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Après la répression à l'Assemblée Nationale

Un Street Medic témoigne : « Fumer m’a rappelé les gaz, et j’ai fait une crise d’angoisse »

Propos recueillis par Flora Carpentier Mardi 10 mai, après l’annonce du recours du gouvernement au 49.3 pour faire passer sa « loi travail » si décriée, il n’aura fallu que quelques heures pour rassembler près de 2500 personnes devant l’Assemblée Nationale. La répression policière ne s’est pas non plus fait attendre, les manifestants se trouvant sous une pluie de grenades lacrymogènes, écartés par les grenades de désencerclement qui blessent parfois gravement. Depuis plusieurs semaines, Nono vient équipé de matériel de premiers soins en manifestation. Il fait parti des manifestants qui, comme dans plusieurs villes de France, ont décidé de s’organiser afin d'aider toutes les personnes victimes de la répression policière qui s’abat sur le mouvement : les "Street Medic". Le climat de guerre dans lequel a été dissout le rassemblement devant l’Assemblée lui laisse, encore aujourd’hui, un souvenir traumatisant.

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« Un jeune s’était pris du gel CS dans la figure, il avait les yeux fermés »

C’était mardi, au rassemblement à l’Assemblée Nationale. Vers la fin, la gendarmerie a décidé de nous évacuer en utilisant des pratiques bien réfléchies. Ils avançaient en tapant les matraques sur les boucliers et en envoyant des grenades de désencerclement. Donc nous, les medics, à ce moment-là on va au devant car qui dit grenade de désencerclement dit forcément manifestants blessés. Notre trinôme a dû se séparer car mes camarades ont pris en charge un manifestant qui avait reçu une grenade sur le pied et donc ne pouvait pas marcher seul. Je me suis approché, j’ai entendu "medic", et il y a quelqu’un qui est venu vers moi en me disant qu’un gars s’était pris du gel CS dans la figure. Ce n’est pas du lacrymo classique mais un gel, qui brûle la peau. On a remarqué que ce qui était efficace dans ces cas-là, ce sont les lingettes bébé passées sur le visage de haut en bas pour enlever le gel. Il faut jeter la lingette à chaque fois pour ne pas étaler le gel sur la figure. J’étais équipé mais je ne pouvais pas le soigner tout de suite parce que les gendarmes avançaient. Donc j’ai pris en charge ce jeune homme qui avait à peu près mon âge, 23 ans. Il avait les yeux fermés parce qu’il avait le visage plein de gel. Je l’ai accompagné et on a marché ensemble pour s’éloigner des gendarmes qui continuaient à lancer des grenades de désencerclement. Comme il avait les yeux fermés, j’étais ses yeux. J’essayais de lui faire accélérer le pas parce qu’il y avait clairement du danger derrière nous et que si je voulais le soigner, c’était dans un endroit plus calme.

On ne pouvait pas se mettre de côté. Il y avait d’un côté la Seine avec une rambarde de 4-5 mètres de hauteur - d’ailleurs certains ont sauté et des medics ont dû ensuite les prendre en charge, avec des suspicions de fractures - et de l’autre côté il y avait des immeubles, pas moyen non plus de trouver un coin tranquille. Donc le seul moyen c’était d’avancer plus vite que les gendarmes, ce qui était compliqué avec une personne qui avait le visage qui le brûlait. C’était une prise en charge très psychologique, parce que je ne pouvais pas le soigner tout de suite, donc je lui ai demandé « comment tu t’appelles, t’inquiètes pas, maintenant les gendarmes sont à une bonne distance... » même si ce n’était pas forcément vrai. Je lui ai expliqué qu’on était en train de s’éloigner... « t’inquiète pas je suis équipé, j’ai des lingettes, quand je vais te les passer ça va aller tout de suite mieux ». Durant un laps de temps assez long nous avons marché ensemble car je ne pouvais pas le soigner parce que les gendarmes nous talonnaient.

