×

Erdogan prêt à tout pour s’accrocher au pouvoir

Turquie. Offensive anti-kurde et guerre civile de basse intensité

Sous couvert de lutter contre le terrorisme islamiste et Daech, le gouvernement turc islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan a lancé son armée contre les positions du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) après le massacre de Suruç où 32 militants de la Fédération des Jeunes Socialistes ont perdu la vie. L’objectif de la stratégie de la tension d’Erdogan, qui vise l’ensemble de la gauche turque et kurde et qui ressemble fort à une guerre civile de basse intensité ? S’accrocher au pouvoir et remporter les élections anticipées prévues cet automne.

Facebook Twitter

{{}}

Nina Kirmizi

{{}}

{{}}

Offensive anti-kurde à l’Est

Depuis le 24 juillet dernier, date des premiers bombardements turcs sur les bases arrière du PKK dans les montagnes du Kurdistan turc et irakien qui ont tué près de 400 personnes selon Ankara, le parti d’Oçalan a riposté réclamant, sur son site internet, « le droit à se défendre ». Après des années de négociations secrètes entre l’AKP au pouvoir à Ankara et le PKK et à la suite de la proclamation d’un cessez-le-feu unilatéral par les Kurdes, les combats ont donc repris, inégaux, entre les peshmergas, d’un côté, et les blindés et les avions turcs, de l’autre. Et pourtant, au sol, le PKK et sa branche syrienne, le PYD, collaborent activement avec la coalition anti-Daech conduite par les Etats-Unis et que Ankara est censée combattre.

Ainsi, le 26 juillet dernier, un attentat revendiqué par le PKK visant un convoi militaire a tué deux soldats turcs à Diyerbakir, capital du Kurdistan turc, tandis qu’à Istanbul, un policier a été tué par balle lors d’affrontements avec des manifestants. Le 10 août dernier, à Sirnak près de la frontière avec l’Irak où les accrochages entre l’armée turque et le PKK sont quotidiens, une embuscade a visé des militaires et policiers turcs. En représailles, l’aviation turque a mené une série de raids contre des bases du PKK dans la province de Hakkari, frontalière de l’Iran et de l’Irak, poursuivant les raids qui touchent désormais les territoires kurdes en Turquie.

Le même jour, à Istanbul, c’est le consulat américain qui a été visé par des membres du Front Révolutionnaire de Libération du Peuple DHKP-C, une organisation clandestine d’extrême gauche. La veille, une voiture piégée avait explosé en face du commissariat du quartier de Sultanbeyli, sur la rive asiatique d’Istanbul, une action revendiquée par l’Union de Protection du Peuple.

Ankara profite pleinement de cette nouvelle escalade pour renforcer un climat de tension que le gouvernement a lui même contribué à créer. Le président Erdogan a promis, dans un discours télévisé le 11 août, de poursuivre les raids aériens « jusqu’à qu’il ne reste plus un seul terroriste à l’intérieur de nos frontières ». Dans la nuit du 12 au 13 août, sept membres du PKK ont été tués par l’armée, dans le Sud-est de la Turquie, tandis qu’à l’Est, près de la frontière avec l’Iran et non loin de l’Arménie, trois autres victimes de l’armée turque ont été recensées. Ce ne sont pas uniquement les combattants kurdes qui sont visés, mais toute la population. Si Ankara affirme qu’il s’agit d’une riposte dans le cadre d’une attaque à la roquette, pour l’agence de presse pro-kurde Firat il s’agit en réalité de trois adolescents, touchés par des tirs de police, alors qu’ils travaillaient dans la boulangerie de la commune. C’est une véritable offensive en bonne et due forme qu’est en train de mener l’AKP au pouvoir, jouant la carte du nationalisme turc.

Guerre civile de basse intensité en interne et calculs électoraux

Parallèlement, le 13 août, se sont tenues les dernières négociations pour la constitution d’un gouvernement de coalition avec le CHP, le parti kémaliste républicain, arrivé en deuxième position lors du scrutin au cours duquel les islamo-conservateurs d’Erdogan avaient été sanctionné. La proposition de l’AKP, en la personne de l’ex-premier ministre Ahmet Davutoglu, n’a en réalité laissé que peu de choix à Kemal Kiliçdaroglu, du CHP, la seule alternative étant la formation d’un gouvernement de coalition provisoire ayant pour objectif d’organiser de nouvelles élections dans les plus brefs délais. Un jeu de dupe à l’avantage d’Erdogan que l’opposition n’a aucun intérêt à jouer. Faute d’accord, des élections anticipées seront appelées à la fin du mois d’octobre, dans les délais des trois mois impartis par la Constitution. Le gouvernement de Davutoglu, en charge des affaires courantes, a donc remis son mandat au président Erdogan, à présent seul capitaine du navire jusqu’aux prochaines élections et qui compte tirer profit de ce contexte de « pays en guerre » pour souder autour de lui son électorat et réaliser un bien meilleur score que lors des élections de juin.

En effet, la stratégie de réforme constitutionnelle d’Erdogan, assurant la présidentialisation du régime actuellement parlementaire turc et le renforcement de ses propres pouvoirs, a été mise à mal par la défaite de l’AKP en juin dernier qui, avec seulement 40% des voix, ne se trouvait pas en mesure de gouverner seul ni de voter la réforme constitutionnelle voulue par Erdogan.

