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Exploitation à la chaine

Un bagne appelé Fiat : récit d’une journée de travail dans les usines WCM 4.0

Fiat Chrysler, à Pomigliano d’Arco, la grosse usine automobile de la banlieue de Naples. Présentée comme l’usine du futur par le patron du groupe, c’est en réalité un bagne des temps modernes. C’est ce que décrit un ouvrier de production dans cette correspondance ouvrière oubliée sur le journal en ligne de nos camarades de la Fraction Internationaliste Révolutionnaire d’Italie, La Voce delle Lotte.

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Je me lève à cinq heures du matin. Je dois pointer dans une heure. Juste le temps de déjeuner, prendre une douche et aller à l’usine.

Un rapide « salut » aux copains et la chaîne commence : plus de 120 voitures. Je dois être attentif pour ne me tromper à aucune étape, sinon je vais causer des problèmes à mes collègues et, dans le cas où cela arriverait, le chef est toujours prêt à me rappeler à l’ordre.

Il y des rumeurs de plans de licenciements et si je fais la moindre erreur je pourrais bien figurer sur la liste, ou, si je n’en fais pas partie, je pourrais être obligé d’aller travailler à l’usine de Cassino [à 100 km au Nord de Naples]. Ce qui serait pire. 120 voitures et puis la chaîne s’arrête. Pendant les dix minutes de pause j’espère ne pas avoir besoin d’aller aux toilettes, sinon je ne pourrai même pas fumer tranquillement.

Pendant ces 600 secondes de pause que j’attends toujours avec impatience, il y a d’autres collègues qui continuent à bosser. Peut-être est-ce une erreur de m’arrêter, je serai vu comme un fainéant par les chefs qui circulent dans les ateliers, mais je n’en peux plus. Il faut que je fasse une pause.

A 8 h 10 il faut que je sois de retour à mon poste de travail. [Comme dit le nouveau slogan publicitaire Fiat] « Siamo quello che facciamo » ; « Nous sommes ce que nous faisons » Encore 120 voitures annoncées. Problème technique, la chaîne se bloque. C’est pas plus mal ! Je peux reprendre mon souffle et me dégourdir un peu. Il faut aussi que je fasse un peu le ménage au niveau de mon poste de travail sur la chaine. Le système WCM [système de production « World Class Manufacturing »] exige que mon poste de travail soit mieux rangé que ma propre maison. Espérons que la pause forcée soit brève, autrement je vais devoir renoncer à la pause repas.

Après un quart d’heure : la ligne reprend !

Nous avons produit 16 voitures de moins, je n’aurais très probablement pas ma pause repas – quand nous produisions l’Alfa Romeo, il y avait davantage d’ouvriers à la chaine et on avait un objectif de 100 voitures de moins par équipe. Le samedi je restais à la maison. Le repos compensatoire de la semaine à venir me fait bien rire. Six jours d’affilés à la chaine de montage t’épuisent. Dans cinq ans j’en aurai quarante.

Le chef d’équipe arrive pour nous avertir que pendant la prochaine pause de 10 minutes 5 voitures vont sortir : il tâte le terrain pour voir qui est disposé à rester sur poste. Pas mal de mes collègues ont l’habitude de travailler pendant la pause. Je lui dis ne pas vouloir rester parce que j’ai des besoins physiologiques et il hausse les épaules, en me regardant de travers. Et puis bientôt c’est la pause en question. On sort. On est 5 à sortir. Les autres, ceux qui restent travailler nous regardent avec surprise. Il n’y a pas de quoi. On n’est pas en train de débrayer. On sort juste pour souffler un peu.

Il y a la queue pour les toilettes ; la queue pour le café ; je n’ai pu fumer que la moitié de ma cigarette parce que je n’ai même pas eu le temps de la terminer avant de reprendre. Je retourne au travail et j’entends dire que la demi-heure de pause repas sera utilisée pour rattraper les voitures manquantes.

Je pense que la situation est devenue insoutenable. Mes collègues le pensent aussi, tout le monde se plaint mais personne ne réagit. Les syndicats qui ont signé la convention collective sont les complices volontaires des décisions de la direction, tous les accusent, certains ont déchiré leur carte d’adhérent, d’autres ont adhéré à la FIOM [la fédération des métallos de la CGIL, la principale confédération italienne], le seul syndicat qui n’est pas d’accord avec l’entreprise. Je le ferais bien aussi, mais j’ai peur. Je dois payer le crédit de la maison, ma femme ne travaille pas tout le temps et il faut de l’argent pour élever les gosses. Je pense souvent qu’avec ce rythme et dans cette ambiance d’oppression psychologique je vais y laisser ma peau. C’est déjà arrivé à un collègue. Travailler avec un tel niveau de stress, ce n’est pas bon pour la santé.

Une autre fournée de 120 voiture, ou un peu plus. La chaine s’arrête à nouveau. On a 8 minutes pour souffler un coup. Je fume deux cigarettes, l’une après l’autre. La ligne repart. Il ne reste plus qu’une heure et demie. Deux en fait.

Je n’ai rien mangé depuis ce matin et je commence à avoir le tournis. Avant la période de Cassa Integrazione [chômage technique imposé], on mangeait à onze heures, le matin. La pause servait à souffler un peu, pour reprendre des forces avant la dernière ligne droite. Mais depuis, quelqu’un a décidé que tout allait changer. « Sur le site de Melfi, [la seconde usine du groupe Fiat dans le Sud de l’Italie], la pause repas, c’est à la fin de l’équipe. Si les collègues de Melfi réussissent à tenir le coup, il n’y a pas de raisons que ce soit différent ici ». Avant on s’appelait Alfa Romeo. AlfaSud. Maintenant on s’appelle FCA. Le monde a changé. Et les marchés aussi.

Il y a quelques années il y avait 15.000 personnes qui travaillaient dans cette usine. Aujourd’hui on doit être à peine plus de 30% . Certains collègues ne travaillent que quelques jours par mois parce que la production de la Panda n’occupe pas l’ensemble des installations. Sans compter qu’il y a plus d’ateliers vides que d’ateliers qui tournent.

Fini. Je suis enfin sur le parking. J’ai pu acheter un paquet de chips au distributeur pour calmer la faim. Quand je mets la clef dans le contact, une sensation étrange s’empare de moi : je me rends compte qu’on n’est que mercredi, et qu’il me reste encore trois jours à travailler pour finir la semaine. La semaine prochaine je ne ferai que cinq jours au lieu de six, mais sur l’équipe de l’après-midi. A moins que ça ne change au dernier moment. Ou alors que l’on m’appelle pour m’envoyer travailler à Cassino.
« Siamo quello che facciamo ». « Nous sommes ce que nous faisons de nous ».

Trad. JM et CT

Crédits photos : La Voce delle Lotte


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