Arrivés au pont, j’ai pu lui passer quelques lingettes, il a pu ouvrir les yeux et après on a continué à avancer parce que les gendarmes nous rattrapaient. Quand tout s’est calmé, il y a une nasse qui s’est créée, je l’ai retrouvé et je lui ai demandé comment ça allait. Il m’a demandé si c’était bien moi qui l’avait soigné, parce que j’étais méconnaissable avec le masque de ski et le masque respiratoire.

« Le lendemain, j’ai ressenti des troubles post traumatiques »

C’est le lendemain que j’ai ressenti ce que je pense être des troubles post traumatiques. On allait faire un debrief avec tous les street medic à la bourse du travail de Paris, comme on fait toutes les semaines. Sur le chemin pour aller à ce debrief, en repensant à l’action et à ce que je pouvais dire, j’ai eu un coup de blues. C’est quelque chose que j’avais su gérer depuis le début de la mobilisation, avec quelques cauchemars mais ça allait. Là ça m’est tombé dessus, et pendant le debrief où j’entendais les camarades parler des actions et de la répression, j’ai commencé à pleurer. Je suis sorti de la salle en demandant à un camarade de la street medic de m’accompagner. Le fait de me remettre dans le bain de l’action, de la stratégie mise en place, de la répression, ça m’a remis dans le stress de l’action, comme si je la revivais.

Le lendemain, jeudi soir, j’ai acheté des cigarettes industrielles, que je n’ai pas l’habitude de fumer et qui sont beaucoup plus fortes que le tabac à rouler, et à la fin de la clope, j’ai eu une crise d’angoisse. Je pense que ça m’a remémoré les gaz. Je sous ventilais, j’avais énormément de mal à respirer. J’avais une pression au niveau de la cage thoracique qui m’empêchait de faire le plein d’air. Au bout d’un moment, c’est passé un peu, puis au moment de me coucher c’est revenu. J’ai appelé SOS médecin qui a pu me donner des conseils. J’ai eu ces deux crises de 20 minutes dans la même soirée.

Le vendredi matin, après la première clope, j’ai encore fait une petite crise de 10 minutes, puis au travail ensuite, j’ai fait ma dernière crise de 10-15 minutes. Et mercredi, quand je suis allé place de la République à vélo, à l’approche de la place j’ai ressenti un stress pas fréquent, en me remémorant les gazages, les violences policières qui ont eut lieu sur la place depuis de début du mois. J’ai ressenti un début d’agoraphobie, même si minime, en voyant la foule. Et j’ai pleuré en entendant des sirènes à République. Ce sont des choses qui nous tombent dessus et sur lesquelles on a peu de prise. Je prends ça au sérieux, parce que certes je suis fumeur, mais je suis aussi sportif et je n’ai aucun antécédent d’insuffisance respiratoire, ce n’est clairement pas normal chez moi.

Le fait traumatisant, je pense que c’est le fait de m’être mis en danger. En tant que manifestant, quand ça pète tu fais face au danger. Mais comme je m’occupais de cette personne qui avait les yeux fermés et qui était en souffrance, je tournais le dos au danger. Le fait de faire passer sa sécurité avant la mienne, je pense que c’est ça qui a été l’élément traumatique.

« L’usage des grenades de désencerclement devient systématique »

Dès début mars, j’ai participé à toutes les manifestations appelées par l’intersyndicale, mais aussi aux manifestations lycéennes et étudiantes qui ont été réprimées encore plus durement. J’ai commencé à m’engager dans l’équipe des street medic depuis début avril. J’en avais entendu parler sur facebook, et je les ai contactés dans une démarche consciente que la répression face à la mobilisation s’était accentuée. Les lacrymos en fin de manif à Nation sont devenus monnaie courante. On a vu que le gazage des manifestants en plein visage avec les bombones de lacrymos se sont généralisés. Et là, depuis début mai, on se rend compte que l’usage des grenades de désencerclement devient lui aussi systématique. Je voudrais pas dire qu’on s’y habitue, parce que ce sont des choses auxquelles on ne s’habitue jamais, et il ne faut pas que ça soit le cas. On est arrivé à un degré de répression qui est énorme. Les grenades de désencerclement, ça fait vraiment mal, et puis leur usage n’est pas du tout légitime. Les policiers sont censés les utiliser en ultime recours s’ils sont eux même encerclés. Mais ce qu’on a vu le 1er mai et devant l’Assemblée Nationale, c’est qu’ils les utilisent simplement pour faire avancer la foule dans une direction précise.