En important ainsi la « guerre contre le terrorisme » sur le territoire national, Erdogan ne vise pas seulement l’organisation du PKK, mais également ce que l’AKP accuse d’être sa « vitrine légale », à savoir le HDP (Parti Démocratique des Peuples) sorti renforcé des dernières élections législatives, après avoir remporté 13% des voix.

Déjà en campagne, donc, Erdogan tente une vaste opération contre le HDP basée sur une campagne médiatique dénonçant les rapports entre le PKK et le HDP, parti de la gauche kurde qui regroupe autour de lui tout un éventail de mouvements progressistes et de gauche radicale. Le gouvernement a engagé une offensive judiciaire contre les leaders du HDP, dont son principal dirigeant, Selahattin Demirtas. Accusé de « troubles de l’ordre public » et « d’incitation à la violence », il risque 24 ans de prison et Erdogan a appelé à la lever de l’immunité parlementaire des députés HDP, voulant leur « faire payer le prix de leurs liens avec le terrorisme ». Ces attaques judiciaires et médiatiques n’ont d’égal que le niveau de répression qui s’exerce à l’encontre des militants. Le coup de filet organisé suite à l’attentat de Suruç, officiellement destiné à « démembrer les filières djihadistes en Turquie », a mené, en réalité, à l’arrestation de plus 500 militants de gauche, d’activistes, de syndicalistes, dont 180 membres du HDP. Plusieurs médias de gauche ont été interdits, tout comme les manifestations suite à l’attentat.

Face à cela, le HDP se retrouve dans une situation délicate : tiraillé entre, d’un côté la pression qu’exerce sur lui le gouvernement turc pour prendre ses distances et condamner le PKK et, de l’autre, la nécessité de soutenir la rébellion kurde contre la répression dont il fait également les frais, au risque de mettre le HDP dans l’illégalité. La direction du HDP refuse de rompre avec sa stratégie de « sortie négociée » du conflit au Kurdistan et de « solution » à la question kurde à travers le dialogue avec Ankara, sans pour autant que cela ne protège le parti et ses militants contre les coups de boutoir de la répression de la police d’Erdogan.

Mais le terrain du pouvoir auquel s’accroche Erdogan reste mouvant et atteste de ses difficultés à rasseoir son autorité après les élections de juin. En témoigne également cette dernière charge en règle du président contre le pouvoir judiciaire. Trois procureurs à l’origine d’une enquête pour corruption visant les proches du président ont dû quitter précipitamment la Turquie, quelques heures avant qu’un mandat d’arrêt les accusant de « former une organisation criminelle ayant pour but de renverser le gouvernement par la force » ne soit prononcé à leur encontre.

Le « sultan ébranlé » de juin dernier reste aux commandes et table sur une poussée du vote pro-AKP en octobre grâce à ce déchaînement de violence anti-kurde et la guerre civile de basse intensité qu’il conduit en interne. Mais la stratégie de la tension et de la répression sont aussi un aveu de faiblesse et d’instabilité, un jeu risqué pour Erdogan si l’ensemble de ceux qui se sont opposés à lui et à son système, ces dernières années, à commencer par la jeunesse du mouvement de Gezi Park, les travailleurs des mines et de l’automobile et les Kurdes, venaient à se mobiliser de façon convergente. En attendant, Erdogan mène la répression sans coup férir, sous couvert du silence complice des puissances impérialistes comme les Etats-Unis qui a revendiqué le droit de l’Etat turc à « l’auto-défense » et du gouvernement français qui continue à fermer les yeux sur les massacres orchestrés.


Facebook Twitter
Frappes iraniennes : le soutien des pays arabes à Israël marque un nouveau rapprochement

Frappes iraniennes : le soutien des pays arabes à Israël marque un nouveau rapprochement

Génocide à Gaza : des armes, des affaires et des complices

Génocide à Gaza : des armes, des affaires et des complices

Attaque contre l'Iran : Israël limite sa riposte mais les tensions persistent

Attaque contre l’Iran : Israël limite sa riposte mais les tensions persistent

Etats-Unis. A l'université de Columbia, la répression du soutien à la Palestine s'intensifie

Etats-Unis. A l’université de Columbia, la répression du soutien à la Palestine s’intensifie

28 salariés de Google licenciés pour avoir dénoncé le génocide en Palestine

28 salariés de Google licenciés pour avoir dénoncé le génocide en Palestine

Veto à l'adhésion de la Palestine à l'ONU, ou l'hypocrisie des Etats-Unis sur les « deux États »

Veto à l’adhésion de la Palestine à l’ONU, ou l’hypocrisie des Etats-Unis sur les « deux États »

Argentine : Les sénateurs augmentent leurs salaires de 170% en pleine crise économique

Argentine : Les sénateurs augmentent leurs salaires de 170% en pleine crise économique

Invasion de Rafah : comment la bourgeoisie égyptienne tire profit des menaces d'Israël

Invasion de Rafah : comment la bourgeoisie égyptienne tire profit des menaces d’Israël