ce contexte, le changement de la base politique de la « mondialisation » (comme illustré par la remise en cause des accords commerciaux, le Brexit, le succès de Donald Trump au-delà du résultat final, etc.) va rencontrer les désirs et ambitions de Pékin. L’importance de la relation avec l’Allemagne pour la Chine, la décision de Berlin pourront être l’épée de Damoclès pour le saut de la modernisation à Pékin. La seule question est de savoir quelle en sera la portée et si d’autres pays impérialistes imiteront l’action de l’Allemagne.

Trad. Arapo


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