Le sérum physiologique contre les gaz, le Maalox sur le visage pour les brûlures de gaz, ce sont des choses qu’on ne dénombre plus dans les manifestations, ce sont 50 personnes environ par street medic, ça en fait du monde. J’ai beaucoup pris en charge des manifestants ayant reçu des éclats de bombes de désencerclement. Dernièrement, je me suis équipé en bombes de froid, en gel et en gélules arnica. Si on utilise ça très rapidement après l’impact, le lendemain ça change tout. Je me suis occupé aussi de brulures dues aux palets de lacrymos sur les jambes, notamment.

« Une grosse part de notre intervention est psychologique »

Les street medics, ce sont des manifestants qui sont équipés pour soigner des manifestants blessés. Il y a pas mal d’entre nous qui sont médicalement formés de part leurs études ou leur travail. Mais il y a aussi pas mal de jeunes qui sont intéressés par ça aussi. On se forme en interne, et puis on a des kits déjà prêts à l’ « infirmerie Debout », donc la première des formations consiste à apprendre à l’utiliser. Comment on intervient sur un bleu, une brûlure, une crise d’angoisse… en fait la grosse part de notre intervention est clairement psychologique. Rien que le fait de demander comment ça va ? à des manifestants à qui on donne du sérum ça donne place à la solidarité dans un environnement très anxiogène. On est là pour rassurer, parce que pour un manifestant qui n’a pas l’habitude de se faire gazer et matraquer par des flics, il y a des symptômes : le fait d’être déboussolé, une angoisse avec accélération du souffle, etc. Ca aussi c’est une sorte de blessure. Pour les blessures plus graves nous prenons également le temps de créer ce contact. Pour savoir si la personne est accompagnée, si elle compte continuer la manifestation malgré sa blessure … en lui préconisant certains soins pour les prochains jours et même d’aller à l’hôpital si certaines blessures s’aggravent.

« On se rend compte que leur stratégie répressive est très réfléchie, dans le but de nous démobiliser »

Dès le début, on a constaté que la tactique du gouvernement avec la répression, c’était d’intimider les manifestants. Ca s’est vu clairement avec le « jeudi sanglant » à Tolbiac le 17 mars, où il y a eu des flaques de sang, où je ne sais combien de flics sont rentrés dans l’université alors qu’il n’y avait que quelques étudiants dans un amphi… ils étaient clairement là pour casser de l’étudiant.

Quand je repense à la répression à Assemblée Nationale, on se rend compte que de leur côté c’est très réfléchi. Quand les gendarmes avancent en tapant sur leurs boucliers, en lançant des grenades de désencerclement avec les sirènes et gyrophares des camions allumés, sur le moment t’es dans le feu de l’action, tu t’occupes de blessés ou tu avances en tant que manifestant… tu ne te rends pas forcément compte. Mais moi c’est le lendemain où ça m’est tombé dessus. Parce ce que tout ça c’est une stratégie traumatique. Donc ça reste. Même si sur le moment tu ne retiens pas tout, le corps s’en imprègne. C’est une stratégie pour démobiliser, et s’ils arrivent à nous démobiliser grâce à la répression, ils auront gagné. C’est pour ça qu’on se dit qu’il faut rester mobilisés.

Après avoir participé à la manifestation du Mardi 17 Mai en tant que street medic, Nono a décidé de continuer à se mobiliser dans la rue en dehors des équipes médicales. "Pour cette semaine, je lève un peu le pied car même si ça va durant la manifestation, les troubles apparaissent après coup, donc j’attend de voir".

Pour prendre contact avec la street médic, envoyer votre témoignage : [email protected] / Page Facebook
Voir aussi leur communiqué, terminant par cette phrase : "Nous sommes ni sauveuses, ni sauveteurs. Juste des manifestantEs qui se préfèrent debout qu’à genoux ! La solidarité est notre arme."


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